Une brève histoire de sauvetage 

Tout commence lorsque, le mois dernier, Three Arrows Capital (3AC), basée à Singapour, une société de trading de crypto à fort effet de levier avec 200 millions de dollars d'exposition à la cryptomonnaie Luna, a révélé qu'elle était insolvable. Pour réaliser ses opérations de trading hautement spéculatives, la société avait emprunté des montants colossaux auprès de nombreuses sociétés de l’écosystème crypto dont le courtier Voyager Digital et le prêteur de crypto BlockFi. Suite à la récente annonce du défaut de paiement de 3AC, Voyager et BlockFi se sont tournés vers le généreux SBF pour renflouer les caisses. Ou peut-être que SBF rôdait déjà sous leurs pieds pour saisir sa prochaine proie.

BlockFi, c’est vite réglé. 

Fin juin, BlockFi a annoncé avoir trouvé un accord avec FTX pour se voir faciliter une ligne de crédit de 400 millions de dollars, ainsi qu’une option d’achat allant jusqu’à 240 millions de dollars afin de sauver in extremis la société qui se retrouvait au bord du précipice. Pour rappel, il y a un an, au cœur du marché haussier des crypto, BlockFi était valorisée à plus de 5 milliards de dollars. Coup de maître réalisé par SBF qui "buy the dip" de la société BlockFi ? 

Turbulences chez Voyager

L’affaire du récent dépôt de bilan du courtier crypto Voyager Digital est bien plus préoccupante que pour BlockFi. La société canadienne n’a pas survécu aux conditions actuelles de marché et à l’insolvabilité de 3AC dont elle était l’un des prêteurs. Mais en quoi est-ce plus préoccupant pour SBF ?

La société Almeda Research, un fonds d’investissement et teneur de marché crypto fondé en 2017 par SBF, est à la fois emprunteur, prêteur et investisseur dans Voyager. Avec sa casquette de prêteur, Alameda a facilité 485 millions de dollars en vertu d’une ligne de crédit qu’elle a offerte à la plateforme le mois dernier, sur laquelle Voyager a prélevé 75 millions, le montant maximum autorisé sur une période de 30 jours. Un prêt non garanti, selon la liste des plus grandes créances non garanties de Voyager.

Créances non garanties pour la faillite de Voyager
Source : dossier de mise en faillite déposé au tribunal de district de New York

Avec sa casquette d’emprunteur, la société de SBF doit au courtier 376,8 millions de dollars sur un prêt avec un taux d'intérêt allant de 1 à 5%. Et avec son statut d’emprunteur, Alameda est tenue de rembourser Voyager malgré la procédure de dépôt de bilan.

Les emprunteurs de Voyager
Source : dossier de mise en faillite déposé au tribunal de district de New York

La dette d'Alameda en fait le deuxième emprunteur de Voyager après l'insolvable Three Arrows Capital. Enfin, avec sa casquette d’investisseur, Alameda détient une participation à hauteur de 9,5% dans Voyager. Ce n’est pas souvent qu’un emprunteur-actionnaire renfloue son prêteur.

A noter qu’en 2021, Voyager Digital, coté en bourse, avait une valorisation de plus de 3 milliards de dollars. Aujourd'hui, sa capitalisation boursière est de 48 millions de dollars, soit 98,4% plus bas. Coup dur pour les actionnaires.

Cours de Voyager Digital (VOYG)
Zonebourse

Les multiples casquettes endossées par Alameda représentent bien les activités incestueuses pratiquées par les géants dans l’écosystème crypto et le “capital recyclé” qui masque parfois la santé financière de ces entités. Ces réseaux tentaculaires déployés par certaines sociétés ont inévitablement pour effet d'entraîner des expositions économiques importantes exacerbant ainsi le risque d’interconnexion entre les acteurs du marché. 

FTX : le JPMorgan 3.0 ? 

On pourrait faire une allusion de cette situation par rapport à ce que JP Morgan a fait lors d'une crise financière de 1907. JPMorgan, le banquier américain, a racheté à l’époque les actions des entreprises en difficulté dans le but d'arrêter l'effondrement des entreprises lors de la crise financière de 1907. Il était principalement connu pour les réorganiser et les rendre plus rentables et stables. Il est également connu pour avoir réorganisé les principaux chemins de fer et financé des consolidations industrielles qui ont formé General Electric, US Steel et International Harvester. Comme à la sauce JPMorgan, Bankman-Fried profite en quelque sorte du chaos crypto pour étendre son empire.

Mais le patron de FTX et d’Alameda se montre tout particulièrement altruiste dans les médias en déclarant à Forbes que “Nous sommes prêts à faire une mauvaise affaire ici, si c’est ce qu’il faut pour stabiliser les choses”. Une stabilisation qui lui a coûté, entre l'affaire BlockFi et l’affaire Voyager, 750 millions de dollars de lignes de crédits et rien pour l’instant n’indique que le milliardaire reverra la couleur de cet argent. 

Rappelons qu’avant cet épisode de crise, SBF, par le biais de sa plateforme FTX, a récemment accumulé une participation de 7,6% dans Robinhood avec des rumeurs d’une prochaine acquisition. Il a également facilité en août 2021 un prêt de 120 millions de dollars à l’échange de crypto japonais Liquid Group, et a racheté la société en février. Nous pouvons aussi citer le rachat de l'application Blockfolio (150 millions de dollars) et la de la bourse à terme Ledger en 2021. Sans compter l’ensemble des acquisitions stratosphériques du monde du sport : acquisition des droits d’appellation du stade de la NBA de Miami jusqu’à 2040, sponsor officiel de la Major League de Baseball ou encore la signature d’un contrat avec l’écurie de Formule 1, Mercedes-AMG Petronas. Il a la main lourde, SBF.

Mais où le crypto-milliardaire va-t-il s'arrêter ?

Rassurons-nous, SBF a tout de même les yeux en face des trous. Il a récemment déclaré que : “Certaines entreprises sont fondamentalement trop loin et il n'est pas pratique de les soutenir pour des raisons telles qu'un trou important dans le bilan, des problèmes de réglementation ou qu'il ne reste plus beaucoup d'entreprises à sauver", mais a refusé de nommer des échanges crypto spécifiques. Pour rappel, en janvier, FTX a dévoilé FTX Ventures, un fonds de capital-risque de 2 milliards de dollars axé sur les investissements dans les actifs numériques, qu'elle a depuis utilisé pour aider à renflouer les entreprises qui manquent de liquidités. De son côté, Bankman-Fried, qui a gagné des milliards en arbitrant sur les cryptomonnaies à partir de 2017, a déclaré avoir utilisé ses propres liquidités pour soutenir des entreprises de cryptomonnaies en difficulté lorsque cela “n'avait pas de sens pour FTX de le faire.” 

Mais le crypto milliardaire est aussi sur le front du combat politique. Sa contribution de 5,6 millions de dollars à la campagne présidentielle de Joe Biden a fait de lui l'un des plus gros donateurs démocrates du cycle. 

Le jeune américano-crypto-milliardaire (8 milliards de dollars sur le compte en banque selon le Bloomberg Billionaires Index) de 30 ans n’a pas fini d'étonner et restera très probablement l’une des personnes les plus influentes du secteur des cryptomonnaies dans les prochaines années. En revanche, la multiplication de paris risqués pourrait coûter cher à SBF et ses différentes sociétés si le marché continue de vaciller à la baisse.