La success-story Apple et la starification dont l'entreprise californienne fait l'objet entraînent des distorsions qui commencent à être inquiétantes pour les marchés financiers. Pour illustrer notre propos, intéressons-nous à la période récente. Les habitudes prises par les investisseurs ces dernières années ont rendu le secteur technologique exagérément dépendant des performances d'Apple, qui, il faut bien l'avouer, sont excellentes. Le groupe a mis en place une organisation léchée et assez opaque de sa chaîne d'approvisionnement, qui lui permet de bénéficier d'une souplesse inégalée. Rappelons qu'il faut démonter entièrement un iPhone pour connaître la liste précise des fournisseurs, qui sont contractuellement tenus de fermer leur clapet sur tout ce qui concerne le Californien, sous peine d'être bannis de la liste des courtisans et donc de juteuses retombées.
 
Apple est parfaitement au fait de son iPhone dépendance depuis plusieurs années. C'est pourquoi ses dirigeants ont accéléré leur diversification vers les services. Sur le dernier trimestre écoulé, ce segment en vive croissance (grâce notamment à iTunes ou iCloud) représentait 10 des 60 milliards de dollars de revenus totaux, toujours dominés par les iPhones (37,2 milliards sur le total). Mais, pour l'heure, ce sont toujours les ventes de terminaux qui font la tendance. Le nœud du problème, c'est que les financiers font généralement un raccourci majuscule auquel nous, médias, contribuons largement : si Apple vend moins d'iPhones, c'est que le marché global des mobiles va moins bien.
 
Apple moins fringuant
 
Mais on pourrait aussi tenter le crime de lèse-majesté et poser comme hypothèse que le groupe est confronté à une concurrence accrue et qu'il se fourvoie parfois dans son offre produits. Dans ce scénario, ce n'est pas le marché global des mobiles qui vacille, c'est seulement un retour sur terre qui implique qu'Apple a davantage de difficultés à écouler des iPhones toujours plus chers. Ce n'est pas la lecture dominante. Quand des fournisseurs de la marque à la pomme réduisent leurs prévisions "à cause d'un important client" (Apple n'est jamais nommément cité), la plupart des observateurs considère que la totalité de la chaîne d'approvisionnement électronique est sous pression. Quand bien même les autres acteurs du secteur, les Samsung, les Huawei ou les Xiaomi, annonceraient des records de ventes, la méforme d'Apple ne traduirait qu'un ralentissement global et pas un problème intrinsèque au créateur de l'iPhone.
 
Ce postulat est sans doute en train de changer, en particulier parce que l'avance technologique, esthétique et qualitative du Californien se réduit, ou du moins qu'elle peine à justifier le surcoût qu'acceptaient de payer jusque-là les consommateurs. Il n'empêche, les avertissements des fournisseurs d'Apple sont toujours aussi dévastateurs pour la totalité de l'écosystème. Ce fut encore les cas cette semaine avec Lumentum, Japan Display et Qorvo. Au niveau boursier, la sanction porte d'ailleurs largement sur les fournisseurs. Un coup d'œil au graphique ci-dessous montre que l'action Apple a mieux résisté aux rumeurs qui circulent depuis quelques mois que ses fournisseurs.
 
 
Depuis le 1er janvier, Apple a (beaucoup) moins souffert que ses fournisseurs (Cliquer pour agrandir)
 
ST d'une Nokia à une Apple dépendance ?
 
En France, nous avons un cas concret de forme d'iPhone dépendance. Après plusieurs années de restructurations, STMicroelectronics a renoué avec une trajectoire de forte croissance. Le groupe s'est à nouveau hissé parmi les acteurs qui comptent dans le secteur, avec un bilan assaini, des opérations rationalisées, une présence sur plusieurs segments de pointe et le graal de l'époque, des composants retenus par Apple. Mais ST n'a pas tous ses œufs dans le même panier et dispose d'une base clients bien diversifiée. Ouvrons d'ailleurs une parenthèse à ce sujet : l'une des causes des longs déboires du Franco-Italien était liée à une certaine forme d'addiction : sa Nokia dépendance. Que les Millenials le croient ou pas, il fut un temps où le Finlandais détenait 40% des parts de marché mondiales du mobile, avant de rater totalement le virage du smartphone. A cette époque, ST était la star des fournisseurs de Nokia, qui représentait 17 à 18% de ses revenus sur la période 2001 à 2004, puis jusqu'à 22,4% en 2005. Autant dire que l'effondrement de l'ancien numéro un, juste avant la crise des subprimes qui plus est, a eu des conséquences terribles pour ST.
 

Un capteur TOF ST de dernière génération (Source STMicroelectronics)
 
Oddo BHF a produit un intéressant "What if" à ce propos ce matin. Le bureau d'études s'est demandé quelles seraient les conséquences d'une baisse de 20% des commandes d'Apple sur ST. Son scénario est construit sur des hypothèses maison puisque les données exactes sont, nous l'avons vu, maintenues au secret. Oddo estime que le contenu fourni par le Franco-Italien représente 5 USD par modèle d'iPhone, ce qui lui génère 1,15 milliard de dollars de revenus annuels (12% du chiffre d'affaires consolidé de ST). En partant du principe que la marge d'Ebit réalisée avec Apple atteint 12%, l'impact d'une baisse de 20% des commandes de composants aboutirait à une réduction de 3% du bénéfice net sur le T4 de ST (et de 2% en moyenne sur les trois autres trimestres). Conclusion d'Oddo ? L'impact "semble relativement limité au regard de la perception du risque de beaucoup d'investisseurs" et "la diversité des sources de revenus et donc de profits est aujourd'hui mal appréhendée, l'importance d'Apple étant surestimée".
 
Même si les chiffres ont été posés et démontrent qu'il y a une vie en dehors d'Apple, le compartiment technologique est toujours accro à l'iPhone. A tel point qu'un petit fournisseur niché au fin fond de l'Asie qui révise à la baisse ses objectifs peut faire vaciller les géants du smartphone et leurs fournisseurs en bourse. C'est la version moderne de l'effet papillon. ST peut en témoigner.