* La filière frappée de plein-fouet par l'effondrement des commandes d'avions

* La région toulousaine est extrêmement dépendante de l'aéronautique

* Le secteur paralysé après une année 2019 record

* L'Etat doit annoncer mardi un fond d'un milliard d'euros pour les équipementiers

par Johanna Decorse

TOULOUSE, 8 juin (Reuters) - Capitale européenne de l' aéronautique et du spatial, Toulouse pourrait être durement touchée par l'effondrement du trafic aérien mondial provoqué par la pandémie de coronavirus.

Derrière Airbus, qui a déjà réduit sa cadence de production de 30%, toute une filière redoute les conséquences en cascade sur l'emploi et un possible "syndrome Détroit" en référence à l'ancienne capitale américaine de l'automobile en déclin depuis les années 1970.

Portée par les prévisions du marché qui tablait sur plus de huit milliards de passagers par an en 2037 puis "sidérée" par l'arrêt brutal du transport aérien et son redémarrage qui s'annonce lent et difficile, la filière aéronautique en Occitanie accuse le coup depuis le début de la crise du COVID-19.

"Ce secteur représente 110.000 emplois dans la région, la sous-traitance à elle-seule, 86.000 emplois et les achats d'Airbus auprès des entreprises locales, 5 milliards d'euros. Quand Airbus tousse, tout le monde est malade", résume Alain Di Crescenzo, président de la Chambre de commerce et d'industrie Occitanie.

"Nos prévisions portent sur une baisse des achats de l'avionneur de 50% en 2020, d'un tiers en 2021 et de 25% l'année suivante. Si on réduit l’activité de 50%, c’est autant d’emplois qui se trouvent menacés, soit 40.000 emplois directs et autant d'emplois indirects", s'inquiète le président de la CCI régionale.

Alerté par les suppressions d'effectifs chez Boeing et Rolls Royce, Alain Di Crescenzo redoute un "double-réflexe" chez Airbus qui pousserait l'avionneur à "réinternaliser et restructurer".

"Aujourd'hui la filière aéronautique est sous perfusion mais quand les charges vont réapparaître, qu'il faudra rembourser les prêts garantis par l'Etat et arrêter le chômage partiel, c'est là que tout va commencer et que le syndrome Détroit pourrait se déclencher. Si on ne fait rien, on pourrait tuer la première filière aéronautique européenne", explique-t-il.

Malgré le plan de soutien que doit annoncer mardi le gouvernement, Alain Di Crescenzo redoute une "première vague de conséquences économiques et sociales entre l'été et la fin de l'année".

le gouvernement français devrait annonce mardi un fonds d'investissement doté d'environ un milliard d'euros pour venir en aide au secteur aéronautique, notamment ses sous-traitants.

Une échéance qu'entrevoit aussi Serge Dumas, à la tête de Gillis Aerospace, fabricant de vis et pièces de fixations pour l'aéronautique et le spatial, basé dans le Tarn-et-Garonne.

DE L'EUPHORIE À LA SIDÉRATION

"En février, nous étions en pleine euphorie, on pratiquait le juste à temps. En quelques jours, on est passés de l'accélération à fond au freinage à fond, à la sidération. On a mis un certain temps à prendre la mesure de ce qu'il se passait", raconte le dirigeant de cette PME de 45 personnes, au chiffre d'affaires de 5 millions d'euros.

Après avoir ajourné un investissement de 800.000 euros pour un nouveau bâtiment et une nouvelle machine, l'entreprise qui fournit Liebherr, Ratier-Figeac ou Latécoère, s'inquiète de devoir procéder à des "ajustements" sur ses effectifs.

"Au-delà de juillet les plannings de livraison s'effilochent car nos clients nous demandent de repousser nos livraisons à 2021. Le second semestre risque d'être difficile (…) Le mono-secteur c'est gravissime mais pour l'instant le bateau coule et apprendre des techniques de nage en plein naufrage, ce n'est pas possible", explique Serge Dumas.

Dans un rapport, fin avril, la Fondation Copernic, Attac, les Amis du Monde diplomatique et l'Université populaire de Toulouse, ont aussi émis l'hypothèse d'un "syndrome Détroit" à Toulouse et dénoncé "la cécité collective" qui depuis plus de trente ans, du fait de la mono-industrie, a entraîné la dépendance de l’économie locale au secteur aéronautique.

Aujourd'hui, les activités aéronautiques et spatiales représentent, selon les données de l'Insee, 70% du chiffre d'affaires des entreprises de la chaîne d'approvisionnement.

"Avant la crise sanitaire, la filière aéronautique régionale connaissait une phase de croissance très forte. 2019 a été l'année de tous les records dans ce secteur tiré par les succès d'Airbus. La chute a été d'autant plus brutale, le choc d'autant plus fort", explique Caroline Jamet, directrice régionale Insee Occitanie.

Trois entreprises sur dix de la filière dépendent à plus de 50% du marché aéronautique et d'un client principal confirme l'Insee qui au 7 mai, estimait à –38% la baisse d'activité globale en Haute-Garonne, contre -33% au plan national. Un recul plus prononcé directement lié, selon l'institut de statistique, aux difficultés du secteur aéronautique et de sa locomotive, Airbus.

"Inquiet à court terme", Jean-Luc Moudenc, maire LR de Toulouse, réfute néanmoins tout scénario catastrophe "à la Détroit".

Pour l'élu toulousain, la "relance de l'aéronautique" doit se faire en accélérant certaines mutations et notamment "la décarbonation de la filière".

"Nos entreprises ont un tel savoir-faire qu'elles peuvent se diversifier dans d'autres domaines: la défense, la médecine ou l'énergie", affirme Jean-Luc Moudenc. (Johanna Decorse, édité par Jean-Michel Bélot)