LONDRES (awp/afp) - Le puissant secteur de l'audit, dominé par les quatre géants, est contraint de se réinventer au Royaume-Uni après avoir vu sa réputation ternie par une série de scandales, dont le dernier en date est la faillite de Wirecard.

Pour créer plus de concurrence et éviter les conflits d'intérêts, les autorités britanniques veulent réduire le pouvoir des "Big Four", à savoir Deloitte, EY, KPMG et PWC.

Le ministère des Entreprises doit publier avant Noël une série de propositions au moment où EY est particulièrement pointé du doigt pour son implication dans plusieurs affaires ayant défrayé la chronique.

"Renforcer la gouvernance et le fonctionnement du secteur de l'audit permettra au Royaume-Uni d'être un leader mondial dans la transparence et de posséder les normes les plus strictes", selon un porte-parole du ministère.

Pour Simon Youel, un responsable de l'ONG Positive Money, il y a "un vrai problème avec le marché britannique qui est dominé par ces quatre entreprises".

"Elles n'ont pas cessé d'échouer", explique-t-il à l'AFP.

EY était chargé de valider les comptes de la société allemande de paiements électroniques Wirecard, qui a fait faillite en juin au prix d'un retentissant scandale.

Le groupe d'audit fait maintenant l'objet de centaines de poursuites de la part d'investisseurs, entre autres, en Allemagne.

Certains analystes ont même fait le rapprochement avec la faillite du courtier américain en énergie Enron en 2001 qui a entraîné la chute du cabinet Andersen, alors membre du "Big Five".

EY est aussi mis en cause pour ne pas avoir identifié des irrégularités comptables massives dans le groupe d'hôpitaux NMC Health aux Emirats arabes unis, aujourd'hui en dépôt de bilan et dont les administrateurs le poursuivent.

Et toujours le même cabinet d'audit est accusée de n'avoir pas alerté sur des milliards d'euros de transactions douteuses dans les comptes de la première banque danoise Danske Bank lorsqu'il les auditait en 2014.

Réforme radicale?

L'ONG Spotlight on Corruption est allée jusqu'à demander à une agence gouvernementale britannique d'interdire à EY de participer à des appels d'offres publics au Royaume-Uni pour trois ans. Elle dénonce des "manquements professionnels graves" et exige un signal fort du gouvernement pour ne pas laisser passer des dérives dans cette profession centrale dans la vie économique.

Le cabinet d'audit se défend et rejette "fortement" les accusations le concernant, assurant que le secteur est déjà très encadré.

Depuis plusieurs années, l'étau se resserre pourtant autour de la profession, qui n'a pas vu venir ou détecté plusieurs faillites emblématiques au Royaume-Uni, comme celle de la chaîne de magasins BHS en 2016 (PwC), de la société de construction Carillion en 2018 (KPMG) et du voyagiste Thomas Cook en 2019 - (EY).

Deloitte a quant à lui écopé d'une amende de 15 millions de livres en septembre pour de sérieux manquements dans son audit de la société de logiciels Autonomy avant son rachat désastreux par le géant américain Hewlett-Packard en 2011.

Pour Laura Empson, professeure à la City University de Londres, le problème réside dans le "décalage entre les réglementations des gouvernements, les motivations des cabinets et les attentes de la société", ce qui explique "les dégâts en terme de réputation ces dernières années".

Elle assure toutefois que cette vague de scandales "a donné aux dirigeants de ces entreprises la possibilité et l'autorité dont ils avaient besoin pour entreprendre des changements qui étaient inconcevables auparavant", selon Mme Empson.

Reste désormais au gouvernement à légiférer ce qu'il a semblé peu pressé de faire jusqu'à présent.

L'autorité de la concurrence du Royaume-Uni a proposé une réforme radicale visant à obliger les firmes du secteur à séparer leurs activités d'audit de celles de conseil.

Il s'agit d'en finir avec les possibles conflits d'intérêt au sein des cabinets qui sont supposés valider les comptes d'entreprises auxquelles ils peuvent fournir par ailleurs des conseils sur leur stratégie ou leurs finances.

De tels conflits qui étaient au coeur du modèle des agences de notation notamment avant la crise financière, contribuant à faire passer pour sur des produits dérivés très spéculatifs.

Pour John Gilligan, de l'université d'Oxford, "il ne serait dans l'intérêt de personne qu'un des Big Four disparaisse".

Selon lui, "il faut un marché de l'audit plus divers" et "la question est de savoir comment il est possible d'arriver à 5".

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