Graphique Elanders AB

Elanders est contrôlé par le milliardaire Carl Bennett, président de Getinge (groupe de santé suédois) et du conglomérat industriel Lifco (un "serial acquirer" avec une très bonne réputation). Carl Bennett est réputé pour être un investisseur prudent et conservateur. Un ancien dirigeant de Lifco le décrivait d'ailleurs comme adepte d'un "bon sens paysan à la française" (littéralement) qui se tient à l'écart des projets spéculatifs et comprend qu'un investissement ne se justifie que par son ROI (Return On Investment). 

Le groupe exploite un portefeuille d'activités complémentaires dans la logistique (75% du chiffre d’affaires) et l'imprimerie/le packaging (25% du chiffre d’affaires). 

Dans la logistique (le focus du groupe, et là où se trouve le principal potentiel de croissance et où se concentrent ses investissements), le groupe exerce ses activités principalement via les marques suivantes : LGI, Mentor Media et ITG. Dans l'imprimerie, les marques sont : Elanders, d|o|m, fotokasten et myphotobook. Les deux segments affichent des profils de marge assez comparables (marge d'EBIT de 5-6%) et sont tous deux très capitalistiques, la logistique plus encore que le print, du moins dans l'effort d'expansion actuel. 

Concernant la logistique, les marges sont dans la moyenne haute des acteurs bien gérés en Europe (à l’image de STEF et ID Logistics, dont vous retrouverez une analyse détaillée ici et ). 

L'originalité du modèle d'Elanders, outre les activités complémentaires gérées sous le même toit (car les logisticiens ont naturellement de gros besoins en imprimerie et en packaging), réside dans sa stratégie commerciale qui vise à placer le groupe comme un partenaire plutôt qu'un simple prestataire de grands industriels. En réalité, ce qu'il propose à ses clients c'est carrément de lui sous-traiter un maximum leur supply chain, aussi bien en input (approvisionnement) qu'en output (expéditions au client). 

Cette proposition de valeur est bien sûr appréciable car elle permet à des industriels dont ce n'est pas le métier de déléguer la gestion complexe et coûteuse de leurs activités logistiques à un spécialiste et ainsi de protéger leurs marges et leurs retours sur capitaux. Le management voit dans cette tendance (l'outsourcing de supply chain) une opportunité durable à long terme.

Cela dit, le segment "print" conserve un portefeuille d'activités retail dans l'édition ou le service en ligne (imprimer ses photos par exemple) non-stratégiques mais a priori lucratifs. Plus généralement, dans ces activités print,  être en Suède offre à Elanders un avantage de taille par rapport à ses pairs continentaux : un supply cost plus bas puisque la matière première (papier/bois) est plus proche et abondamment disponible dans ces hautes terres scandinaves. 

Elanders réalise la moitié de son chiffre d’affaires en Allemagne où le groupe entretient notamment des liens très étroits avec l'industrie automobile germanique. Si l'on prend l'Allemagne, les Etats-Unis et Singapour ensemble, ce sont les ⅔ du chiffre d’affaires d’Elanders. A noter que deux clients apportent ¼ du chiffre d’affaires. Par ailleurs le groupe est principalement exposé (60% de son CA) à deux industries en particulier : la mode et le lifestyle (notamment pour capitaliser sur la vente en ligne et la difficulté logistique qui avec) et l'électronique. 

Il ne faut donc pas s’y méprendre : Elanders est en réalité assez concentré et ceci pourrait bien sûr représenter un risque majeur et justifier ainsi la valorisation actuelle. Cela dit, s'il y a des grands groupes industriels avec des supply chain complexes à sous-traiter c'est bien en Allemagne et aux Etats-Unis. 

Au niveau de la dynamique financière (on analysera les données en USD plutôt qu'en SEK pour assurer une meilleure lisibilité) à un cours de 140 SEK, nous sommes sur une capitalisation boursière de 400 millions de dollars, c’est-à-dire que le groupe cote à moins de trois fois son profit cash moyen (free cash flow) sur les trois dernières années (qui sont sur un périmètre comparable, quoiqu'il faille bien dire que le free cash flow en 2020 a été fortuitement gonflé par une grosse libération de BFR, le besoin en fonds de roulement).

Ce type de valorisation est généralement réservée aux business voués à une mort quasi certaine à court terme. La valorisation actuelle reflète peut-être la conjoncture extrêmement difficile en Allemagne ainsi que les difficultés de supply chain dans les semiconducteurs qui selon le management ont pas mal affecté le groupe. Mais tout de même, elle semble exagérément faible. 

Côté bilan comptable, il est tout à fait correct avec une dette à long terme entre deux et trois fois le free cash flow, et deux fois l’EBITDA. Sa charge d'intérêt est amplement couverte par l'EBIT (plus de cinq fois). Il faut s'attendre à une compression du profit d'exploitation cette année (effet conjugué de la hausse de l'énergie et de la récession économique). Cela explique sans doute la valorisation actuelle, en plus de la réaction allergique des investisseurs dès qu'ils entendent le mot "imprimerie" (c'est comme ça qu'Elanders ressort sur la majorité des screeners, alors que les ¾ du chiffre d’affaires sont liés à l'activité logistique). 

Source : Elanders - Annual Report 2021 

Si l'on veut être plus conservateur (c’est-à-dire ne pas supposer intuitivement que Elanders pourra refinancer sa dette) et qu'on part sur une base de valeur d'entreprise (capitalisation boursière + dette nette + plan de pension et provision long terme), nous sommes environ sur un multiple de 7-8 fois le profit cash moyen des trois dernières années (valeur d’entreprise de 1 milliard de dollars face à un free cash flow annuel moyen sur les trois dernières années de 144 millions de dollars). Ça reste très abordable. 

Pourtant, loin de décliner, les analystes parient sur une forte expansion du chiffre d’affaires ces trois prochaines années suite aux diverses acquisitions réalisées récemment par le groupe. 

Source : Zonebourse 

D'ailleurs, le parcours de croissance sur la dernière décennie est épatant : le chiffre d’affaires croît à un CAGR de 17% entre 2011 et 2021 et le free cash flow annuel croît à un CAGR de 31%. Sur une base par action (car il y a diverses augmentations de capital pour  financer la croissance externe), nous sommes sur un free cash flow qui croît à un CAGR de 22% depuis 10 ans. Cela reste épatant et cela prouve qu'on peut croître même dans une industrie en déclin. Le fait que les profits croissent à rythme plus soutenu que les revenus est un signe de bonne gestion et d'acquisitions a priori bien intégrées. 

Comme de nombreux groupes scandinaves, Elanders est donc un bon acquéreur qui sait dégager des ROI sur ses opérations de croissance externe. Cela vient généralement aux dépens de la profitabilité mais on observe, après une longue érosion, que les marges semblent s'être plus ou moins stabilisées. 

Pour l'analyse, mieux vaut se baser sur le free cash flow car il est très supérieur au profit comptable grévé par de gros amortissements suite aux M&A. On est sur un D&A (Depreciation & Amortization) de près de trois fois supérieur aux investissements réels (capex) !

Concernant l’allocation du capital : sur les 10 dernières années, la société a créé 532 millions de dollars de free cash flow cumulé, dont les ⅘ sont partis en acquisition et ⅕ ont été distribué en dividendes. Clairement, la stratégie est ici de développer agressivement l'activité logistique et mettre un focus sur la croissance. 

Les récents rachats d'insiders, certes anecdotiques, mais tout de même toujours plus encourageant que des ventes, associés à une valorisation particulièrement attrayante pour un titre plutôt en bon point en font un dossier attractif. C’est une situation qui peut intéresser les professionnels mais également les particuliers spécialisés dans le value investing