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Qui possède la dette amércaine ? (Source : CSIS China Power)

Vous avez probablement déjà lu ou entendu que la Chine “tient” les États-Unis en détenant une somme considérable de leur dette publique. Avec un peu moins de 1.000 milliards de bons du Trésor américain libellés en dollar, il est vrai que la Chine détient l’une des plus importantes créances internationales de dette américaine. Pour être tout à fait précis, il s’agit même du second plus large créancier, juste derrière le Japon. Mais une différence de taille existe : l’état des relations diplomatiques entre l’Oncle Sam et Xi Jinping.

Au-delà d’une arme économique, l’importante détention de dette américaine permet également au yuan d'être maintenu artificiellement bas, favorisant ainsi les exportations chinoises en les rendant comparativement moins chères que les exportations américaines. Si tout cela est, sans mauvais jeu de mot, un peu du chinois pour vous, vous êtes tombé au bon endroit. Nous allons revenir sur le concept des réserves de change afin de comprendre leurs rôles et implications dans l’économie mondiale. 

Qu'est-ce qu'on entend par réserves de change ?

Les réserves de change ne sont ni plus ni moins que les réserves d’une banque centrale en devises - monnaies - étrangères. Les réserves de devises prennent généralement la forme de bons et d’obligations du Trésor d’États étrangers, ce qui permet à ces réserves de rapporter des intérêts et donc un certain rendement tout en restant extrêmement liquides. Une exception notable toutefois : les réserves d’or sont incluses dans la composition des réserves de change. L’or est, stricto sensu, effectivement une réserve de valeur. Ainsi, la Banque Centrale Européenne - BCE - détient dans ses coffres une montagne de dollars, de yens et de renminbis, des droits de tirage spéciaux (outil créé par le FMI sur la base d'un panier de devises) et de l’or.

Pour se constituer ces réserves de change, une banque centrale a deux possibilités :  

  • La première méthode est purement arbitraire et consiste simplement à acheter des devises étrangères contre sa monnaie de référence. Le but étant de se constituer des réserves en devises étrangères ou en or - puisque l’or est principalement libellé en USD. Pour les plus curieux, il est possible de suivre les stocks d’or des différentes banques centrales - à supposer qu’ils sont correctement renseignés. Ou en plus austère ici pour les actifs de la BCE.
  • La seconde méthode est plus passive puisqu'elle concerne le rôle d'agent de change en dernier ressort de la banque centrale. Prenons un exemple. Lorsqu’une entreprise exporte des biens ou des services, mettons LVMH, elle reçoit des paiements en devises étrangères. Le groupe français vend une part importante de biens en Chine et aux États-Unis. Conséquence de ces ventes internationales, LVMH reçoit des paiements en euros mais également en dollars américains et en renminbis (ou yuans, ou CNY). Une fois les paiements collectés, LVMH choisira probablement de conserver une petite partie de ces monnaies étrangères afin d’assurer ses propres opérations et investissements à l'étranger mais convertira sans doute  l’essentiel de ses recettes en devises étrangères dans sa monnaie de référence, à savoir l’euro, puisque c’est la devise dans laquelle le groupe règle ses impôts et paye ses salariés, dividendes, dettes, intérêts et quelques fournisseurs. Pour ce faire, LVMH se tournera vers ses banques, qui joueront le rôle d’intermédiaire entre leur banque centrale de tutelle et LVMH dans les opérations d’échanges de devises.

Mais à quoi servent concrètement les réserves de change ?

Les réserves de change jouent plusieurs rôles dans l’économie mondiale et sont notamment liées directement ou indirectement aux taux de change et à l’inflation. Les réserves de change ont également une dimension stratégique en assurant solvabilité et liquidité tout en jouant également un potentiel rôle de coussin en cas de crise. Bref, les applications sont nombreuses. Entrons un peu plus dans le détail.

Les réserves de change permettent ainsi de :

  • Contrôler - du moins partiellement - la valeur de la monnaie nationale. Dans le cas d’un pays exportateur comme la Chine, il existe un intérêt logique à conserver une monnaie plus faible que celle de ses marchés d’export. Cela rend les exportations moins chères pour le pays client, rendant donc les biens et services exportés plus compétitifs que les biens et services domestiques du pays importateur. Pour assurer cela, la Chine achètera d'importantes quantités de cette devise étrangères comme ce fut le cas entre 2000 et 2010 avec le dollar, pour maintenir le renminbi relativement bas. Il s’agit simplement du mécanisme de l’offre et la demande. Ce mécanisme est aussi la raison pour laquelle les actions japonaises montent quand le yen recule : l’économie nippone étant largement tournée vers l’extérieur, une monnaie compétitive est censée la favoriser. Enfin recule dans une certaine mesure : les effets bénéfiques commencent à s’estomper quand le yen s’affaiblit trop rapidement, comme c’est actuellement le cas. Mais c’est une autre histoire. 
  • À contrôler - du moins indirectement - l'inflation. Comme nous venons de le voir, en jouant sur ses réserves de change, un pays peut manipuler son taux de change. Il est donc possible pour un pays de créer une inflation artificielle en dépréciant sa monnaie rendant, certes les exportations plus compétitives mais rendant également les importations biens plus onéreuses. Mais le mécanisme de contrôle de valeur de la monnaie nationale peut aussi marcher en sens inverse. Par exemple, la banque centrale japonaise peut entreprendre de vendre de larges quantités de dollars américains contre des yen afin de booster la valeur de sa monnaie (hausse de la demande = hausse de prix). Une banque centrale comme la BoJ joue donc toujours un délicat numéro d'équilibriste : elle doit garder la valeur de sa monnaie "faible" pour favoriser les exportations sans pour autant la rendre trop faible dans quel cas une inflation excessive sur les importations - dont dépend fortement la demande nationale japonaise - punirait fortement les agents économiques japonais. 
  • À assurer une bonne liquidité aux agents économiques du pays en particulier pour protéger les importations stratégiques. Par exemple, la Bank-Al Maghrib (Banque centrale marocaine) annonçait fin août 2020 qu’elle détenait 36,23 milliards de dollars en réserves de change à fin 2020, soit près de 7 mois d’importation des biens et services. Posséder d’importantes réserves de changes permet à un pays de conserver des liquidités suffisantes pour certaines importations clés telles que les denrées alimentaires ou les hydrocarbures essentielles à la population. Comme ces dernières s'échangent sur les marchés mondiaux principalement en dollar américain, les agents économiques du pays doivent toujours garder des USD sous la main. En cas de stress économique la banque centrale doit etre capable de les assister, faute de quoi le pays peut se retrouver incapable d'importer ces ressources essentielles !
  • À jouer le rôle d'amortisseur pour absorber de graves chocs économiques imprévus, que ce soit des récessions majeures, des guerres ou des tremblements de terre. Ce type d'évènements à pour effet de tarir les exportations et donc les entrées de devises étrangères, ce qui peut compromettre les importations de ressources stratégiques si une crise de liquidités avait lieu. Les déposants étrangers ont également tendance à fuir les pays sujets à ces événements et vont ainsi retirer leurs capitaux pour les déposer dans des pays plus sûrs. Phénomène d’aversion au risque ou de "flight to safety". Par exemple, après Fukushima les déposants ont sorti leurs dollars du Japon à un rythme alarmant. Pour rassurer les marchés, les investisseurs internationaux et les partenaires industriels, il est donc essentiel qu'une autorité souveraine dispose d'une réserve capable d'absorber ces chocs.
  • À honorer les obligations financières et assurer la solvabilité. Beaucoup de pays en développement - par exemple l’Ouganda ou le Vietnam - ont des monnaies qui historiquement n'invitent pas réellement à la confiance des investisseurs étrangers - car leurs états impriment de la monnaie à tout va, la dépréciant par la même occasion. Lorsque ces Etats empruntent sur les marchés internationaux, ils doivent donc le faire en dollars américains ou en euros afin de satisfaire leurs créanciers. Il est donc essentiel que leurs banques centrales conservent des stocks de dollars américains ou d’euros pour assurer en tout temps le bon règlement de leurs obligations. Un dollar américain très élevé, comme c’est le cas actuellement, va donc rendre la valeur des flux d’une obligation - remboursement du principal mais aussi des intérêts - bien plus élevée en devise locale. Ce qui alourdit le poids de la dette : c’est le problème actuel des pays émergents, qui voient le coût de leur dette enfler. A l’inverse, le Japon ou la Chine, qui nous l’avons vu sont de gros porteurs de dette américaine, profitent de flux plus importants une fois convertis en devises de référence.
  • Dans le même esprit, d'importantes réserves de changes peuvent aussi soutenir le développement économique d’un pays en servant de caution pour emprunter des USD pour financer de grands programmes d'infrastructures. Effectivement, il faudra nécessairement des dollars américains car les contracteurs internationaux qui viendront construire routes,  barrages ou ponts ne voudront pas être payés en devise locale.
  • Enfin les réserves de changes sont aussi utilisées dans une logique de couverture pour diversifier les avoirs d'une banque centraleet assurer une meilleure rentabilité de ses actifs. Une banque centrale restant une banque, elle a tout intérêt à ce que ses actifs - ici ses liquidités - lui rapportent le meilleur rendement ajusté du risque. Les banques centrales possédant d’importante quantité de dollars américains seront donc sans doute heureuses de leur politique d’allocation dans le contexte actuel - les dollars américains étant mieux rémunérés que les euros ou le renminbi.

Le cas de la Chine

    Pour revenir à la dette américaine que possède la Chine, cette réserve a principalement été constituée grâce aux importants excédents commerciaux Chinois. Ainsi, la banque centrale Chinoise - BPC - a reçu d’importantes quantités de dollars américains via les transactions des entreprises chinoises sous sa gouvernance. La Banque Centrale Chinoise a ainsi accumulé d’importantes réserves de changes qu’elle a ensuite utilisé pour acheter des actifs libellés en dollars américains, dont principalement des bons du Trésor - i.e. de la dette américaine. Ces actifs étant très liquides, ils sont inclus dans les réserves de change. Mais que se passerait-il si la Chine vendait tous les titres de dette américaine qu'elle détient ?

    • Primo, le montant de dette américaine détenue par la Chine est certes impressionnant dans l’absolu, mais il reste acceptable une fois comparé à l'entièreté de la dette américaine.
    • Toujours est-il, si la Chine devait commencer à se débarrasser de la dette américaine de manière très agressive, cela pourrait, dans le pire des cas, déclencher une liquidation sur le marché obligataire, faisant ainsi grimper les taux d'intérêt et nuisant potentiellement à la croissance économique américaine. Mais une vente soudaine pourrait également entraîner une baisse du dollar américain par rapport au yuan, rendant les exportations chinoises plus chères. Et un dollar plus faible aurait pour conséquence que la Chine gagnerait moins d'argent sur ses ventes d'obligations, en termes de yuan. Pour aller encore un peu plus loin, une liquidation ferait également chuter la valeur de marché de la dette américaine, entraînant des pertes financières importantes pour la Chine et rendant la dette américaine moins chère à racheter pour les Etats-Unis- notamment en utilisant ses réserves de changes libellées en yuan. La relation est bien plus complexe mais cela vous donne un aperçu du champ des possibles. Toujours est-il, il est important de comprendre qu’une liquidation de la dette américaine serait très probablement autant pénalisante pour la Chine que pour les Etats-Unis.

    Pour toutes ces raisons, la gestion des réserves de change est un authentique instrument de souveraineté mais également un très subtil numéro d'équilibriste dont les nombreux enjeux et répercussions économico-politiques sont, pour nous simples commentateurs, totalement inconnus.