Credit Suisse, UBS, Barclays et Deutsche Bank étaient autrefois chacune supérieure en taille à Morgan Stanley. Son directeur général James Gorman a beau jeu de souligner qu'aujourd'hui Morgan affiche une capitalisation boursière égale à la somme de celles de ses rivales européennes — un calcul il est vrai facilité par la récente déroute de Credit Suisse. 

Si la décennie qui s'achève fut difficile pour les banques d'investissement européennes, leurs semblables américaines ont au contraire profité d'un cycle béni, entre autres grâce à un régulateur moins tatillon et à des taux au plancher qui dopèrent les opérations de fusion-acquisition et soutinrent le dynamisme des marchés financiers.

Dans ce contexte, Morgan Stanley a doublé son chiffre d'affaires — passé de $26 à $53 milliards — entre 2012 et 2022. Le résultat net évolue désormais dans un territoire à deux chiffres, et en termes de rentabilité la banque fait jeu égal avec Goldman et JPMorgan.  

Ce parcours doit beaucoup à la stratégie de James Gorman, largement axée autour du développement de l'activité de gestion d'actifs. Plus rentable que l'activité de banque d'investissement, celle-ci représente désormais la moitié du profit de Morgan Stanley, contre moins d'un quart lors de l'arrivée de Gorman aux commandes de la banque en 2010.

Désigné à l'automne dernier, son successeur Ted Pick — un vétéran de Morgan avec 33 années de maison au compteur — aura sans doute du mal à reproduire une telle performance. Les marchés sont en haut de cycle et il y a fort à parier que les taux seront plus élevés sur la prochaine décennie qu'ils ne l'ont été au long de celle qui s'achève.

A cet égard, les ambitions de Gorman d'atteindre $20 trilliards d'actifs sous gestion d'ici dix ans — contre $6.5 trilliards aujourd'hui — apparaissent fort audacieuses. Quant à l'activité de banque d'investissement, on y observe déjà de très nets signes de repli, chez Morgan Stanley comme chez ses pairs. 

Ces deux dernières années, la banque retourne davantage de capital à ses actionnaires — plus de $15 milliards par an, essentiellement via des rachats d'actions — que son nemesis Goldman Sachs, et davantage aussi que ses profits réalisés. D'aucuns sous-entendent que Gorman entend tirer sa révérence sur un beau finish. 

Il n'est toutefois pas certain que de telles largesses soient soutenables. C'est d'ailleurs ce que semble penser le marché : après une année record en 2023, les multiples de valorisation de l'action retendent vers leurs moyennes historiques pour les exercices 2024 et 2025.