par Lisa Richwine et Jill Serjeant

LOS ANGELES/NEW YORK, 1er janvier (Reuters) - En plus des hommages rendus à sa carrière, la mort de l'actrice américaine Carrie Fisher, interprète de la princesse Leia dans "Star Wars", a suscité des questions sur la "résurrection numérique" des acteurs que permet la technologie.

Dans "Rogue One: A Star Wars Story", film dérivé de la saga sorti le mois dernier sur les écrans, la production a recomposé le personnage de Grand Moff Tarkin, numérisant le visage de son interprète original, l'acteur britannique Peter Cushing pourtant mort en 1994, et le projetant sur le corps d'une doublure numérique.

Le même procédé a été utilisé pour insérer vers la fin du film des images de Carrie Fisher/Leia jeune.

L'actrice sera à titre posthume à l'affiche du prochain Star Wars, dont la sortie est prévue cette année. Elle avait achevé le tournage de ses scènes. Pour ce qui est de l'épisode 9 de la saga, annoncé pour 2019, son personnage pourrait lui survivre grâce aux mêmes techniques de numérisation.

Cette prouesse n'est pas inédite - l'acteur Paul Walker, mort en 2013 dans un accident de la route, est réapparu en 2015 dans le septième épisode de la saga "Fast & Furious". Mais les progrès technologiques la rendent de plus en plus accessible, conduisant les acteurs hollywoodiens à réfléchir à l'utilisation qui sera faite de leur image après leur mort.

LE TESTAMENT DE ROBIN WILLIAMS

"Les célébrités sont de plus en plus enclines à planifier la protection de leurs droits liés à la propriété intellectuelle. Elles comprennent que leur legs leur survivra bien après leur mort", note Mark Roesler, juriste et président de CMG Worldwide, une agence spécialisée dans la gestion des successions de célébrités.

Au moins 25 de ses clients, dit-il, négocient activement l'utilisation qui pourra être faite après leur décès de leur image via les techniques d'imagerie générée par ordinateur (CGI) dans des films, à la télévision ou dans des publicités.

Certains acteurs ou leurs ayants-droit redoutent une sur-exploitation. D'autres, ajoute Roesler, ne veulent pas que leur image soit utilisée post mortem dans des scènes de sexe ou de violences ou associée à l'alcool ou à la drogue.

La loi californienne prévoit depuis 1985 déjà que les studios sollicitent et obtiennent une autorisation des ayants-droit pour exploiter l'image d'un acteur ou d'une actrice dans un délai de soixante-dix ans suivant le décès.

Des comédiens préfèrent anticiper en prenant des dispositions précises. Robin Williams, qui s'est suicidé en 2014, a ainsi interdit jusqu'en 2039 l'utilisation de son image dans des spots publicitaires.

Il a également bloqué toute "insertion numérique" ou utilisation d'un hologramme le représentant au cinéma ou à la télévision - en 2012, un hologramme du rappeur Tupac Shakur est apparu sur la scène du festival californien de Coachella seize ans après son assassinat.

Walt Disney, qui a racheté en 2012 pour quatre milliards de dollars la société Lucasfilm, le producteur historique de la Guerre des étoiles, a refusé de commenter les spéculations sur la présence de la princesse Leia dans l'épisode 9 de la série.

Le conseiller juridique de l'actrice, Frederick Bimbler, n'a pas répondu à nos sollicitations et on ignore si Carrie Fisher, morte le 27 décembre à l'âge de 60 ans, a laissé des instructions en la matière.

LE SYNDICAT DES ACTEURS EN CAMPAGNE

Face aux possibilités permises par les progrès de la technologie numérique, le syndicat professionnel des acteurs, la Screen Actors Guild SAG-AFTRA, mène campagne pour que tous les Etats du pays se dotent d'une législation comparable à la loi californienne de 1985 pour protéger le legs artistique des acteurs.

Le Minnesota a entrepris ce travail législatif après la mort l'année dernière du chanteur et musicien Prince, qui était natif de Minneapolis.

Les décès de célébrités ont souvent pour effet de relancer spectaculairement les ventes de leurs disques ou l'exploitation de leurs films. Le magazine Forbes établit un classement des recettes annuelles générées par la commercialisation des oeuvres d'artistes décédés. Michael Jackson et Elvis Presley arrivent régulièrement en tête avec des revenus qui se chiffrent en dizaines de millions de dollars.

"Pour nous, la question est simple et claire: l'utilisation de cette manière du travail d'un artiste a une valeur économique évidente et devrait donc être traitée en conséquence", explique un porte-parole de la SAG-AFTRA.

Au-delà se pose un autre problème, artistique celui-là. Malgré les progrès, la résurrection numérique demeure imparfaite et produit un décalage de réalisme entre ces avatars et les acteurs véritables.

"La plupart des professionnels du secteur du cinéma ne pensent pas que cette technologie soit parfaitement au point", estime le juriste Mark Litwak. "C'est incroyable de pouvoir le faire, mais ce n'est pas aussi bon qu'avec un véritable acteur. C'est encore un peu artificiel", ajoute ce spécialiste du droit du divertissement installé à Los Angeles.

Quand on lui demande son opinion sur l'insertion d'une Carrie Fisher numérisée dans les prochains Star Wars, il s'interroge: "Est-ce que Disney souhaite vraiment que les spectateurs scrutent l'écran pour déterminer le degré de réalisme de ce personnage de synthèse plutôt que de parler du film en lui-même ?" (Henri-Pierre André pour le service français)