Si l'extraction d'hydrocarbures reste une activité cyclique, capitalistique et périlleuse, Tourmaline, qui vient d'annoncer ses résultats annuels, fait bande à part et affiche un parcours opérationnel et financier hors-du-commun.

Trois principales raisons expliquent sa performance de premier de classe : des gisements de qualité exceptionnelle au coeur du Cardium, dans le Deep Basin et le Montney ; une infrastructure midstream intégrée, détenue en propre et reliée aux grands réseaux de pipelines nord-américains ; et un management d'élite emmené par Mike Rose, qui possède personnellement 4.8% du capital et n'a cesse de se renforcer, y compris aux cours du moment.

Ces deux premiers atouts permettent à Tourmaline de remporter haut la main la palme du producteur à plus bas prix — condition de survie sine qua none dans l'industrie des matières premières — aux côtés de Peyto, son comparable le plus direct, toujours présidé par une autre star du "oil patch" canadien, Don Gray. 

On notera aussi la part significative de "liquids" — pétrole, condensats de gaz naturel, etc. — dans le mix de production, assurance de meilleures marges et de relative indépendance vis-à-vis des cours du gaz, structurellement capricieux.

Avec deux milliards de barils et équivalents en réserves prouvées, plus deux autres milliards en réserves probables, soit entre 12 et 18 ans de production à rythme constant, hors infrastructures midstream les immobilisations de Tourmaline valent à elles seules entre $15 et $25 milliards — en dollars canadiens, avec un taux d'actualisation très conservateur puisque compris entre 15% et 20%.

La valeur d'entreprise actuelle reflète très précisément cette estimation. On a ici compté le $1 milliard du fonds de roulement et les actifs midstream pour zéro, et considéré que le coût d'abandon des puits était couvert par le taux d'actualisation retenu, inhabituellement élevé. Sur le marché privé, c'est le traditionnel 10% de taux d'actualisation qui prime : il vaudrait ici à Tourmaline une valeur de $25 à $35 milliards pour ses réserves.

Au niveau opérationnel, l'entreprise a doublé sa production en cinq ans, de 250 000 à 500 000 équivalents baril par jour entre 2017 et 2022. Le management, connu pour la fiabilité de ses projections, prévoit d'atteindre 700 000 équivalents baril par jour d'ici 2028.

Ceci sans augmentation de l'endettement, déjà quasi nul. Au contraire : à cette échéance, Tourmaline entend atteindre un surplus après dividende de base de $7 milliards. Ce dernier sera à répartir entre dividendes spéciaux — une spécialité du producteur, qui maintient un dividende de base assez faible par prudence — et opérations de croissance externe, où son historique de rentabilité est là aussi excellent. 

Au cours de $60 l'action, le producteur est valorisé à la hauteur de la somme des profits qu'il projette de générer sur les huit à dix prochaines années. Sans perdre de vue les impondérables, en premier chef les fluctuations des cours des hydrocarbures en Amérique du Nord, on rappellera qu'en matière de projections l'historique du management a toujours été d'une remarquable fiabilité, et que Tourmaline dispose d'un des meilleurs bilans de son secteur. 

Le prix du gaz est souvent déprimé en fin de saison hivernale. Cette année ne fait pas exception : la situation mérite d'être surveillée du coin de l'oeil, en particulier si la valorisation de Tourmaline accusait le coup — si par exemple elle revenait sur son plancher de $40 par titre, un niveau atteint pour la première fois en 2013 avec une production cinq fois inférieure à celle d'aujourd'hui.