VIENNE/KYIV (Reuters) - Le chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Rafael Grossi, a annoncé vendredi que six membres de l'agence onusienne étaient restés à la centrale nucléaire de Zaporijjia et qu'il rendrait compte de sa mission d'inspection en début de semaine, alors que Kyiv a dénoncé des "interférences" russes.

S'exprimant pendant une conférence de presse à son retour à Vienne, en Autriche, Rafael Grossi a dit que la délégation de l'AIEA avait eu accès à tout ce qu'elle avait demandé pendant son inspection de 24 heures dans la centrale du sud-est de l'Ukraine occupée par l'armée russe.

Il a précisé qu'il n'avait pas eu de contact avec les militaires russes et qu'il n'avait pas pu leur poser de questions, alors que Moscou et Kyiv s'accusent mutuellement depuis des semaines de bombarder la centrale située près de la ligne de front.

Rafael Grossi a indiqué que six des quatorze membres de la délégation étaient restés sur place et que deux d'entre eux y demeureraient sur la durée, après le départ des quatre autres prévu la semaine prochaine. Moscou avait donné son accord sur ce point plus tôt dans la journée.

Le directeur général de l'AIEA a dit prévoir de rendre son rapport sur la sûreté de la plus grande centrale nucléaire d'Europe en début de semaine prochaine.

L'Onu, l'Ukraine et ses alliés occidentaux ont appelé à de multiples reprises à une démilitarisation de la centrale de Zaporijjia pour éviter tout risque de catastrophe nucléaire, une mesure rejetée par la Russie qui refuse d'en abandonner le contrôle alors qu'elle ambitionnerait au contraire d'en rediriger l'électricité vers les régions qu'elle contrôle, à commencer par la Crimée annexée en 2014.

ENERGOATOM DÉNONCE DES OBSTRUCTIONS RUSSES

Alors que Kyiv a dénoncé ces dernières semaines la présence d'armes russes dans le périmètre de la centrale, l'énergéticien public ukrainien Energoatom a affirmé que la Russie n'avait pas autorisé la délégation onusienne à "pénétrer dans le centre de crise où sont actuellement stationnés les soldats russes que les inspecteurs de l'AIEA ne sont pas supposés voir".

"Les occupants (russes) mentent et déforment les faits, qu'il s'agisse des preuves qui attestent de leurs bombardements de la centrale ou de leurs conséquences sur les infrastructures" de la centrale, peut-on lire dans un communiqué d'Energoatom mis en ligne sur la messagerie Telegram.

"Il est évident que dans de telles conditions, cela sera difficile pour l'AIEA d'effectuer une évaluation objective de la situation."

Sur ce point, Rafael Grossi a déclaré à son retour à Vienne, où se trouve le siège de l'AIEA, que le centre de crise avait été déplacé dans une autre pièce sans que cela ait de conséquences sur le bon fonctionnement de la centrale.

Le directeur général de l'AIEA avait déclaré jeudi à son arrivée à Zaporijjia que les inspecteurs de l'agence onusienne se devaient de fournir une évaluation impartiale, neutre et techniquement solide de la situation sur le terrain.

Située dans la ville d'Enerhodar, à environ 120 kilomètres de la ville de Zaporijjia dont elle tire son nom, la centrale nucléaire est tombée sous le contrôle de la Russie début mars, peu après le lancement de l'offensive en Ukraine, mais son fonctionnement reste assuré par des techniciens ukrainiens d'Energoatom, sous la supervision des forces russes.

ZELENSKY PROMET DE L'ÉLECTRICITÉ À L'EUROPE

Les abords de la centrale, à une dizaine de kilomètres de territoires encore sous contrôle ukrainiens, sur l'autre rive du fleuve Dniepr, font l'objet depuis plusieurs semaines de bombardements récurrents dont Russes et Ukrainiens se rejettent la responsabilité, alimentant les craintes d'une catastrophe nucléaire et incitant plusieurs pays et organisations internationales à réclamer l'instauration d'une zone démilitarisée.

En dépit des difficultés liées à la présence de troupes russes sur le site, la mission de l'AIEA reste importante et aura un rôle à jouer, a estimé le président ukrainien Volodimir Zelensky vendredi dans un message vidéo diffusé lors du forum Ambrosetti, qui réunit chaque année des responsables politiques, des économistes et des entrepreneurs à Cernobbio, dans le nord de l'Italie.

"Nous avons tout fait pour garantir que l'AIEA puisse accéder à la centrale de Zaporijjia et je pense que cette mission pourrait encore jouer un rôle", a déclaré Volodimir Zelensky.

"Malheureusement nous n'avons pas encore entendu l'essentiel de l'AIEA, c'est-à-dire un appel à la Russie à démilitariser la centrale", a-t-il ajouté.

Alors que l'Union européenne et la Russie sont engagées dans un bras de fer économique autour du gaz, attisant les craintes de rationnement énergétique et de récession dans plusieurs pays, le président ukrainien a souligné que la sécurisation de la centrale et son retour à un fonctionnement normal permettrait d'aider l'Europe dans un contexte de crise énergétique.

"L'Ukraine est prête à augmenter ses exportations d'électricité vers les pays de l'Union européenne", a-t-il précisé.

(Reportage de François Murphy à Vienne et Pavel Polityuk à Kyiv, avec Valentina Za et Elvira Pollina à Cernobbio, Italie ; version française Myriam Rivet et Tangi Salaün)