Christopher Whittall et Mike Bird,

The Wall Street Journal

La Banque centrale européenne (BCE) a commencé à acheter cette année des obligations d'entreprises à hauteur de plusieurs milliards d'euros, dans le cadre d'un programme destiné à relancer l'investissement privé. Or les effets escomptés se font toujours attendre.

Depuis juin, la BCE a acheté pour 44,3 milliards d'euros de dette d'entreprises. Les coûts d'emprunt ont nettement diminué et les émissions de titres augmentent.

Mais le facteur même qui a motivé ces achats - la faiblesse de l'économie - entrave le bon déroulement du programme. La BCE achète des obligations pour stimuler la croissance, en incitant les entreprises à investir. Or celles-ci n'investissent pas, si l'on en croit les dirigeants et les statistiques, parce qu'elles discernent peu d'opportunités dans un contexte de faible croissance, et parce que le crédit était déjà bon marché.

"Nous ne voyons pas beaucoup de preuves que le comportement des entreprises a changé" en conséquence du programme de rachats obligataires, souligne Hans Lorenzen, responsable de la stratégie européenne de crédit chez Citigroup. "Dans l'ensemble, les entreprises en Europe restent très prudentes".

Une épargne exceptionnellement élevée

L'épargne des entreprises de la zone euro a atteint, sur les douze mois jusqu'en juin 2016, son niveau le plus élevé depuis au moins 22 mois, selon J.P. Morgan Chase. Cette épargne reflète la différence entre les flux de trésorerie et les dépenses.

Les entreprises non financières de la zone euro ont constitué une épargne supérieure de 315 milliards de dollars (296,1 milliards d'euros) aux ressources dégagées sur cette période de 12 mois, selon la banque. Les sociétés non financières américaines, en comparaison, présentaient un besoin de financement de 43 milliards de dollars (40,42 milliards d'euros).

Contrairement à leurs concurrentes américaines, les entreprises européennes ont peu profité de la dette bon marché qui leur était proposée pour racheter des actions et soutenir leur cours de Bourse. Selon Goldman Sachs, un quart de la trésorerie détenue par les entreprises du S&P 500 est consacré à des rachats, contre 5% seulement pour les entreprises du Stoxx Europe 600.

En lieu et place, cette trésorerie est placée à la banque, en dépit de taux d'intérêt ultra-bas qui signifient que cet argent ne fructifie quasiment pas.

Les analystes s'attendent à une baisse de 3,37% des dépenses d'investissement pour les entreprises de l'indice Euro Stoxx en 2016, suivie d'une légère diminution en 2017.

La BCE applaudit la baisse du coût du crédit

La BCE affirme que ses mesures ont permis de faire baisser le coût du crédit, y compris sur les marchés sur lesquels elle n'a pas acheté d'obligations, et de stimuler les émissions.

C'est bien le cas. Les entreprises dont la dette est inscrite en catégorie investissement ont émis pour 116,2 milliards d'euros de titres libellés en euros depuis le 8 juin, date à laquelle la BCE a démarré ses achats. C'est un montant supérieur à tous ceux enregistrés pour les périodes correspondantes de chaque année depuis la création de l'euro en 1999, selon Dealogic.

En septembre, l'allemand Henkel (>> Henkel AG & Co KGaA) et le français Sanofi (>> Sanofi) ont chacun placé des obligations avec des taux négatifs.

Or les coûts d'emprunt étaient déjà très bas avant l'intervention de la BCE, et le fait qu'ils diminuent encore légèrement ne suffira peut-être pas à inciter les entreprises à augmenter leurs dépenses d'investissement, estiment certains analystes.

De nombreuses entreprises préfèrent s'assurer des fonds meilleur marché par le biais d'obligations à maturité plus longues, tandis que d'autres obtiennent simplement des prêts moins onéreux pour financer des projets déjà prévus, comme des acquisitions.

Un dispositif qui a besoin de temps pour s'apprécier

Certains analystes pensent qu'il faut laisser au programme le temps de fonctionner. Les départements financiers des entreprises peuvent mettre du temps à modifier leurs stratégies d'investissement. Le programme de la BCE est par ailleurs censé se répercuter au-delà des entreprises dont la dette se négocie sur les marchés.

Si les grandes entreprises et les banques trouvent qu'il est plus facile de se financer elles-mêmes, elles seront peut-être plus susceptibles d'accorder des crédits à de plus petites entreprises. Reste à voir si le temps fera son oeuvre.

-Christopher Whittall et Mike Bird, The Wall Street Journal (Tom Fairless a contribué à cet article)

(Version française Emilie Palvadeau) ed: ECH

Valeurs citées dans l'article : Henkel AG & Co KGaA, Sanofi