FRANCFORT (Reuters) - La présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, a reconnu jeudi que l'inflation resterait élevée plus longtemps que prévu tout en s'efforçant de contrer l'évolution des anticipations des marchés, selon lesquels la hausse des prix obligera la BCE à relever ses taux d'intérêt dès l'an prochain.

Alors que plusieurs autres grandes banques centrales se dirigent vers un resserrement de leur politique monétaire, Christine Lagarde a expliqué que le Conseil des gouverneurs, au terme d'une longue réflexion, avait conclu que sa stratégie restait la bonne.

"Nous avons parlé d'inflation, d'inflation, d'inflation", a-t-elle résumé lors d'une conférence de presse à l'issue de la réunion du Conseil.

Christine Lagarde a souligné que la hausse des prix dans la zone euro, actuellement supérieure à 3% sur un an, était temporairement alimentée par la conjugaison de trois facteurs: l'augmentation des prix de l'énergie, le décalage entre la reprise de la demande et celle de l'offre et des effets exceptionnels comme la fin du taux réduit de TVA en Allemagne.

"Il faudra plus de temps que prévu auparavant pour que l'inflation reflue mais nous nous attendons à ce que ces facteurs s'atténuent dans le courant de l'an prochain (...) Nous continuons de prévoir une inflation inférieure à notre objectif de 2% à moyen terme", a-t-elle dit.

CERTAINS MEMBRES DE LA BCE PLUS PRUDENTS QUE LAGARDE

Mais des membres du Conseil s'exprimant en privé se sont montrés plus prudents en évoquant le risque d'un reflux plus lent qu'anticipé de l'inflation, qui pourrait rester supérieure à 2% jusqu'en 2023, a-t-on appris de deux sources proches des débats.

Certains estiment même que l'inflation pourrait rester proche de l'objectif en 2023 même si la majorité du Conseil penche pour un niveau plus faible, a-t-on précisé de mêmes sources.

Rappelant que les orientations données par la BCE sur l'évolution future de sa politique ne prévoient pas de hausse de taux tant que l'inflation ne se rapprochera pas durablement de l'objectif "bien avant la fin de son horizon de projection", Christine Lagarde a déclaré: "Il est clair que selon l'analyse actuelle, (ces conditions) ne sont pas remplies et ne le seront certainement pas dans un proche avenir".

La BCE considère depuis longtemps que l'accélération de la hausse des prix est un phénomène temporaire en arguant du fait que l'inflation sous-jacente reste assez basse pour justifier le maintien d'une politique accommodante.

Mais les consommateurs et les investisseurs ne sont plus du même avis: leurs anticipations d'inflation augmentent rapidement et les marchés monétaires anticipent désormais une hausse de taux avant la fin 2022. Or cette divergence risque, si elle se prolonge, de nuire à la crédibilité et à l'efficacité de la politique de la banque centrale.

Hasard du calendrier, les derniers chiffres de l'inflation allemande, publiés une demi-heure avant l'intervention de Christine Lagarde, montrent une accélération plus rapide qu'attendu avec une hausse des prix de 4,6% sur un an en octobre.

D'AUTRES BANQUES CENTRALES PASSENT À L'ACTION OU S'Y PRÉPARENT

Cette tendance n'épargne quasiment aucune des grandes économies de la planète et a déjà conduit certaines autorités monétaires à modifier leur stratégie.

Mercredi, la Banque du Canada a ainsi annoncé la fin de son programme d'assouplissement quantitatif (QE) et laissé entendre qu'elle pourrait relever son taux directeur plus tôt que prévu. Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale devrait préciser mercredi prochain le calendrier et les modalités de sa stratégie de "tapering", la diminution progressive de ses achats de bons du Trésor, et au Royaume-Uni, la Banque d'Angleterre (BoE) pourrait relever son principal taux dans les tout prochains mois.

Les banques centrale norvégienne et sud-coréenne, elles, ont déjà franchi le pas.

La BCE, parallèlement à ses déclarations sur l'inflation, a maintenu sans surprise sa politique monétaire, renvoyant à sa réunion de décembre des décisions cruciales sur l'arrêt du programme d'achats d'obligations PEPP (programme d'achats d'urgence face à la pandémie), dont l'échéance est prévue en mars prochain.

Elle s'est contentée de réaffirmer que ces achats pouvaient se poursuivre à un rythme "légèrement plus faible" qu'aux deuxième et troisième trimestres.

Ses taux directeurs restent quant à eux inchangés, à zéro pour le taux de refinancement et -0,5% pour celui de la facilité de dépôt.

Sur les marchés financiers, les déclarations de Christine Lagarde ont favorisé une hausse des rendements obligataires comme de l'euro: la monnaie unique s'échangeait autour de 1,1680 dollar vers 16h00 GMT contre moins de 1,16 avant la conférence de presse et le rendement du Bund allemand à dix ans a pris jusqu'à de cinq points de base à -0,1%.

"Lagarde a maladroitement lu un papier pour dire que les anticipations de marché sur les taux d'intérêt n'étaient pas en ligne avec les orientations de la BCE. Si son intention était d'aligner le 'pricing' des marchés sur les indications de la BCE, elle a misérablement échoué", a commenté Jan von Gerich, économiste de Nordea.

(Reportage Balazs Koranyi et Francesco Canepa, version française Marc Angrand, édité par Blandine Hénault)

par Balazs Koranyi et Francesco Canepa