par Christian Lowe

ALGER, 22 juin (Reuters) - L'Otan tente de susciter à Tripoli un soulèvement armé contre Mouammar Kadhafi parce qu'elle a perdu l'espoir que les insurgés hors de la capitale parviennent à s'en emparer dans un proche avenir.

La manière dont l'Otan effectue ses raids sur Tripoli donne à penser que l'Alliance tente de réduire les capacités de défense du dirigeant libyen en vue du moment où ses opposants dans la ville, pour l'instant dans la clandestinité, décideront de se soulever.

Geoff Porter, de North Africa Risk Consulting, une firme de gestion du risque, estime que le véritable objectif de l'Otan est maintenant clair.

"La politique officielle de l'Otan est de protéger les civils contre les troupes de Kadhafi. L'objectif non déclaré est de créer à Tripoli des conditions dans lesquelles la population locale pourra opérer une 'percée militaire' et renverser Kadhafi", dit-il.

Il s'agit d'une stratégie à haut risque, mais l'alliance y a été contrainte parce que, trois mois après le début d'une campagne militaire dont elle pensait qu'elle ne prendrait que quelques semaines, il ne lui reste pas vraiment d'autre option.

Les insurgés, regroupés sur trois fronts hors de la capitale, n'ont enregistré aucune avancée significative.

Les bombardements de l'Otan et les défections n'ont pas renversé le régime de Kadhafi et les puissances occidentales ne sont pas prêtes à faire la seule chose qui mettrait fin au conflit: envoyer des troupes au sol.

"Je pense qu'on (...) réalise que les rebelles n'ont pas vraiment la possibilité de réussir de percée à partir de l'Est pour marcher sur Tripoli", dit Shashank Joshi, du Royal United Services Institute, un groupe de réflexion londonien.

"Cela dépendra d'une forme de soulèvement urbain à l'intérieur de la ville proprement dite.

"Il arrivera un moment où il (Kadhafi) manquera des ressources nécessaires pour assurer la sécurité à Tripoli même, il sera dépassé, et lorsque ça arrivera (...) je pense qu'on verra de nombreux groupes armés se soulever à Tripoli", prédit-il.

AUCUNE ALTERNATIVE VIABLE

Créer les conditions d'un tel soulèvement semble guider le choix de certaines cibles visées par l'Otan à Tripoli.

L'armée britannique a confirmé que, fin mai, ses chasseurs Typhoon avaient visé les miradors encadrant les murailles de la forteresse de Bab al Azizia, utilisée par Kadhafi.

Ces miradors serviraient à défendre la forteresse contre toute attaque lancée par des opposants au régime.

D'autres attaques visaient des installations que Kadhafi pourrait utiliser pour mater une rébellion à Tripoli. Au début du mois, l'Otan a dit avoir attaqué le siège de la police secrète à Tripoli, ainsi que celui des services de renseignement.

Selon des responsables libyens, un raid aérien qui a frappé cette semaine la ville de Sourmane, 70 km à l'ouest de Tripoli, a fait 19 morts, dont des proches de Khouildi Hamidi, dont la fille est mariée à un fils de Kadhafi.

Hamidi a survécu, mais il était probablement la cible visée. Il est en effet mêlé de près à la répression de l'insurrection contre le régime de Kadhafi.

Pour les gouvernements occidentaux, compter sur un mouvement d'opposition qu'ils ne connaissent pas pour renverser Kadhafi relève du pari. Le problème est que la faiblesse des insurgés à l'extérieur de Tripoli n'offre pas d'alternative viable.

Dans le tiers est du pays, bastion des rebelles, les insurgés s'efforcent en vain depuis des semaines de percer les défenses kadhafistes pour atteindre le port pétrolier de Brega.

A Misrata, à 200 km à l'est de Tripoli, les insurgés ont chassé de la ville les forces gouvernementales, mais ils sont bloqués à l'ouest dans une région agricole, subissant de lourdes pertes à chaque fois qu'ils progressent de quelques centaines de mètres en direction de Tripoli.

C'est dans le djebel Nefoussa, au sud-ouest de Tripoli, que les insurgés ont enregistré leur progression la plus nette. Ils ont chassé les forces kadhafistes d'une série de villes et se trouvent maintenant à une centaine de km de la capitale.

Mais pour marcher sur Tripoli, il leur faudra quitter les plateaux où ils sont positionnés et combattre les forces gouvernementales dans des plaines désertiques, où l'armement lourd des kadhafistes leur donne l'avantage.

Avec le temps, les insurgés y parviendront probablement, mais le temps de l'Otan est compté.

LE TEMPS, DONNEE CRUCIALE

A chaque jour qui passe, des dissensions se creusent au sein de l'alliance, que ce soit au sujet des victimes civiles, du coût de l'opération ou de sa légalité.

Pour David Hartwell, spécialiste du Proche-Orient et de l'Afrique du Nord chez IHS Jane's, consultant en matière de défense et de sécurité, il y a sans doute des progrès sur le plan militaire, mais ils sont "très, très lents", "et probablement trop lents pour les membres de l'Otan gagnés par la nervosité".

Jusqu'ici, bon nombre de calculs de l'Otan sur le temps nécessaire pour renverser Kadhafi se sont révélés trop optimistes. En sera-t-il de même pour la nouvelle stratégie de soutien à un soulèvement à Tripoli même ?

Il est certain qu'il existe dans la capitale libyenne un mouvement clandestin d'opposition.

Des militants ont organisé des manifestations "éclair", scandant pendant quelques minutes des slogans anti-Kadhafi avant de disparaître. Ils ont accroché à des ponts le drapeau vert, noir et rouge adopté par les insurgés et ils ont, de nuit, tracé sur les murs des inscriptions hostiles au "guide".

La nuit, on peut entendre des fusillades dans certains quartiers de la capitale. Les autorités libyennes affirment qu'il s'agit de tirs de joie. Mais des habitants ont fait état d'affrontements entre forces de sécurité et insurgés.

Il semble par ailleurs que les "Katiba", forces de sécurité chargées de contrôler la dissidence, soient en nombre insuffisant. Certains médias ont rapporté que des étudiants à peine formés avaient reçu une arme avec pour mission de contrôler des barrages routiers à Tripoli parce que les forces régulières avaient été envoyées au front.

L'équilibre des forces à Tripoli reste néanmoins en faveur de Kadhafi et il conserve suffisamment d'hommes et d'armes pour abattre quiconque tente de se révolter.

Pour changer cela, estiment des observateurs, il faudrait que les rebelles enregistrent une grande victoire à l'Est, qu'une importante unité de sécurité de Tripoli fasse défection ou qu'advienne tout autre événement susceptible de desserrer l'emprise de Kadhafi sur la ville.

Et comme toutes les autres approches tentées par l'Otan, encourager un soulèvement à Tripoli nécessite ce dont l'alliance dispose le moins: du temps. (Nicole Dupont pour le service français, édité par Gilles Trequesser)