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(Easybourse.com) Quel regard portez-vous sur l'affaire Dubaï World et l'attitude du gouvernement de Dubaï à cet égard?
On estime à 100 milliards de dollars la dette en liquidité de Dubai World, et entre 60 et 70 milliards de dollars la dette contingente, autrement dit la dette potentielle.
Si Dubaï venait à soutenir ses activités financières, banques et assurances, nous nous situerions dans des passifs de bilan et de hors-bilan d'environ 160 milliards.

Les actifs de l'émirat de Dubaï ne sont pas connus mais quelques estimations nous laisseraient penser que l'ordre de grandeur serait de 60-80 milliards. Ces actifs sont illiquides. En matière de gestion de bilan, Dubaï souffre d'une accumulation de dette qui en contrepartie n'est pas couverte par des actifs suffisamment rentables, ni suffisamment liquides.
Ainsi, Dubaï n'a pas eu d'autres choix, comme n'importe quel émetteur de dette, que de gérer de manière plus rationnelle et équitable les actifs qu'il porte en tant qu'entité économique. Son attitude consistant à se concentrer en grande partie sur les activités viables et de laisser les activités en difficultés structurelles soient s'éteindre progressivement, soit prendre une place plus réduite dans l'activité économique de l'émirat fait sens.

Et la première entité qui ne faisait plus sens à l'intérieur de Dubaï World est Nakheel, qui s'est essentiellement concentré sur de l'immobilier de luxe et qui n'apportait pas grand-chose en matière de création de valeur ajoutée.

Pensez-vous que le cas de Dubai World soit isolé ?
Dépourvue de ressources pétrolières et de base fiscale pour lever suffisamment de rendements, la flexibilité financière du budget de Dubaï résidait dans les dividendes remontés de ses entreprises. Cette flexibilité s'est considérablement affaiblie en raison de la dégradation de la conjoncture économique, qui a provoqué une baisse de la valeur des actifs.
Ainsi, la question ne se pose pas de savoir si d'autres entreprises connaîtront des difficultés. Ce sera vraisemblablement le cas. L'interrogation porte davantage sur le fait de savoir si le gouvernement pourra soutenir ces entreprises.

Comment expliquez-vous que typiquement il n'y ait pas d'impôts à Dubaï ?
Comme n'importe quelle entité souveraine, Dubaï s'est posé la question il y a plus de dix ans de l'équilibre de son budget face à l'accumulation de sa dette. Cette préoccupation a gagné en importance avant la crise des subprimes fin 2006-début 2007.
Dubaï avait alors lancé le débat en coordination avec ses partenaires de la Fédération, mais aussi en consultation avec certaines organisations internationales, sur la nécessité et l'opportunité d'introduire la TVA dans son arsenal fiscal.

Si l'effet à court terme est une hausse brutale mais temporaire de l'inflation, la TVA est l'impôt le plus efficace, le plus optimal et le moins douloureux, et autorise une stabilité de base des ressources fiscales essentiellement indexées sur la consommation. Or Dubaï est une société de consommation par excellence.

A l'époque, il n'y avait pas d'urgence pour entamer les réformes nécessaires. La liquidité étant disponible, le taux de croissance était de l'ordre de 10%.
Puis la crise a éclaté, et le choix d'instaurer la TVA n'a plus paru judicieux en particulier pour les émirats voisins. Ce qui est particulièrement malheureux, car cela aurait permis à Dubaï d'absorber une partie du choc de nature exogène.

La crise que connaît Dubaï actuellement pourrait accélérer une réforme dans ce domaine ?
Absolument, à Dubaï et dans tous les Etats pétroliers d'ailleurs. D'une part, l'exploitation des ressources naturelles doit également servir à protéger les générations futures en mettant à contribution les générations d'aujourd'hui au budget.
En outre l'impôt a une vertu disciplinante, en incitant à être davantage copropriétaire des actifs publics, et à adopter un comportement économique plus sain, autrement dit, moins dilapidant.

La stratégie de sortie ne sera pas l'apanage de Doubai seul…
Ce qui prévaut pour Dubaï, prévaudra à partir de 2010 pour un certain nombre d'Etats. L'équation macroéconomique est telle que ces Etats ne pourront plus soutenir à bras le corps un certain nombre d'entreprises du secteur public et du secteur privé, qui à termes constituent des passifs davantage que des actifs. 

Quelle pourrait être de votre avis l'ampleur du choc pour le pays ?
En termes de tourisme, l'impact ne va pas être si important. Les capacités et les infrastructures existent. La variable d'ajustement sera le prix. Dubaï deviendra une destination meilleure marché. Quand on sait qu'une nuit dans un cinq étoiles à Dubaï représentait parfois le double d'un équivalent européen, cela n'est pas plus mal.
Sur le plan financier, Dubaï va perdre de son lustre.
L'émirat avait vocation à devenir un centre financier mondial. D'ailleurs, dans le classement des centres financiers globaux, Dubaï gagnait des places chaque année et était considérée jusqu'à présent dans le top 15.

Le risque désormais est de voir l'émirat ne redevenir qu'un centre régional. Beaucoup d'institutions financières étrangères ont mis la clé sous la perte, certains ont rapatrié leurs ressources humaines sur place. Un marché aussi volatil ne peut pas continuer à attirer les grands de ce monde.

Pour ce qui est du secteur de l'immobilier qui est essentiellement exotique, la partie est perdue. Il y a eu beaucoup trop de constructions, pour un marché incapable de tout absorber, une demande tributaire du contexte mondial. Dubaï qui est en concurrence avec Marbella, Paris, New York, Shanghai, Singapour, Hong Kong paie le prix de sa globalisation. Le secteur de l'immobilier à Dubaï devrait souffrir pendant longtemps.

De quelle manière interprétez-vous la réaction du marché dans cette histoire ?
Le jour où Dubaï a sombré dans la crise, le marché a sur réagi. C'est une très mauvaise nouvelle.
Les investisseurs ont donné en cela le signal suivant : ils sanctionneraient tout mauvais calibrage des politiques économiques.

Pour le moment Dubaï ne connaît pas une crise de la dette souveraine, mais cela pourrait se transformer en une crise de la dette publique. La politique monétaire a été beaucoup trop laxiste, la politique budgétaire très mal dessinée (pas suffisamment de ressources et pas suffisamment de diversification de ces ressources). Qui plus est, le gouvernement n'a mis en œuvre aucune politique structurelle (équipements et capital humain).
Résultat, le budget a servi à renflouer pendant un an et demi des entreprises très fragilisées.

Comment envisagez-vous les répercussions de la restructuration de Dubai World sur les banques européennes ?
L'exposition directe des banques européennes  sur les entreprises emprunteuses à Dubaï est relativement limitée. Les premiers chiffres que l'on reçoit en témoignent.
La dette de Dubaï s'élève à 100 milliards, la dette à risque est d'environ 26 milliards, la dette qui est à même de faire défaut à court terme est de 12,5 milliards : 8 milliards chez Nakheel et 5,5 milliards chez Dubai World. Pour une banque comme RBS, Barclays, HSBC, c'est peu, quoique pas insignifiant, d'autant plus que les banques étrangères ne sont pas les plus exposées au groupe.

Si on fait le scénario qu'il y aura une contagion tout azimut, qu'Abou Dhabi ne va pas soutenir ni de manière conditionnelle, ni de manière inconditionnelle, et que la croissance de Dubaï sera négative, alors on se situera dans une zone extrême. Mais justement, il existe de nombreuses variables d'ajustement, au premier rand desquels la proximité avec son riche voisin Abou Dhabien, capable d'un revers de main d'éponger toute la dette. Reste à savoir quand et à quelles conditions ce scénario se produira…
 
Propos recueillis par Imen Hazgui

- 07 Décembre 2009 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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