(Actualisé avec réaction du BNVCA 6-7)

PARIS, 11 janvier (Reuters) - La maison d'édition Gallimard a annoncé jeudi suspendre son projet de publication de trois pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline, une initiative qui avait été critiquée notamment par les représentants de la communauté juive, inquiets de la résurgence de textes "dangereux".

Dans un communiqué, Antoine Gallimard, président des éditions Gallimard et du groupe Madrigall, estime que "les conditions méthodologiques et mémorielles ne sont pas réunies" pour "envisager sereinement" ce projet.

L'éditeur - qui s'était ému mardi d'un "procès d'intention" et d'un "débat un peu hystérique" - souligne que condamner ces pamphlets à la censure "fait obstacle à la pleine mise en lumière de leurs racines et de leur portée idéologiques et crée de la curiosité malsaine là où ne doit s'exercer que notre faculté de jugement".

Il explique qu'il jugeait "en conscience qu'on pouvait effectuer, selon les derniers acquis de la recherche, sans complaisance aucune, un travail scientifique sur ces écrits de haine, en associant texte intégral et commentaire historique".

Antoine Gallimard dit toutefois comprendre et partager "l'émotion des lecteurs que la perspective de cette réédition choque, blesse ou inquiète pour des raisons humaines et éthiques évidentes".

Dans un communiqué diffusé jeudi après-midi, le bureau national de vigilance contre l'antisémitisme (BNVCA) a fait part de sa "satisfaction" et de son "soulagement" après l'annonce de la décision de l'éditeur.

LA "HONTE DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE"

L'association fait également part de sa volonté de veiller "à ce que ces pamphlets, qui sont la honte de la littérature et de la culture française, tombent définitivement dans les poubelles de l’histoire."

La controverse est née en décembre dernier lorsque le magazine L'Incorrect a rapporté que la maison d'édition parisienne envisageait "courant 2018" une édition critique de "Bagatelles pour un massacre", "L'Ecole des cadavres" et "Les Beaux draps", des textes écrits par Céline entre 1937 et 1941.

Gallimard avait alors expliqué son intention "d'encadrer et de replacer dans leur contexte des écrits d'une grande violence" avec l'appui notamment de Régis Tettamanzi, professeur de littérature française à l'université de Nantes, et spécialiste de l'oeuvre célinienne.

Les oeuvres de Céline, décédé en 1961, tomberont dans le domaine public en 2031. Ses pamphlets antisémites ne sont pas interdits en France mais n'ont pas été réédités depuis la Seconde Guerre mondiale. L'écrivain s'y était opposé, puis sa veuve, Lucienne Destouches, aujourd'hui âgée de 105 ans, qui a finalement consenti il y a quelques mois à ce projet d'édition critique.

Le débat a pris un tour politique avec la récente prise de position du Premier ministre, Edouard Philippe, qui déclarait dans Le Journal du Dimanche ne pas avoir "peur de la publication de ces pamphlets". "Il faudra soigneusement l'accompagner" précisait-il. "Il y a d'excellentes raisons de détester l'homme, mais vous ne pouvez pas ignorer l'écrivain ni sa place centrale dans la littérature française", soulignait-il.

Serge Klarsfeld, fondateur et président de l'association des Fils et Filles de déportés juifs de France (FFDJF), avait répliqué qu'il n'était "pas envisageable que la société politique française accepte la diffusion de tels textes nocifs et talentueux d'incitation à la haine raciale et à l'extermination des juifs".

SOS Racisme s'était indignée pour sa part mardi d'une "utilisation mercantile de textes appelant explicitement à l'extermination des juifs". (Sophie Louet, édité par Yves Clarisse)