Frédéric Dodard est directeur des solutions investissements chez State Street Global Advisors. Il livre à AOF sa vision des marchés financiers en cette fin de premier semestre. Pour lui, la prudence est de mise même s’il est encore trop tôt pour céder au pessimisme. Entretien.

AOF – Quel premier bilan tirez-vous de ce premier semestre qui s'achève pour les marchés financiers ?
Frédéric Dodard – Les performances de ces six premiers mois ne devraient pas être tellement éloignées de ce que nous avions prévu. Nous pensions que les taux allaient progresser cette année et que 2018 serait une bonne année pour les actions, bien que légèrement moins dynamique que 2017. A l'issue du premier semestre, le taux américain à 10 ans a effectivement progressé autour de 3% et devrait s'installer au-dessus dans la deuxième partie de l'année. De leur côté, les actions ont fait un peu moins bien que ce que l'on espérait. Toutefois, avec un rendement, dividende compris, d'environ 3%, la performance de l'EuroStoxx n'est pas si mauvaise que cela. On atteint même plus de 4% pour le S&P 500. Seuls les marches émergents ont déçu.

AOF – Dans ce contexte, avez-vous été amenés à modifier votre allocation d'actifs ?
F.D – Nous avons effectivement réduit légèrement notre surpondération en actions, de 3 à 2%, et renforcé l'exposition aux taux. Nous pourrions être amenés à abaisser encore un peu notre exposition aux actions, notamment pour prendre en compte la dégradation de l'environnement de marché. Notre indicateur maison est passé d'un stade euphorique l'année dernière à un statut normal. Il se situe maintenant à la limite entre un environnement normal et un regain d'aversion au risque, principalement depuis la crise italienne.

AOF – Sur l'Italie justement, quelle est votre analyse ?
F.D – Nous n'avons pas été surpris que les partis populistes remportent les élections, comme le prévoyaient les sondages. En revanche, le refus du président de la République de valider le premier gouvernement Conte avec un ministre de l'Economie euro-sceptique nous a étonnés. Je trouve que la situation est inquiétante à moyen-long terme sur l'Italie, et plus généralement pour la zone euro où tous les problèmes de fond ne sont pas réglés.Nous pourrions aussi assister à une confrontation entre l'Italie et la BCE, cette dernière ne voulant pas apparaître comme un otage des partis populistes. Il nous semble que la prime de risque va rester forte sur l'Italie et que les actifs qui y sont exposés vont rester sous pression.

AOF – Pour revenir au sentiment de marché, comment le décryptez-vous ?
F.D – La première chose est que le choc enregistré début février a laissé des traces. Il a fallu attendre début mai pour retrouver des niveaux de cours d'avant cet accident de marché et encore, Wall Street n'a pas encore résorbé toutes ses pertes malgré de très bons résultats d'entreprises au premier trimestre. Les inquiétudes liées au Brexit, la crise italienne mais aussi les menaces protectionnistes sont arrivées sur ce terrain, alimentant la volatilité. De plus, on peut penser que les entreprises italiennes, mais plus largement européennes, ont fait preuve d'attentisme avant les élections, ont reporté des investissements. Cela pourrait finir par se voir dans les chiffres de la croissance. Au final, cette conjonction d'accidents de marché, de chocs locaux et mondiaux nous rend un peu moins sereins concernant l'évolution de la conjoncture européenne sur les prochains trimestres.

AOF – Comment voyez-vous précisément le second semestre ?
F.D – Je pense que l'été ne sera pas très bon, marqué par la volatilité. Traditionnellement, les mois d'août et septembre sont les moins porteurs, notamment du fait de la saisonnalité de la liquidité. De plus, l'accumulation des risques fait que l'on multiplie les possibilités d'avoir de grosses corrections. Toutefois, si l'on traverse l'été sans accident de marché, nous devrions avoir une fin d'année plus sereine et un rally des indices actions.