Au travers de cet article, nous nous interrogeons sur l’aspect comptable des cryptomonnaies. Les questions que nous nous sommes posées sont les suivantes :

  • Comment les cryptomonnaies sont-elles comptabilisées au bilan d’une entreprise ?
  • Font-elles l’objet de tests de dépréciation ?
  • Comment sont enregistrés les flux relatifs à ces investissements, tests et cessions ?
  • Les réponses à ces questions sont-elles différentes dans le cas d’une entreprise dont le minage de cryptomonnaies est l’activité principale ?

Répondre à ces différentes questions est essentiel pour conduire une analyse d’entreprises telle que Tesla ou Microstrategy qui investissent dans les cryptomonnaies, comprendre le bilan d’une plateforme d’exchange comme Coinbase ainsi que le traitement des revenus d’un mineur tel que Marathon Digital.

Le fruit de ces recherches vous est présenté en trois parties. La première permet de définir quelques termes essentiels à la bonne compréhension des parties suivantes. La seconde est construite sous la forme de questions réponses qui reflètent l'état d'esprit dans lequel nous avons abordé le problème, tandis que la troisième partie contient des exemples concrets d’analyse des états financiers d’entreprises connues pour avoir acheté ou produit des cryptomonnaies. 

Les standards comptables 

Pour comprendre le manque de visibilité et le flou comptable dans lequel avancent les entreprises qui souhaitent miner ou investir dans les cryptomonnaies, il est essentiel de présenter les principaux bureaux de standards comptables qui éditent les normes que les entreprises doivent respecter si elles souhaitent être cotées sur un marché boursier. Ce sont ces différents bureaux qui ont la responsabilité d’innover pour guider les entreprises dans leurs publications. Même lorsque les normes ne traitent pas d’un sujet, la direction financière d’une entreprise doit lire entre les lignes et essayer tant bien que mal d’être cohérente. A noter que certaines des entreprises cotées qui ont effectué des opérations d’achats de cryptomonnaies publient un document dans lequel elles expliquent leurs choix et les textes sur lesquels elles s’appuient.

Le FASB 

Le FASB (Financial Accounting Standards Board) est une association non gouvernementale à but non lucratif qui développe des principes comptables. La SEC (Securities and Exchange Commission) a désigné le FASB comme l’organisme responsable de l’établissement des normes comptables que les entreprises cotées aux Etats-Unis doivent suivre.

Le comité a été créé en 1973 en remplacement du APB (Accounting Principles Board) et du comité de la procédure comptable de l’institut américain des comptables publics certifiés.

Comme nous l’avons mentionné en introduction de cet article, la mission du FASB est d’établir et améliorer les normes de comptabilité et d’information financière pour l’orientation et l’éducation du public, y compris les émetteurs, auditeurs et utilisateurs d’informations financières.

Les normes US GAAP (United States Generally Accepted Accounting Principles) sont définies par le FASB.

Source : Wikipédia.

l’IASB 

L’International Accounting Standards Board (IASB) est l'organisme chargé de l’élaboration des normes comptables internationales IAS et IFRS (qui les remplacent depuis 2005).

Depuis 2005, les entreprises de l’Union européenne faisant appel à l’épargne publique sont contraintes de présenter leurs états financiers en utilisant la standardisation IFRS. Il s’agit donc de l’équivalent du FASB pour les sociétés cotées européennes.

Source : Wikipédia.

Autres contributeurs majeurs

En plus de ces bureaux, certaines entreprises ou associations sont engagées dans la comptabilité publique et défendent l'intérêt et la durabilité des entreprises sur les questions actuelles et émergentes. C’est le cas de l’AICPA (Association of International Certified Professional Accountants) et du CIMA (Chartered Institute of Management Accountants) qui ont ensemble créé le CGMA (Chartered Global Management Accountant) afin d’offrir du matériel d’orientation pédagogique. Les cabinets comme KPMG, Deloitte ou PWC publient aussi des guides pour aider les entreprises dans leurs publications financières. 

Ces acteurs ont déjà largement contribué aux recommandations comptables du bitcoin. A l’inverse, le FASB et l’IASB n’ont pas encore établi de normes. Dans tous les cas, ces associations et entreprises se prononcent très peu sur les autres cryptomonnaies. Le fait que ce marché soit en pleine expansion explique qu’ils se concentrent uniquement sur la cryptomonnaie phare. Ils restent attentifs à l’évolution du marché et vont déterminer dans les années à venir si leurs recommandations peuvent s’appliquer aux autres coins. 

A titre d’exemple, des entreprises comme Microstrategy ou Tesla qui ont acheté des grosses quantités de Bitcoin, s'appuient sur ces différentes sources pour donner la bonne information à leurs investisseurs.

Le concept de Fair Value

Le terme de Fair Value est utilisé à plusieurs reprises dans ce rapport. Il peut être traduit en français comme la juste valeur. Cette juste valeur est définie par IFRS 13 comme le montant auquel un actif peut être échangé dans le cadre d’une transaction se déroulant dans des conditions de concurrence normales. Cette norme comptable consiste à préciser les méthodes de valorisation de certains actifs et passifs des entreprises selon leur valeur de marché.

Lorsqu’une entreprise détermine la juste valeur d’un actif, elle doit prendre en compte l'utilisation optimale de celui-ci et s’appuyer sur le marché principal (ou le plus avantageux). Elle doit aussi spécifier la technique d’évaluation (approche par le marché, par les résultats ou par les coûts) et les données d’entrées qui lui ont permis de déterminer le prix en question.

L’IFRS 13 présente une hiérarchie des justes valeurs et les classe selon 3 niveaux. 

Niveau 1 : les données d’évaluation sont ‘observables’, avec par exemple des prix cotés sur un marché.

Niveau 2 : les données d’entrée qui permettent l’évaluation sont observables directement ou indirectement mais ne sont pas les cours sur un marché.

Niveau 3 : les données d’entrée sont non observables et appartiennent à une entreprise. Ce qui les relèguent au point le plus bas de la hiérarchie.

Cependant, nous verrons dans cet article que le principe de fair value ne s’applique pas aux cryptomonnaies, reconnues comme étant des actifs intangibles (nous détaillerons ce point en partie 2). Ce n’est pas pour autant (et c’est important de faire la distinction) que les actifs intangibles ne peuvent pas faire l’objet de tests d’évaluation. A titre d’exemple, une marque ou un goodwill, qui sont des actifs intangibles peuvent être dépréciés même si le principe de juste valeur ne s’applique pas. Pour tester leur valeur, les actifs intangibles ‘classiques’ sont regroupés dans une unité génératrice de trésorerie qui permet de déterminer leur valeur d’usage par la méthode des DCF. La valeur au bilan de ces actifs est alors comparée à leur valeur d’usage et à leur valeur de marché (s’il existe un marché), si ces deux valeurs sont inférieures à la valeur comptable alors l’entreprise devra déprécier son actif. Il n’est pas possible de la revaloriser à la hausse.

La classification des actifs numériques

La question de la classification des cryptomonnaies

Un actif présente par définition ces différentes caractéristiques :

  • Il contribue à un futur cash flow
  • Une entité peut acquérir son contrôle et les profits qui y sont associés

Un actif peut être tangible, intangible, échangeable ou non échangeable et peut être acquis à un prix ou acquis sans coût. Il permet surtout à l’entreprise de réaliser un service, concevoir ou vendre un produit.

Alors que pour certains, la classification du bitcoin comme un actif incorporel semble évidente, d’autres estiment qu’il s’agit d’une devise (qui devrait donc être enregistrée dans le cash & cash équivalent), d’un instrument financier ou bien d’une matière première (une sorte d’or numérique).

Mais les actifs cryptographiques ne répondent pas à la définition de trésorerie ou d'équivalents de trésorerie tel que défini par le FASB. En effet, les cryptomonnaies ne sont pas considérées comme ayant un cours légal et ne sont pas soutenues par des gouvernements souverains. Ce terme de cours légal signifie que personne ne peut refuser de recevoir un paiement d’une dette dans cette unité monétaire (on en est encore loin). On notera tout de même que le bitcoin remplit de plus en plus les fonctions principales d’une monnaie (intermédiaire dans les échanges, réserve de valeur et unité de compte pour le calcul économique) mais sa volatilité compromet encore largement ces fonctions.

Les cryptomonnaies ne sont pas non plus des instruments financiers ou des actifs financiers tels que définis par le FASB. Elles ne sont pas des liquidités (voir paragraphe précédent) et ne représentent pas un droit contractuel de recevoir des liquidités. On peut cependant se poser la question lors d’opérations de stacking.

Enfin, du fait que les cryptomonnaies ne sont pas tangibles, elles ne répondent pas à la définition de stocks ou d’actif corporel de manière générale. Nous verrons cependant que certaines entreprises dont l’activité principale consiste à miner des cryptomonnaies peuvent enregistrer les bitcoins reçus en actifs courants ayant pour vocation d’être transformés en cash au cours de l’exercice. Cela semble logique mais va à l’encontre du principe énoncé.

Finalement, le consensus est de classifier les cryptomonnaies comme des actifs intangibles à durée de vie indéfinie. Elles sont donc enregistrées au coût initial d’acquisition (frais de transactions inclus) avec les actifs immobilisés de l’entreprise, mais ne peuvent être amortis. Une dépréciation doit être constatée quand le montant enregistré est supérieur à la valeur d’usage (déterminée par une méthode d’actualisation des cash flows futurs) ou à la valeur de marché, même lorsque le marché en question n’est pas en mesure d’absorber la quantité détenue. Cependant, selon IFRS 13, si le marché n’est pas représentatif et que les volumes sont extrêmement faibles, la valeur de marché ne peut être retenue. Il est important de noter qu’une réévaluation des bitcoins détenus se fait donc uniquement à la baisse. Cela peut paraître étrange mais permet tout de même de protéger l’investisseur dans l’interprétation du bilan de l’entreprise. Il convient aussi de noter que la reprise d’une constatation de perte de valeur en produits (dans le cas où la valeur de marché est remontée par exemple) est interdite.

Le terme indéfini est important (différent d’infini ou indéterminé). Cela signifie que la durée de vie de l’immobilisation incorporelle s’étend au-delà de l’horizon prévisible. Autrement dit, il n’y a pas de limite prévisible à la période pendant laquelle l’actif est censé contribuer aux flux de trésorerie.

La question du contrôle

Un actif doit être enregistré dans le bilan de la société qui en a le contrôle. Savoir qui exerce ce contrôle (le déposant ou le dépositaire) est donc une nécessité, pour autant, trancher sur cette question est loin d’être évident et une analyse légale semble appropriée.

Les entreprises qui achètent de grosses quantités de cryptomonnaies se sont évidemment posées les questions qui portent autour de cette notion de contrôle. Du moins, ils y ont passé un peu plus de temps que la majorité des particuliers qui acceptent accords sur accords sans lire la moindre ligne. Au-delà de savoir qui doit écrire quoi dans son bilan, s’interroger sur le contrôle permet accessoirement de se protéger et d’être conscient des risques que l’on encourt. Mais quand Elon tweet sur le dogecoin, impossible de lire la paperasse, il faut être le premier !

Parmi les questionnements qui permettent de trancher, on retrouve les points suivants : (source : Bitcoin accounting treatment and tax considerations, Microstrategy)

  • Est-ce que le contrat établi entre les deux parties mentionne clairement qui a la propriété et le contrôle ?
  • Le dépositaire peut-il réaliser des transferts/opérations avec l’accord du déposant ?
  • Est-ce que le déposant à des droits si le dépositaire fait faillite ?
  • Le dépositaire peut-il transférer les actifs à n’importe quel moment et pour n’importe quelle raison ?
  • Existe-t-il des barrières technologiques qui contraignent le temps des transferts ?
  • Quelles sont les signatures nécessaires pour réaliser un transfert ?
  • Qui détient les clefs privées
  • Est-ce que le dépositaire doit séparer les différents dépôts des déposants ?
  • Qui supporte la perte si les actifs ne sont plus accessibles (lors de hack par exemple) ?
  • Est-ce que le dépositaire peut empêcher par n’importe quel moyen le déposant de récupérer le contrôle et les bénéfices du transaction ?

Comme le précise Microstrategy, cette liste est non-exhaustive et aucun de ces points est déterminant pour savoir qui a le contrôle.

Dans tous les cas, celui qui est reconnu comme ayant le contrôle doit enregistrer les actifs dans son bilan.

La question de la mesure de l’investissement et des tests de dépréciation

FASB exige que les entités comptabilisent initialement les immobilisations incorporelles à leur coût d’acquisition en incluant les frais de transaction.

Certaines entreprises et cabinets estiment qu’il serait approprié d’appliquer le principe de juste valeur aux cryptomonnaies, qui consisterait à réévaluer l’actif incorporel tout le temps, à la hausse comme à la baisse. Cependant, les normes comptables (qui ne traitent pas spécifiquement des cryptomonnaies) précisent qu’un actif intangible doit être comptabilisé à sa valeur historique. Dans ce cas, des tests de dépréciation sont conduits à chaque clôture en s’appuyant sur des indicateurs de perte de valeur.

Selon le guide de l’AICPA, s’il il existe un indicateur de dépréciation (dans le cas de bitcoin on parle du marché) et qu’il est déterminé que la valeur comptable excède la valeur de marché, l’entité qui en a le contrôle doit comptabiliser une perte de valeur d’un montant égal à cet excédent. Après dépréciation, la valeur ajustée devient la nouvelle valeur comptable de l’immobilisation incorporelle. Du moment que le marché est représentatif de la valeur du coin (beaucoup d’échanges), cela peut constituer un excellent indicateur pour évaluer la valeur de l’actif. On peut en revanche se poser des questions pour les coins dont les volumes d’échanges sont plus faibles. En effet, les volumes peuvent ne pas être suffisants pour absorber la quantité détenue et le fait de passer un ordre important peut affecter le prix de cotation.

Pour ajuster la valeur du bitcoin, il n’y a donc rien de plus simple, la société doit examiner le prix du marché qu’elle a identifié comme son marché principal, et multiplier ce prix par la quantité de bitcoin détenue par la société. Le montant inscrit au bilan sera ajusté si la valeur comptable est supérieure à la valeur de marché. Ce test de dépréciation doit être effectué à chaque clôture (à chaque fois que l’entreprise publie ses comptes) si cela est nécessaire ou lorsque des événements indiquent qu’il y a de grandes chances que les actifs se soient dépréciés. Dans tous les cas, ce test doit être effectué au minimum une fois par an.

La question de l’unité comptable

Dans le cas où des immobilisations incorporelles sont exploitées comme un seul actif et sont considérées indissociables, elles doivent être regroupées en une seule unité de comptabilisation. Déterminer si plusieurs actifs incorporels à durée de vie indéfinie sont inséparables est du ressort de l’entreprise qui les exploite. 

Dans le cas des bitcoins cela pose un problème, notamment pour les ventes ou tests de dépréciation. Les bitcoins (ou même des fractions de bitcoin) peuvent évidemment être vendu séparément et les entreprises réalisent souvent de multiples acquisitions et cessions au cours d’une même période, à des prix différents. 

Admettons qu’une entreprise achète 100 Btc à un coût total de 40K$ et renouvelle l’opération plus tard à un prix de 50K$, si l’on regroupe l’ensemble des acquisitions, le prix de revient unitaire est de 45K$. Dans ce cas, si le cours du Btc à la fin de la période est de 48K$, il n’est pas nécessaire pour l’entreprise de déprécier ses actifs. Pour autant, si les Btc qui présentent les mêmes caractéristiques (date et prix d’acquisition) sont considérés séparément, l’entreprise doit déprécier les Btc achetés à 50K$. On peut alors se demander quelle est la méthode la plus appropriée. 

Dans le document de Microstrategy on peut lire la chose suivante

“Si une entité détermine qu’une unité individuelle (ou une fraction divisible d’une unité) représente l’unité de compte à des fins de test de dépréciation, il ne serait pas approprié d'effectuer une telle comparaison pour un ensemble d’actifs numériques du même types achetés à des prix différents. Cette approche pourrait entraîner une réduction inappropriée du montant de la perte de valeur en compensant (1) les pertes sur les unités dont la valeur comptable est supérieure à la juste valeur contre (2) les gains non réalisés sur les unités dont la valeur comptable est inférieure à la valeur de marché actuelle. En pratique, les entités pourraient effectuer des tests de dépréciation pour des lots ayant la même date d’acquisition et la même valeur comptable”.

Dans le cas d’une vente, le problème est le même. Difficile d’identifier quelle unité de crypto a été vendue ou transférée. Il est évident de constater que le nombre d'unités a diminué mais comment savoir quels coins ont été vendus ? Pour tracker ces différents achats, les coins qui partagent les mêmes caractéristiques peuvent être rassemblées dans une même wallet, mais cela contraint l’entreprise à multiplier les wallets si elle conduit plusieurs opérations. En revanche, elle est en mesure de réaliser des tests de dépréciation sur chaque wallet pris individuellement.

Comptabilisation des dépréciations et des plus/moins-values

Une dépréciation ne conduit pas à des flux. Il s’agit simplement d’une constatation de perte de valeur. Les pertes de valeur des actifs numériques doivent être présentées dans les postes du compte de résultat des activités poursuivies selon FASB ASC 350. Ces pertes viendront donc réduire le résultat net et cela permettra d’équilibrer le passif du bilan lorsque ce résultat sera ajouté aux capitaux propres. Dans le tableau de flux de trésorerie, qui part du résultat net, cette perte doit être reprise puisqu’elle ne correspond pas à un décaissement.

Lorsque l’entreprise décide de vendre ses cryptos, elle doit enregistrer la plus ou moins-value de la transaction dans son compte de résultats. La plus ou moins-value correspond nécessairement à la différence entre le prix de vente et la valeur comptable (potentiellement dépréciée). En toute logique, si une entreprise constate une perte de valeur, cela réduira certes son résultat imposable mais conduira inévitablement à une plus-value plus importante lors de la vente.

Au niveau du tableau de flux de trésorerie, l’entreprise devra évidemment distinguer la plus ou moins-value du reste de la transaction. Ces opérations seront classées dans la partie investissement du tableau de flux.

Que doit renseigner l’entreprise lors d’une dépréciation ou d’une vente ?

Dans les 10-Q, 10-K ou rapports annuels d’une entreprise, vous serez en mesure de retrouver les éléments suivants. 

Lorsque l’entreprise constate une dépréciation significative d’un actif intangible : 

  • Une description de l’actif et les circonstances qui ont conduit à la dépréciation
  • La méthode pour mesure la dépréciation et le montant associé
  • Le poste dans le compte de résultats où la perte est enregistrée

Lorsque l’entreprise vend un actif intangible et réalise une plus ou moins-value significative : 

  • Les circonstances ayant conduit à la cession ou à la cession prévue
  • Le moment prévu de cette cession
  • Le gain ou la perte comptabilisé
  • La méthode d’évaluation choisie (valeur de marché dans le cas du Btc)

Petit rappel : le raccourci Ctrl+F est votre ami

La question de l’imposition

Lorsqu’elles relèvent d’une pratique habituelle, les plus-values de cessions d’actifs numériques, bitcoins ou autres cryptomonnaies, sont imposées au titre des bénéfices industriels et commerciaux.

Si l’entreprise ne souhaite pas utiliser les actifs numériques dans son business mais plutôt les conserver comme un investissement ou un actif de réserve de trésorerie, les cryptomonnaies sont considérées comme des immobilisations incorporelles et la vente de celles-ci conduit à un gain ou une perte de capital. En cas de pertes, celles-ci peuvent seulement réduire les gains en capital réalisés. Cependant, l’entreprise est en mesure de reporter les pertes sur chacune des trois années fiscales précédentes et sur chacune des cinq années suivantes.

La dépréciation générera un actif d’impôt différé car le résultat fiscal de l’entreprise sera plus élevé que son résultat comptable. L’actif d’impôt différé issu de la constatation d’une perte en capital future devra ensuite être mesuré pour sa réalisabilité.

La fiscalité de ces différents cas dépend ensuite de la localisation du siège social de l’entreprise.

De la théorie à la pratique

Maintenant que nous comprenons un peu mieux comment sont comptabilisées théoriquement les cryptomonnaies dans le bilan et le compte de résultat des sociétés, jetons un œil, concrètement, aux sociétés qui possèdent des actifs numériques.

Block (SQ)

Anciennement Square, Block fabrique des logiciels et du matériel qui aident les entreprises à gérer et à développer leurs activités grâce à son écosystème intégré de solutions de commerce, de logiciels commerciaux et de services bancaires. Son application, Cash App, permet à quiconque d'envoyer, de dépenser ou d'investir son argent dans des actions ou des bitcoins. Sa solution Spiral construit et finance des projets libres et open-source qui font progresser l'utilisation de la blockchain Bitcoin comme outil. Enfin elle propose le service de streaming TIDAL, une plateforme mondiale pour les musiciens et leurs fans qui utilise du contenu, des expériences et des services pour rapprocher les fans des artistes qu'ils aiment et donner aux artistes les outils pour travailler comme des entrepreneurs. Nous allons ici nous intéresser à son activité liée à Cash App.

Le PDG, Jack Dorsey, également cofondateur de Twitter est connu pour être un féroce défenseur du bitcoin, la plus grande cryptomonnaie en termes de valorisation sur le marché des actifs numériques. “Ce qui a vraiment motivé ma réflexion et motivé ma passion, c’est que si Internet avait une chance d’obtenir une monnaie locale, quelle serait-elle ? Pour moi, c’est du bitcoin à cause de ces principes, à cause de sa résilience” Jack Dorsey, conférence “The B-Word”, juillet 2021.

Comme nous l’avons mentionné précédemment, via l’application Cash App, Block propose aux utilisateurs de se procurer des cryptomonnaies. Dans ce cadre, voyons comment la société comptabilise et enregistre ses BTC

Si nous consultons les états financiers de Block, nous voyons que sur l’exercice 2021, la ligne “Bitcoin Revenue”  affiche 10,12 milliards de dollars via Cash App soit plus de 50% des revenus totaux de la société. En fait, Block se tient en tant que “teneur de marché” en agissant en tant que contrepartie pour chaque transaction de bitcoins dans l’application. De cette manière, Block enregistre l’ensemble des transactions des utilisateurs et donc l’ensemble de l’argent dépensé par les utilisateurs pour acheter du bitcoin en tant que “Bitcoin Revenue”. En 2021, cette ligne a représenté 10,12 milliards de dollars de revenus mais, dans un même temps, elle est associée à un coût total de 9,79 milliards de dollars. Autrement dit, Block a véritablement réalisé la différence entre les deux, soit un peu plus de 300 millions de dollars.

Ainsi nous comprenons que le volume d’affaires de Block est “artificiellement” gonflé par l’enregistrement des flux de capitaux provenant des utilisateurs directement dans la section “Bitcoin Revenue” de la société. Cap sur les états financiers de la société. 

Données issues du 10-K de Block pour l'exercice de l’année 2021  (en milliers de dollars, pour chaque donnée).


10-K de Block
Source : Block

Ainsi, si nous superposons les revenus issus des activités sur les coûts qui y sont liés, nous pouvons dégager les marges brutes : 

Marge brute = Total net revenue (17 661 203 000 $) - Total cost of revenue (13 241 380 000 $) = 4 419 823$. 

Sur plus de 4 milliards de dollars de marges brutes, les activités concernant son activité de “teneur de marché crypto” n’a en réalité générée que 300 millions de dollars. Les autres segments d’activité de la société ont au final généré la plus grande partie des marges. Et comme nous l’avons vu, le volume d’affaires gigantesque de “Bitcoin Revenue” ne  représente en réalité qu’une petite partie de la marge totale des activités (6%).

Mais la société ne se contente pas des frais de transactions concernant les cryptomonnaies. Elle en détient dans une logique d’investissement. Elle a acheté 50 millions de dollars de bitcoins en octobre 2020 et 170 millions de bitcoins en février 2021. Comme évoqué un peu plus haut, les cryptomonnaies sont comptabilisées comme des immobilisations incorporelles et plus précisément en tant qu’actif incorporel à durée de vie indéfinie, et est donc assujetti à des pertes de valeurs si la valeur de marché de l’actif en question tombe en dessous de la valeur comptable pendant la période évaluée. Les pertes de valeurs ne peuvent être récupérées pour toute augmentation ultérieure de la valeur de marché avant la vente de l’actif. 

Dans le cas de Block, des pertes de valeur à hauteur de 71,1 millions de dollars sur des investissements en bitcoins ont été enregistrées au cours de l’exercice clos le 31 décembre 2021 en raison de la baisse du cours du bitcoin en dessous de la valeur historique comptable (valeur d’acquisition incluant les frais). Cette perte de valeur conduira inévitablement à une plus-value plus importante lors de la vente.

Jetons un œil à présent sur un autre acteur du marché qui axe cette fois-ci l’entièreté de ses activités sur les échanges de cryptomonnaies : Coinbase.

Coinbase (COIN)

Cette plateforme d’échange créée en 2012 est l’une des principales places pour se procurer de la cryptomonnaie. La société permet à plus de 73 millions d'utilisateurs de détail dans plus de 100 pays de se procurer des crypto-actifs. 

Nombre d’utilisateurs sur Coinbase
Source : Statista

Pour les utilisateurs particuliers, elle offre un compte financier primaire pour investir, stocker, dépenser, gagner et utiliser des cryptomonnaies. Elle fournit un guichet unique aux fonds spéculatifs, aux gestionnaires de fonds et aux entreprises pour accéder aux marchés cryptographiques grâce à une technologie avancée de négociation et de garde. 

Sur Coinbase les utilisateurs commercent directement les uns avec les autres sur la plateforme. Si en 2020 la société avait facilité 193 milliards de dollars de transactions, en 2021, elles ont représenté plus de 1671 milliards de dollars (+766%). 

10-K Coinbase
Source : Coinbase

Sur ces transactions, Coinbase a généré 7,8 milliards de dollars de revenus soit l’équivalent de 0,4% des volumes de transactions. En revanche, contrairement à Block, Coinbase n’enregistre pas le volume des transactions en tant que revenus, mais elle enregistre réellement les revenus générés par ces volumes de transactions. Si nous nous étions calqués sur la même compatibilité que Block, une ligne “Bitcoin Revenue” de Coinbase afficherait : 1 600 000 000 000 $. A ce compte là, Coinbase surclasserait largement Block. 

Cette fois-ci, en se basant sur la comptabilité de Coinbase, Block afficherait donc, sur son activité de teneur de marché, des revenus équivalent à 300 millions de dollars, alors que Coinbase, elle, affiche plus de 7,84 milliards de dollars de  revenus, dont 3,19 milliards de dollars de bénéfices, ce qui correspond à une marge bénéficiaire de 41%. 

Enfin au même titre que Block, Coinbase détient des cryptomonnaies en tant qu’immobilisations incorporelles :

Au 31 décembre 2021, Coinbase détenait 566,5 millions de dollars en actifs numériques à des fins d’investissement. À juste titre, les bénéfices et les flux futurs de trésorerie seront affectés, comme nous commençons à la comprendre, par la valeur de marché au moment de la revente. En 2021, la société à enregistré une dépréciation de ses actifs à hauteur de 119,9 millions de dollars en raison de la baisse du cours du bitcoin en dessous de la valeur historique comptable.

Finissons par un autre acteur du marché qui a cette fois l’unique activité de minage de bitcoins. 

Marathon Digital Holdings (Mara)

Marathon Digital Holdings, anciennement Marathon Patent Group, Inc, est une société qui opère dans le segment de la blockchain et plus particulièrement le minage des devises numériques, en l'occurrence le Bitcoin. Alors que précédemment nous nous étions concentré sur des sociétés qui se positionnent en tant que teneur de marché, ici l’activité est belle et bien différente. Mara a pour activité principale le minage de bitcoins. 

Si nous nous intéressons aux états financiers de la société, nous constatons rapidement que les “stocks” de cryptomonnaies sont comptabilisés en tant qu’actif courant et font aussi l’objet de tests de dépréciation. A titre d’exemple la société a, sur les trois premiers trimestres de l’année 2021, portée à son bilan 282,7 millions de dollars d’actifs numériques pour 7 035 bitcoins qui comprennent des dépréciations à hauteur de 18,5 millions de dollars. Nous comprenons que les bitcoins minés sont enregistrés à leur valeur de marché avec son équivalent en dollars et non à leur coût de production. Pour Marathon, les actifs numériques minés sont enregistrés en tant que “cryptocurrency mining revenue” dans le compte de résultat.

Le graphique ci-dessous affiche les données issues du 10-K de Marathon pour l'exercice des trois premiers trimestres de l’année 2021 (en milliers de dollars pour chaque donnée)

Côté finance, Marathon a généré 90,2 millions de dollars de revenus sur les trois premiers trimestres de l’année 2021 mais a enregistré une perte nette de 47,7 millions de dollars suite à une rémunération conséquente du board de direction, le résultat net attendu pour 2022 s’élève à plus de 300 millions de dollars.

Conclusion

Au travers cet article, nous avons compris que les bitcoins détenus au titre d’investissement sont considérés comme des actifs incorporels à durée de vie indéfinie. Il ne sont donc pas amortissables mais font l'objet de tests de dépréciation conduits annuellement, ou plus fréquemment, lorsque des événements ou des changements de circonstances indiquent qu'il est probable que les actifs à durée de vie indéfinie se soient dépréciés. Même si certains cabinets estiment qu’il serait intéressant d’appliquer le principe de fair value (et donc réévaluer à la hausse comme à la baisse) aux cryptomonnaies, cela va à l’encontre des normes comptables, ce qui explique pourquoi ce choix n’est pas retenu.

Il y a dépréciation lorsque la valeur comptable excède la valeur de marché, qui est mesurée en utilisant le prix actuel de la monnaie numérique sur le marché. Dans la mesure où une perte de valeur est comptabilisée, la perte établit la nouvelle base de coût de l'actif.

Avec ce guide un peu long, mais nécessaire, nous comprenons mieux comment les sociétés comptabilisent leurs actifs numériques dans leur bilan et où elles enregistrent les dépréciations dans leur compte de résultat. Si ici nous nous sommes cantonnés à l’aspect comptable des crypto au sein des sociétés cotées, il est fort probable qu’un état des lieux de la fiscalité et de l’imposition des particuliers en tant que crypto-investisseur vous intéresse. Nous vous concoctons un guide qui explore les thématiques du Web 3.0 et qui inclut donc le cadre fiscal et réglementaire pour les transactions en cryptomonnaie en tant que particulier.

Auteurs : MONCEAU Etienne et PIGNOT Laurent

Sources : 

https://investors.block.xyz/financials/sec-filings/default.aspx 10-K Block

https://s27.q4cdn.com/397450999/files/doc_financials/2021/q4/8e5e0508-da75-434d-9505-cba99fa00147.pdf 10-K Coinbase

https://ir.marathondh.com/sec-filings/all-sec-filings/content/0001493152-21-028278/0001493152-21-028278.pdf 10-K Marathon

https://www.ifrs.org/ L'IASB

https://www.fasb.org/home Le FASB