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(Easybourse.com) De quelle manière appréhendez-vous le contexte macro économique et financier à l'heure actuelle ?
Les données les plus récentes montrent quelques signes de stabilisation de l'économie mondiale, mais à un niveau d'activité encore très faible.

Nous sommes inscrits dans une véritable course contre la montre. D'un coté les acteurs du secteur financier ainsi que les ménages sont contraints de se désendetter rapidement en employant tous les moyens. De l'autre coté, les gouvernements se sont lancés dans un processus d'endettement  massif afin de stimuler la consommation et l'investissement internes.

Le problème est que le mouvement de désendettement privé se fait à un rythme plus rapide que celui de l'endettement public.

Dans ce contexte, même si nous ne sommes pas dans une configuration comparable à celle de 1929, il me semble toutefois que nous ne devons pas tabler sur une reprise de la croissance mondiale rapide. Notre scénario table sur une récession en 2009 et sur une croissance molle, autrement dit en dessous de son potentiel pour 2010.

Je suis relativement sceptique s'agissant de la durabilité du rallye qui caractérise actuellement le marché des actions. Certes, ces dernières bénéficient de valorisations attractives, mais l'investissement en actions s'inscrit dans une logique de long terme. A court terme, le marché equity devrait rester très volatil.

Les chainons poussant à une déflation approfondie demeurent très forts…
La baisse de prix des actifs (actions, biens immobiliers), le resserrement progressif des conditions d'octroi de crédits sont effectivement des éléments qui contribuent à une intensification des pressions déflationnistes.
Les gouvernements essaient de lutter contre cela mais il n'est pas évident qu'ils y parviendront.

Quel regard portez-vous sur le risque de protectionnisme ?
Une des conséquences très négatives de la crise des années 1930 fut une montée du protectionnisme entre les grands pays de l'économie mondiale.
Il est clair que si l'on considère certaines clauses inscrites dans le plan du Président Obama, la concrétisation éventuelle de ce risque peut nous inquiéter.
Ceci étant, je pense qu'il s'agit davantage d'un protectionnisme rhétorique que d'un protectionnisme réel.
En témoignent les différents sommets internationaux auxquels participent les dirigeants politiques des pays qui se présentent comme protectionnistes ou susceptibles de l'être.
La volonté d'une meilleure coordination de la politique économique au niveau mondial semble faire l'objet d'un consensus élargi. C'est ce qui ressort de la dernière réunion du G20.
Parallèlement, il apparaît comme acquis par les dirigeants des grandes puissances mondiales qu'une guerre du commerce serait inutile et néfaste pour le monde entier.

A la fin du mois de février nous avons eu le sommet de l'Asean-3 (Corée du Sud, Japon et Chine), les leaders avaient affirmé leur souhait de poursuivre la coopération entre les pays de la zone asiatique d'une part et de promouvoir le développement du commerce entre l'ensemble des pays du globe d'autre part.

Par voie de conséquence, je ne suis pour le moment pas très inquiète s'agissant d'une aggravation du risque de protectionnisme.

Ceci étant, ce protectionnisme a été quelque peu pratiqué sur le marché des changes…
En effet, les prémices d'une stratégie de dévaluations compétitives sont apparues sur les marchés. Le risque est que cette stratégie se développe dans de nombreux pays, ce qui aurait pour conséquence des dérèglements économiques et financiers significatifs.

Pendant longtemps, les marchés anticipaient une appréciation de la devise chinoise face au dollar. Or, désormais les taux forward sur la monnaie chinoise indiquent des anticipations de dépréciation vis-à-vis du dollar américain. Il me semble néanmoins qu'après plusieurs années de hausse, le scénario le plus probable pour le renminbi est celui d'une stabilité face au dollar.

De quelle manière considérez-vous les autres monnaies ?
Les grandes devises se situent plutôt à leur valeur d'équilibre que ce soit pour le dollar, l'euro ou le yen. Nous prévoyons, tout en gardant à l'esprit qu'il y aura une grande volatilité du fait de la coexistence de vents contraires influençant l'orientation des principales parités, 1,35 sur l'euro/dollar à 12 mois, 90 sur le dollar/yen.

La seule grande devise qui me parait sous évaluée à ce jour est la livre sterling. Celle-ci a vocation à rester sous évaluée encore un moment en raison des craintes qui pèsent sur l'évolution du secteur bancaire qui représente une partie importante du PIB du pays.

Qu'entendez-vous par vents contraires ?
Si nous prenons l'exemple du dollar, nous pouvons nous dire qu'il y a de fortes chances pour que les Etats-Unis soient les premiers à sortir de la crise, et qu'à ce moment les investisseurs retrouveront de l'appétit pour se réorienter en masse sur les actifs américains.
Néanmoins, c'est sans tenir compte du fait que le plan de relance budgétaire a été très agressif dans le pays, et que le déficit externe s'est considérablement creusé.
Or une des grandes erreurs commises pendant les années 1930 et lors de la décennie perdue au Japon, fut un resserrement trop rapide de la politique économique plongeant ainsi les économies dans une récession profonde et durable. Si par conséquent la politique économique accommodante se poursuit aux Etats-Unis, cela constituera un risque d'aggravation de l'inflation et un facteur négatif pour la valeur du dollar.

Si les stratégies de change qui consistent à jouer les grandes devises sont dangereuses en ce moment, il parait pertinent de jouer sur les devises secondaires…
Une série de pays émergents a été touché par la crise financière au travers de leur devise : le forint hongrois, le won coréen, le peso mexicain. Malgré le fait que je prévois une amélioration de la situation qui pourrait être parfois turbulente, ces paniers de devise offrent des opportunités intéressantes.
Du fait d'une remontée des prix des matières premières à venir, les devises australienne et canadienne pourraient également s'avérer intéressantes.

Quel point de vue portez-vous sur l'or ?
Certaines analyses récemment publiées prévoient une valeur de l'or dans 5 ans de l'ordre de 2500 $ par once.
Si l'or peut se confirmer être une classe d'actif intéressante en tant que protection contre le dollar, contre l'inflation… pour autant il y a lieu de garder en tête qu'il n'existe pas de classe d'actif miracle.

D'un point de vue fondamental, on estime que la valeur d'équilibre à long terme de l'or se situe aux alentours de 800 dollars. A ce jour, le métal précieux est alors légèrement surévalué.
Ensuite, l'or est une protection contre l'inflation sur une période de 40 ans. Autant dire, que dans ce cas, il est préférable d'investir sur le marché des actions, puisque dans ce laps de temps, pour la même volatilité, il est possible d'obtenir un meilleur rendement.

Certains craignent un éclatement de la zone euro. Qu'en pensez-vous ?
Je suis d'origine danoise, et en cela je peux dire à juste titre que le refus d'un petit pays comme le Danemark de ne pas adhérer à l'euro a couté cher aux ménages danois pendant la crise. La banque centrale pour soutenir la devise a en effet été contrainte à garder un taux d'intérêt plus élevé.

L'idée d'un éclatement de la zone euro ne me parait pas du tout plausible. Certains prétendent qu'un pays comme la Grèce pourrait soulager ses difficultés économiques en sortant de la zone euro, grâce à une dévaluation de sa devise. Mais cet argument est erroné.
Cela reviendrait en fait pour la Grèce à commettre une sorte de « suicide économique ». En découlerait tout d'abord une série de problématiques d'ordre logistique : la mise en place de mesures de contrôle des flux de capitaux pour éviter des sorties massives, l'établissement d'une nouvelle devise (ce qui sous-tendrait des coûts d'impression significatifs, des coûts liés à l'installation de nouveaux systèmes informatiques…).

A ceci se rajouterait une crise sur la dette souveraine, une crise bancaire et une crise de confiance dans l'économie.

Dernier argument, et non des moindres, une sortie de la Grèce de la zone euro la priverait d'un éventuel soutien de ses partenaires européens en cas de difficultés importantes.

Nous pourrions évoquer l'idée de la sortie d'un autre pays de la zone euro : l'Allemagne…
L'absence de rigueur dans la conduite des politiques économiques de certains de ses homologues pourrait en théorie conduire l'Allemagne à vouloir se désolidariser et à faire cavalier seul.
Au-delà des problématiques d'ordre logistiques, une telle décision aurait pour conséquence une fuite des capitaux vers l'Allemagne et in fine une appréciation de sa devise.
Au moment même où son secteur manufacturier souffre de la récession mondiale, cette appréciation serait un handicap majeur.
Par ailleurs, l'entrée massive des capitaux conduirait à une abondance de liquidités, une multiplication des crédits, et à un schéma inflationniste.

Ainsi les arguments économiques allant dans le sens d'un éclatement de la zone euro sont extrêmement faibles.

Le retour d'une certaine discrimination sur le marché obligataire entre les pays de l'Union européenne, motivée par une  réduction de la note de la dette souveraine pour la Grèce, le Portugal, l'Espagne est une bonne chose…
Nous revenons à une certaine discipline sur le marché en termes de politique budgétaire. C'est en cela quelque chose de sain.

Un autre pays de l'Union européenne qui risque de voir sa note souveraine diminuée est le Royaume Uni, pourquoi ?
Les actifs bancaires au Royaume Uni représentent 400% du PIB. C'est certes moins important que pour l'Islande où les actifs bancaires représentaient 900% du PIB.
Et si les deux pays affichent des configurations drastiquement différentes, certains parallèles peuvent néanmoins être mis en évidence.
Dans les deux pays, le secteur bancaire dépend beaucoup du financement dans des devises étrangères. Ainsi, il est difficile pour la banque centrale nationale de jouer le rôle de prêteur en dernier ressort. C'est ce qui a provoqué la faillite du secteur bancaire islandais.
Et c'est ce qui amène à voir au Royaume Uni le risque bancaire se transformer progressivement en risque souverain.

Pour protéger la place de Londres, il sera peut-être nécessaire, pour le Royaume Uni de rejoindre la zone euro ! D'ailleurs, outre la solidité intrinsèque du secteur, un des points très positifs pour les banques françaises a résidé dans l'appartenance de la France à la zone euro.

Nous devrions entrer dans une nouvelle période caractérisée par une véritable instabilité des prix. Pourquoi ? 
Durant les trente dernières années, les marchés ont été marqués par l'idée d'une diminution de la participation de l'Etat dans l'économie. Il y a alors eu une déréglementation très forte au niveau de multiples secteurs phares comme la finance, les télécoms…
Les banques centrales ont gagné en indépendance. Le coût du capital n'a cessé de baisser. Nous avons connu une période exceptionnelle en termes de stabilité des prix. La croissance était en grande partie tirée par les consommateurs américains.

Le point de rupture traduit par les politiques de relance budgétaires ou encore le renforcement de l'environnement réglementaire va conduire à un coût de capital structurellement plus élevé.
Nous allons à mon sens vers une véritable instabilité des prix. J'entrevois à la suite des craintes déflationnistes qui dominent actuellement, des craintes inflationnistes prendre le dessus.

De quelle manière considérez-vous la question des nationalisations partielles ou complètes des établissements bancaires ?
Si la nationalisation est une opération très défavorable à l'actionnaire, c'est en revanche dans certain cas une bonne nouvelle pour l'économie réelle. Les banques garanties par l'Etat ont plus de facilité à prêter à l'économie.

Propos recueillis par Imen Hazgui

- 08 Avril 2009 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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