* L'Otan reconnaît pour la première fois des pertes civiles

* Des chasseurs entendus au-dessus de Tripoli

par Nick Carey

TRIPOLI, 20 juin (Reuters) - L'Otan risque de perdre la bataille de l'opinion face à Mouammar Kadhafi en raison des bavures qui causent la mort de civils en Libye, a estimé lundi le ministre italien des Affaires étrangères, Franco Frattini.

Pour la première fois, l'Otan a reconnu sa responsabilité dans la destruction d'un immeuble, à Tripoli, où neuf civils ont trouvé la mort dimanche, selon les autorités libyennes.

L'alliance a expliqué que la cible visée était un site de missiles militaires mais qu'une défaillance du système semblait avoir fait dévier l'une des bombes.

Le général Charles Bouchard, commandant de la mission, a exprimé des regrets pour les pertes de civils.

Les autorités libyennes ont accusé l'Otan d'avoir pris délibérément pour cible la population civile et elles ont imputé à l'alliance d'autres morts de civils à Sebha, dans le Sud, et à Sorman, à l'ouest de Tripoli.

"L'Otan met en péril sa crédibilité: nous ne pouvons pas prendre le risque de tuer des civils", a dit Franco Frattini à des journalistes à Luxembourg, avant une réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne.

"On ne peut pas continuer à avoir autant de défauts dans notre façon de communiquer avec le public, à ne pas être à la hauteur de la propagande quotidienne de Kadhafi", a estimé le chef de la diplomatie italienne.

TENSIONS AU SEIN DE L'OTAN

Franco Frattini a jugé en outre que les médias occidentaux ne soulignaient pas assez la qualité du travail de l'alliance atlantique pour protéger la population civile en Libye.

L'Otan n'en a pas moins poursuivi lundi sa campagne de raids aériens entreprise il y a trois mois sous mandat de l'Onu.

Un journaliste de Reuters présent dans le centre de Tripoli a entendu en milieu de journée des chasseurs survoler la capitale, avant qu'une explosion retentisse au loin. Aucune précision n'a été donnée dans l'immédiat sur la cible atteinte.

Selon l'agence libyenne Jana, des raids aériens ont fait quatre morts et dix blessés dimanche à Sebha parmi des membres de la protection civile venus apporter les premiers soins sur des sites civils touchés par la coalition.

Les autorités gouvernementales ont emmené des journalistes à Sorman, à 70 km à l'ouest de Tripoli, sur un site présenté comme le domicile de Khouildi Hamidi, l'un des 12 membres du Conseil de commandement révolutionnaire créé par Mouammar Kadhafi après sa prise du pouvoir, en 1969. Le gouvernement affirme qu'un raid contre ce site a tué 15 civils, dont trois enfants.

L'Otan a lancé le 19 mars ses premiers raids aériens en Libye, destinés selon elle à protéger les civils confrontés à la répression d'une rébellion contre le régime de Kadhafi.

Le dirigeant libyen a dénoncé une agression coloniale visant à mettre la main sur le pétrole libyen.

A mesure que la campagne perdure alors que Kadhafi se maintient au pouvoir, des tensions sont apparues entre membres de l'Otan.

UN DÉLÉGUÉ DES INSURGÉS EN CHINE

Le ministre libyen des Affaires étrangères, Abdelati Obeïdi, a dénoncé une "tentative pathétique (...) de briser le moral du peuple de Tripoli et de permettre à un petit nombre de terroristes de causer l'instabilité et le désordre dans une ville paisible".

Un porte-parole des rebelles combattant le régime de Kadhafi a rejeté sur ce dernier la responsabilité des pertes civiles.

"Nous regrettons la perte de vies civiles causées par des raids aériens menés par l'Otan", a déclaré Abdel Hafiz Ghoga, vice-président du Conseil national de transition.

"Nous tenons le régime de Kadhafi responsable pour avoir placé ses (installations) militaires près de zones civiles, de sorte qu'il fallait s'attendre à de telles pertes", a-t-il dit.

La direction de l'insurrection basée à Benghazi, dans l'est du pays, tablait sur un rapide renversement de Kadhafi, mais les forces de ce dernier, mieux équipées et entraînées, ont réussi à arrêter la progression des rebelles vers Tripoli, en dépit des bombardements de l'Otan.

Mahmoud Djibril, représentant diplomatique des rebelles, est attendu mardi en Chine, pays qui n'a pas pris fermement parti dans la guerre civile en Libye mais a tenté de renforcer ses liens avec l'opposition.

Ali Tarhouni, désigné responsable des Finances et du Pétrole par les insurgés, a accusé samedi les pays occidentaux de ne pas respecter leurs promesses d'aide financière.

Ces dernières semaines, les rebelles libyens ont néanmoins acheté près de 100.000 tonnes de céréales et de farine.

Selon les milieux céréaliers, ces vivres ont été presque exclusivement acheminées par la route via l'Egypte et la Tunisie, les armateurs étant réticents à prendre des risques pour leurs bateaux. Le Qatar et peut-être les Emirats arabes unis ont assuré le financement des achats, dit-on de même source (Avec David Brunnstrom à Bruxelles, Maria Golovnina à Benghazi, Michael Hogan à Hambourg, Jonathan Saul à Londres et Valérie Parent à Paris, Clément Guillou et Nicole Dupont pour le service français, édité par Gilles Trequesser)