(Répétition sans changement d'une dépêche diffusée vendredi)

par Tarek Amara et Angus McDowall

TUNIS, 15 septembre (Reuters) - L'élection présidentielle de dimanche en Tunisie s'annonce comme la plus imprévisible dans l'histoire de la jeune démocratie du pays nord-africain, pionnier des révolutions arabes de 2011 : aucun candidat évident ne se détache dans un contexte économique fortement dégradé.

Si les observateurs extérieurs, en particulier les pays arabes, s'intéresseront au résultat du candidat du parti islamiste modéré Ennahda, de nombreux Tunisiens semblent séduits par la figure controversée du publicitaire Nabil Karoui, champion autoproclamé des pauvres arrêté le mois dernier dans le cadre d'une enquête pour fraude fiscale et blanchiment d'argent.

Mais des années de chômage, d'inflation et de coupes dans les dépenses publiques nourrissent avant tout un sentiment de frustration et de désillusion vis-à-vis de la politique qui accentue encore l'incertitude.

"Je ne vois pas un seul candidat qualifié qui mériterait de gouverner la Tunisie", avoue Houda Ben Ayed, une femme rencontrée à une station de tramway à Tunis.

Dans le cas - probable - où aucun candidat n'obtiendra dimanche la majorité absolue, un second tour sera organisé le 13 octobre. L'issue du scrutin devrait également influer sur les élections législatives programmées une semaine plus tôt, le 6 octobre.

La campagne électorale qui s'achève a toutefois illustré de manière spectaculaire la vivacité de la démocratie en Tunisie, qui compte sept millions d'électeurs inscrits.

Plus de huit ans et demi après le renversement de l'autocrate Zine Ben Ali en janvier 2011, au terme de la "révolution du jasmin", les débats télévisés entre les 24 hommes et deux femmes qui briguent l'investiture suprême ont été largement suivis.

Les candidats - parmi lesquels l'actuel Premier ministre Youssef Chahed, deux de ses prédécesseurs, Mehdi Jomaa et Hamadi Jebali, ou encore l'ancien président Moncef Marzouki - représentent un large spectre politique inimaginable dans d'autres pays arabes: gauche laïque contre islamistes modérés, libéraux contre protectionnistes, soutiens de la révolution contre défenseurs de l'ancien régime.

POLARISATION

La plupart des élections organisées depuis 2011 ont conduit à des accords de partage du pouvoir entre partis rivaux cherchant à éviter une dangereuse polarisation entre islamistes et laïques, ou à présenter un front uni face à la crise économique.

Mais la perennité de ce modèle consensuel n'est pas assurée. Le résultat du premier tour de l'élection présidentielle dimanche pourrait en effet pousser les partis à la surenchère avant les législatives.

Même s'il demeure la personnalité la plus importante sur la scène politique tunisienne, le président n'exerce un contrôle direct que sur les affaires étrangères et la défense.

Elu par le Parlement, le Premier ministre supervise la plupart des autres portefeuilles.

Plusieurs candidats ont remis en cause ce partage des tâches, réclamant une modification de la Constitution pour élargir les pouvoirs présidentiels.

Le cas de Nabil Karoui ajoute encore à la confusion. Propriétaire d'une chaîne de télévision et d'une organisation caritative qu'il utilise pour soigner son image de défenseur des classes populaires, il est accusé par ses détracteurs de démagogie et de menace pour la démocratie.

Ses partisans dénoncent au contraire les persécutions dont il ferait l'objet de la part du pouvoir et dont ils voient la preuve dans son arrestation le mois dernier, alors que l'enquête qui le vise pour fraude fiscale et blanchiment d'argent a été ouverte il y a déjà plusieurs années.

Face à lui, le candidat qui se présente comme celui de la continuité est le Premier ministre Youssef Chahed, dont le gouvernement en place depuis 2016 applique les réformes économiques réclamées par le Fonds monétaire international en échange d'une aide financière.

Il incarne les difficultés que devra affronter le prochain président, entre les exigences des bailleurs de fonds internationaux et les difficultés économiques endurées au quotidien par une grande partie de la population.

Interdit sous la présidence de Ben Ali, le parti Ennahda a fortement lissé son image depuis la Révolution, se présentant comme un parti "musulman démocrate" et participant à divers gouvernements, même si de nombreux Tunisiens continuent de le soupçonner de cacher son jeu.

Son candidat, Abdelfattah Mourou, âgé de 71 ans, fait partie de l'aile modérée du parti. C'est la première fois qu'Ennahda, qui s'appuie sur un appareil sans égal dans le pays, présente un candidat à la présidentielle, alors qu'on le dit avant tout intéressé par les législatives.

Le chef d'Ennahda, Rached Ghannouchi, n'en a pas moins appelé les autres candidats conservateurs à se retirer.

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