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(Easybourse.com) Comment expliquez-vous que la finance islamique soit tant médiatisée aujourd'hui en France ?
Le président de la République Nicolas Sarkozy, au moment de son élection a clairement affiché sa volonté d'accroître la compétitivité de la place financière de Paris,  notamment en développant sa capacité d'accueil de la finance islamique, en comblant le retard pris par rapport à Londres et en faisant ainsi de Paris la première « place financière islamique d'Europe».
La localisation de Paris dans la zone euro a vocation à renforcer significativement l‘attractivité de la capitale, eu égard à la liquidité provenant du Golfe, de la Malaisie, de l'Indonésie…

Ces éléments sont exacerbés par le fait que nous traversons une crise, que nous avons de plus en plus besoin en France d'investisseurs extérieurs notamment pour les PME et pour les collectivités locales qui ne reçoivent plus d'argent de Dexia, de la Caisse des dépôts, alors qu'elles ont par ailleurs des quantités de projets à financer.

Il est estimé un potentiel d'investissement provenant de la finance islamique de près de 10 milliards de dollars dans les entreprises françaises. Qu'en pensez-vous ?
C'est le chiffre consensuellement retenu.
Cela dépendra de plusieurs paramètres. Tout d'abord de la situation financière mondiale. Ensuite de la capacité de la place financière de Paris à développer les possibilités de création de sukuks.

Justement quel regard portez-vous sur les réformes juridiques entreprises dans le but de favoriser l'émission de sukuk en France ?
Le gouvernement français a choisi une voie quelque peu différente de celle qui avait été empruntée par Gordon Brown au Royaume Uni à l'époque.
Il a été décidé de ne pas mettre en place de cadre juridique pour spécifiquement faciliter la création de produits financiers islamiques. Ainsi s'agissant des sukuk, on a fait en sorte que ces instruments financiers puissent être émis à partir de la fiducie. En cela une réforme de la législation régissant ce mécanisme est envisagée.
La réforme n'est pas officiellement justifiée par le désir de  faire croitre  le marché de la finance islamique en France.
La modification de cette loi qui date de trois ans, qui n'a pas été beaucoup utilisée et qui est quelque peu rudimentaire est censée permettre la multiplication des possibilités de création de produits financiers issus de la fiducie.

Cette réforme constitue un dossier épineux ?
On n'a effectivement pas choisi la voie la plus facile. Mais cette réforme, au-delà du fait de favoriser la création de produits de finance islamique,  a le mérite de développer en France la pratique de la fiducie qui jusqu'à présent était inexistante. Aussi cette solution ne me parait pas déraisonnable.
Un projet de loi qui serait spécifiquement destiné à la création de produits financiers islamique sous entendrait  un débat difficile dont l'issue est incertaine. Il ferait incontestablement l'objet d'un recours devant le Conseil constitutionnel. La Constitution française prévoit que tous les individus sont égaux devant la loi et qu'il n'est pas possible d'adopter une réglementation qui avantagerait tel ou tel groupe d'individus plutôt qu'un autre.

Pensez-vous que Paris peut aspirer à devenir la capitale  de la finance islamique ?
Cela me semble plausible. Nous observons une multiplication des contacts avec les pays qui pratiquent la finance islamique au plus haut niveau de l'Etat.
A une époque où une banque islamique se crée tous les quinze jours en Afrique, il sera pratiquement impensable de travailler avec ce continent sur le plan financier et économique si on n'a pas les outils de finance islamique, et les gens compétents qui se spécialiseraient dans le domaine.

A ce propos, de quelle manière considérez-vous le fait qu'il y ait en France très peu de compétence dans le domaine ?
Si on veut ouvrir des guichets, faire de la recherche, être créatifs sur le plan des produits… il faut des gens compétents.
Il faut alors former ces gens. Les trois quart des personnes qui travaillent dans la finance islamique ont été formées à Londres, ou dans le Golfe.

Une offre professionnelle sera dispensée à travers l'Institut français de la finance islamique, dès octobre prochain. Il sera présidé par Hervé de Charette en sa double qualité d'ancien ministre des affaires étrangères et de président de la chambre de commerce franco-arabe. Les premières promotions sont prévues pour 2010.

Mais cela n'est pas suffisant.

De quelle manière percevez-vous le développement de l'offre des banques islamiques ?
Il y a dans notre pays six millions de musulmans. Un certain nombre d'associations, de personnalités militent depuis longtemps pour que l'on ouvre des banques islamiques de détail à l'instar de ce qui s'est fait au Royaume Uni.
En réalité, nous devrions dans un premier temps voir apparaître des banques islamiques dans le domaine de l'investissement, du financement corporate, et celui des collectivités locales (par exemple du grand Paris qui va couter 35 milliards d'euros sur 6 ou 7 ans)
Ces banques devraient opérer en association à hauteur de 20% avec les grandes banques de dépôt. C'est à travers les guichets de ces banques conventionnelles qu'ont vocation à être proposés des produits relativement basiques.

Il vous semble peu probable de voir s'établir des banques islamiques isolées. Pourquoi ?
Je vois mal comment la République française, laïque, pourrait accepter la création de banques destinées en particulier à une communauté. Cela semble politiquement difficile à mettre en œuvre.
Par ailleurs, à mon sens ce projet est quelque peu irréaliste dans la mesure où les meilleures études réalisées sur le sujet estiment l'importance de ce marché de détail islamique en France autour de trois milliards d'euros, ce qui représente relativement peu d'argent.

Il faudrait par ailleurs que tous les musulmans qui ont mis leur argent sous forme de dépôts auprès des institutions françaises « conventionnelles » retirent leur argent pour le transférer dans les banques islamiques.

Il faudrait enfin plusieurs guichets de ces banques islamiques dans le pays, au moins une centaine, des outils de back office performants, du personnel formé... autrement dit, des investissements considérables.
Ces investissements me semblent disproportionnés par rapport aux parts de marché susceptibles d'être acquises.

Comment appréhendez-vous la cherté des produits proposés ?
Par essence les produits de la finance islamique sont plus chers que les produits de la finance conventionnelle car ils sont plus complexes. D'autant plus qu'il y a très peu de gens qui savent faire cela.

Nous pouvons supposer le cout d'un prêt islamique à 6/7% lorsqu'un prêt conventionnel serait offert avec un taux d'intérêt de 4%.

Dans deux à trois, quand nous aurons des gens mieux formés, des fenêtres qui n'auront pas besoin de locaux particuliers, les coûts tendront à se rapprocher et les produits de la finance islamique seront alors compétitifs.

Propos recueillis par Imen Hazgui

- 18 Mai 2009 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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