Cet article a été écrit en juillet 2018. Nous le remettons en avant car l'actualité s'étoffe dans le secteur.

Une société de biotechnologie médicale cotée est une aubaine pour toute publication financière sur internet : n'importe quelle annonce entraîne une forte volatilité du titre et des centaines voire des milliers de clics frénétiques. Comme dirait mon voisin de bureau, "si une biotech annonçait la couleur de la nouvelle voiture de son patron, ça la ferait monter". Mon voisin de bureau est un grand cynique, mais il y a une part de vérité dans ses propos. Miser sur un laboratoire de biotechnologie, c'est accepter une approche moins rationnelle du marché. C'est aussi un pari à haut risque qui nécessite d'avoir le cœur bien accroché. Nous vous expliquons pourquoi.

A première vue, il faut être un peu inconscient pour investir dans une biotech. Cela revient à placer de l'argent avec un risque maximum en espérant qu'à l'issue d'un processus long et complexe, la société commercialisera un traitement qui rapportera des millions, voire des milliards. Financièrement, une biotech est une entreprise qui vit sur sa trésorerie tant qu'elle ne génère pas suffisamment de revenus. Un peu comme n'importe quelle activité en somme ? Pas vraiment, parce que le facteur temps et la probabilité d'échec total viennent chambouler tout ça. Si vous décidez de planter des fruitiers et de vendre des pommes, il est probable que vous dégagerez votre premier chiffre d'affaires assez rapidement avec un degré relativement élevé de certitude.

Si vous créez une biotech, vous ferez face à une longue phase de recherche et de développement avant de pouvoir, in fine, gagner suffisamment d'argent pour couvrir vos frais (si vous en êtes arrivés là, vous aurez d'ailleurs sans doute beaucoup plus que le nécessaire). Pour cela, il faut non seulement chercher, mais surtout trouver. Pour assurer sa survie pendant cette période, la société repose intégralement sur les financements extérieurs. Ceux-ci prennent la forme d'aides publiques et de levées de fonds durant une bonne partie de l'existence du laboratoire.

Si sa recherche est suffisamment prometteuse ou si l'un de ses candidats-médicament progresse dans son parcours clinique, elle peut attirer l'attention d'un acteur de la santé dont les capacités financières sont plus importantes, capable de financer la poursuite du processus, généralement en contrepartie d'un accord de licence voire d'une part au capital. Parfois, on l'a vu récemment avec Ablynx, le portefeuille de développement est si intéressant qu'une major, en l'occurrence Sanofi, décide de casser sa tirelire pour se l'offrir.

Un long parcours semé d'embuches

Intéressons-nous au parcours clinique, qui constitue le principal étalon du rapport risque / potentiel. La séquence ci-dessous est volontairement simplifiée pour ne conserver que les grandes lignes. Vous trouverez sur les sites spécialisés une abondante littérature en la matière pour améliorer vos connaissances.

Notre propos n'est pas de décourager l'investisseur mais de lui expliquer où il met les pieds. En l'occurrence, il faut en général une quinzaine d'années entre le début du développement d'un traitement et sa mise sur le marché. Prenons l'exemple d'une molécule, le cas le plus répandu même si le compartiment biotechnologique couvre d'autres domaines. Grâce à sa recherche, un laboratoire découvre un composé qui semble avoir des effets thérapeutiques bénéfiques. C'est la période de recherche fondamentale, souvent abritée par un institut ou une structure pédagogique. Notre molécule est d'abord évaluée en culture ou sur des animaux, c’est-à-dire en "préclinique".

Si la molécule présente toujours un intérêt, le laboratoire peut déposer une demande d'essai clinique, qui lui permettra de commencer à tester ses effets sur l'homme. Le médicament entre alors en phase 1. Il est testé sur un petit nombre de sujets sains (ou sur des malades dans certains domaines) pour déterminer sa sécurité d'emploi, ses hypothèses de dosage et l'existence d'éventuels effets secondaires. La phase 1 est relativement brève.

Si l'essai est concluant, démarre la phase 2, divisée en général en deux parties. En phase 2A, dite précoce, le traitement est administré à des patients pour valider certaines hypothèses précliniques, affiner la posologie et améliorer la connaissance des effets indésirables. En phase 2B, la cohorte de patients est plus large et les critères d'efficacité prennent plus d'importance.

Lorsque la phase 2B est suffisamment probante, le candidat-médicament peut accéder à la phase 3, que l'on appelle aussi étude pivot. Elle permet de comparer l'efficacité du candidat par rapport au traitement de référence, s'il existe. Sinon, un groupe placebo est constitué. Cette phase est évidemment fondamentale et soumise à un formalisme strict.

Si le traitement se révèle efficace, le laboratoire a accompli une grande partie du chemin et peut déposer une demande de mise sur le marché auprès des agences du médicament compétentes, par exemple l'European Medicine Agency (EMA) si l'objectif est de vendre en Europe ou la Food & Drug Administration (FDA) si c'est le marché américain qui est visé. Il peut aussi évidemment soumettre son dossier à plusieurs agences, en s'adaptant aux spécificités de chacune d'elles.

Entre le début de la préclinique et la fin de la phase 3, il s'est en général écoulé 10 à 12 ans en moyenne. Ce délai peut être raccourci ou allongé en fonction de la survenance de certains événements. Les agences du médicament peuvent par exemple favoriser l'émergence d'un traitement pour un besoin médical non satisfait, ou au contraire exiger des essais additionnels lorsque le bénéfice thérapeutique est sujet à caution. A l'issue d'une phase 3 concluante, le dépôt de la demande de mise sur le marché, son examen par l'agence gouvernementale et l'étude de remboursement prennent en général 1 à 3 ans de plus. Le développement peut donc atteindre 15 ans. Parfois, les laboratoires mènent une phase 4, qui consiste à améliorer la connaissance du traitement sur la durée, alors qu'il est déjà en vente.

13,8% de réussite moyenne en clinique

Cette explication un tantinet rébarbative permet de comprendre que le processus est très long pour une société cotée en bourse et par conséquent pour l'investisseur. En général, les biotechs qui s'introduisent ont déjà des candidats en clinique, ce qui réduit un peu le risque mais ne constitue en aucun cas un gage de réussite. Une étude récente du MIT tend à démontrer que la probabilité de succès d'un médicament qui entre en phase 1 est de 13,8%. Ces résultats ont été obtenus en compilant un grand nombre de données entre 2000 et 2015, en zone FDA. Mais ils varient énormément selon les indications, avec des niveaux élevés en ophtalmologie et très faibles en oncologie par exemple. Ce taux de succès moyen est supérieur à celui obtenu lors de travaux réalisés à partir de données plus anciennes et comprenant davantage de candidats issus de la recherche pharmaceutique traditionnelle. Il ne dépassait pas 9% en général, et se situait en-deçà des 5% en incluant la recherche préclinique (a ce titre, lire la thèse de doctorat en pharmacie de Gaëtan Bouchand, 2014).

Outre la durée du processus réglementaire et, nous venons de le voir, la probabilité modeste de voir le traitement atteindre les rayons de la pharmacie, l'investisseur ne doit pas non plus ignorer le risque de dilution qui pèse sur lui. Dans la mesure où la société de biotechnologie vit sur sa trésorerie, du moins jusqu'au moment où elle est suffisamment prometteuse pour attirer un "sponsor", elle doit régulièrement l'alimenter. En cas d'augmentation de capital, l'actionnaire doit avoir la capacité financière de suivre l'opération, pour ne pas être dilué. Mais compte tenu du stade de maturité de ces entreprises et des risques qu'elles portent, des financements alternatifs sont souvent mis en place. Des placements privés peuvent intervenir, laissant de côté les actionnaires déjà présents. La mode est aussi aux lignes de financement en fonds propres, souscrites auprès de banques ou de fonds spéculatifs, qui permettent d'injecter des liquidités en échange de titres de la société. Un dispositif commode pour l'entreprise mais fort dilutif pour l'actionnaire.

A consommer avec modération

Pour résumer, l'investissement dans une biotech reste extrêmement risqué et nécessite, plus que tout autre placement, une excellente connaissance du dossier, de son calendrier, de sa visibilité financière et une bonne compréhension des enjeux. Il faut aussi se méfier des communications orientées ou triomphales. Cela fait partie du jeu. Mais il n'est pas rare de voir des sociétés afficher des décalages haussiers à deux chiffres en bourse sur des annonces de développement préclinique. Nous vous laissons le soin de faire le ratio entre un tel mouvement et la probabilité de succès, en le saupoudrant du temps de développement restant à courir. Le risque se réduit toutefois avec le niveau d'avancement clinique et la richesse du portefeuille de développement. Mais l'échec n'est jamais loin, comme l'a démontré l'actualité récente sur certaines biotechs françaises disposant de solides atouts, dont les candidats, pourtant prometteurs, ont subi des revers en phase avancée.