Le mariage annoncé en avril 2014 a été conçu comme une fusion entre égaux, même si l'offre publique d'échange doit déjà donner à Holcim une majorité du capital du groupe issu du rapprochement. Mais des perspectives de résultats plus favorables côté suisse et la flambée récente de la devise helvétique face à l'euro ont changé la donne.

"Le conseil d'administration d'Holcim a conclu que l'accord de combinaison ne pouvait plus être suivi sous sa forme actuelle", a déclaré le groupe suisse dans un communiqué, se disant prêt à évoquer le ratio de l'OPE et "les questions de gouvernance".

Lafarge s'est quant à lui dit "prêt à explorer la possibilité d'une révision de la parité en ligne avec les conditions de marché récentes", mais a rejeté toute autre modification des accords actuels".

Un des dix principaux actionnaires d'Holcim, qui a requis l'anonymat, a déclaré à Reuters que la fusion pourrait échouer si les termes de l'accord n'étaient pas renégociés en faveur du cimentier suisse.

Cet actionnaire a aussi indiqué qu'Holcim remettait en question le choix de Bruno Lafont pour le poste de directeur général de l'entité combinée et voulait une plus grande représentation au sein du futur conseil d'administration.

Afin de mieux tenir compte de la valorisation actuelle des deux cimentiers, Holcim a demandé à modifier la parité d'échange pour la ramener à 0,875 action Holcim pour chaque action Lafarge, au lieu de la parité d'une action pour une annoncée initialement, a-t-on appris de source proche du dossier, confirmant une information de l'agence Bloomberg.

Selon une autre source proche du dossier, Lafarge serait prêt à aller jusqu'à 0,93 action Holcim pour une action Lafarge.

En Bourse à 13h45, avec un recul de 4,8% à 61,85 euros, le titre Lafarge accuse la plus forte des quelques baisses de l'indice CAC 40 (+0,75%). L'action Holcim cède 0,9%, à comparer à une hausse de 0,4% de l'indice suisse SMI.

"Ces discussions étaient attendues et sont nécessaires compte tenu des spéculations récentes sur un ajustement des parités", observent les analystes de Bernstein dans une note. "Selon nous, l'option d'un ajustement ou d'une rupture est largement ouverte", ajoutent-ils.

 

UNE FUSION DE MOINS EN MOINS ÉGALE

Ce différend entre Lafarge et Holcim est le premier qui apparaisse publiquement depuis l'annonce de leur méga-fusion devant donner naissance d'ici cet été à un nouveau géant mondial du ciment pesant une trentaine de milliards d'euros de chiffre d'affaires combiné.

Holcim et Lafarge avaient répété fin février, lors de la publication de leurs résultats financiers respectifs, que leur projet de fusion était en bonne voie. Mais les modalités de l'opération ont depuis été fragilisées par les perspectives plus favorables du groupe suisse.

Les termes initiaux de l'opération doivent déjà donner 53% de la nouvelle entité à Holcim et 47% à Lafarge, mais le projet a été défendu dès le départ par les directions des deux groupes comme une fusion entre égaux.

"(La demande d'une modification des termes de la fusion) ne nous surprend pas, mais elle intervient plus tôt que prévu", commente Vontobel dans une note, estimant que l'équilibre des forces entre Lafarge et Holcim devrait davantage pencher vers 43% pour le français et 57% pour le suisse.

Le conseil d'administration du futur LafargeHolcim doit compter sept membres issus de Lafarge et sept issus d'Holcim, tandis que le président de LafargeHolcim sera Wolfgang Reitzle, actuel président d'Holcim, et que Bruno Lafont, actuel PDG de Lafarge, sera directeur général.

Thomas Schmidheiny, premier actionnaire d'Holcim, a lui-même fait pression sur le conseil d'administration en faisant savoir via la presse suisse qu'il souhaitait des modalités de fusion plus favorables que celles du projet initial.

La fusion a franchi mi-décembre une étape décisive avec le feu vert de la Commission européenne aux cessions d'actifs, notamment en Europe, destinées à conformer la future entité aux règles de concurrence. Début février, Lafarge et Holcim ont annoncé 6,5 milliards d'euros de cessions d'actifs au groupe irlandais de matériaux de construction CRH.

Le titre CRH chute de 3% en Bourse, le rachat des actifs de Lafarge et Holcim étant conditionné à la réussite de la fusion.

En cas d'échec, CRH toucherait une indemnité de rupture d'environ 158 millions d'euros. Le projet LafargeHolcim prévoit lui un "break-up fee" de 350 millions d'euros.

Selon le projet initial, le nouveau LafargeHolcim doit être coté à la fois en France et en Suisse, avoir son siège à Zurich et son centre de R&D chez Lafarge à Lyon.

 

(Avec Leila Abboud à Paris, édité par Dominique Rodriguez)

par Oliver Hirt et Gilles Guillaume

Valeurs citées dans l'article : LAFARGE, Holcim Ltd