Paris (awp/afp) - Financier de haut vol et ex-haut fonctionnaire, le PDG de Casino Jean-Charles Naouri a longtemps joui d'une incomparable aura dans les milieux d'affaires français, mais son étoile a pâli en raison des difficultés financières de son groupe, et désormais d'une enquête judiciaire.

La garde à vue de ce patron connu pour être très secret et attentif à l'image de son groupe a été levé jeudi soir, sans charges retenues à ce stade contre lui, ont indiqué des sources proches du dossier à l'AFP.

Le PDG avait été auditionné plus tôt dans la journée par la Brigade financière, un événement rarissime en France, dans le cadre d'une enquête portant sur des faits présumés qui concernent le cours de Casino pour la période 2018 et 2019: manipulation de cours en bande organisée, corruption privée active et passive et délit d'initié.

Dans sa récente documentation financière, Casino fait référence à cette enquête et précise que le groupe comme "les dirigeants concernés contestent formellement ces allégations".

Selon des sources proches du dossier, M. Naouri avait déjà été placé une première fois en garde à vue à la fin de l'année 2022.

Ce n'est pas la seule affaire judiciaire pour le dirigeant, qui sur le plan privé a fait l'objet en octobre 2022 d'une plainte de son épouse, avec laquelle il était alors en instance de divorce, pour violences psychologiques conjugales et viol. Cette plainte a été déposée après une enquête classée sans suite par le parquet de Nanterre car "l'infraction" n'avait pas été "suffisamment caractérisée".

PDG depuis 2005

Le coup est d'autant plus rude que Casino est en proie à d'importantes difficultés financières au point d'ouvrir des négociations sur un endettement devenu intenable.

Signe des turbulences actuelles, le cours de Bourse ne vaut plus que 5 euros. Au mitan des années 2010 et au fait de la puissance du distributeur d'origine stéphanoise, il s'échangeait autour de 80 euros.

De quoi faire fondre la fortune personnelle de Jean-Charles Naouri, qui en est premier actionnaire depuis 1992 et PDG depuis 2005.

Né le 8 mars 1949 à Bône (désormais Annaba) en Algérie, ce fils de pied-noir a mené de très brillantes études: bac à 15 ans, Ecole Normale Supérieure, Harvard et ENA (promotion Guernica). Il est également titulaire d'un doctorat en mathématiques.

Inspecteur des Finances, il devient directeur de cabinet de Pierre Bérégovoy, au ministère des Affaires Sociales puis à l'Economie et au Budget, de 1982 à 1986. Auprès de l'AFP, un autre membre des cabinets ministériels de l'époque Mitterrand évoque un financier au "talent exceptionnel", qui a réalisé "un travail d'une rigueur extraordinaire".

Interrogé en 2018 par le Financial Times, M. Naouri avouait alors ne pas vouloir être "prisonnier d'images", que ce soit celle de "mathématicien" ou de haut fonctionnaire.

"J'essaie de faire du mieux que je peux dans mon travail, qui est de développer Casino, et donc toutes les autres images sont vraiment simplistes", disait-il.

Endettement

En 1987, Jean-Charles Naouri rejoint à 38 ans la banque Rothschild et Cie et crée en même temps sa société d'investissement, Euris, qui prend des participations minoritaires dans des entreprises industrielles.

L'une des plus emblématiques est Moulinex, fleuron du petit électroménager où le passage de M. Naouri lui a valu la rancune tenace de la CGT.

Mais sa grande affaire sera la distribution, d'abord en prenant le contrôle de Rallye, distributeur breton en difficulté, à qui il "apporte" Casino.

Il fait ensuite grossir cette entité à coup d'acquisitions, souvent financées par la dette, avec Franprix, Leader Price, Monoprix, ou encore l'e-commerçant CDiscount.

En décembre 2015, une société financière américaine Muddy Waters Capital publie un rapport au vitriol sur le groupe, qui conteste et dénonce des attaques spéculatives. Mais de fait, les questions d'endettement deviennent vite un sujet majeur.

Pendant ce temps, le groupe construit par Jean-Charles Naouri, patron craint et décrit comme capable de remercier des fidèles en quelques minutes, voit ses parts de marché dévisser en France.

Les partisans du PDG insistent néanmoins sur ses qualités de "visionnaire", Casino anticipant la désaffection des consommateurs pour les hypermarchés et se tournant vers les formats de proximité, le numérique et l'innovation.

De fait, le groupe a des prétendants malgré sa situation financière, et l'un de ces soupirants, Moez-Alexandre Zouari, a jugé que Casino, qui emploie 200.000 personnes dans le monde et 50.000 en France, avait "le meilleur réseau de France, les meilleurs formats (...) avec des implantations exceptionnelles".

afp/rp