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par Doina Chiacu et Richard Cowan

WASHINGTON, 18 juin (Reuters) - Donald Trump a qualifié jeudi de "menteur" et de "crétin" son ancien conseiller à la Sécurité nationale John Bolton, qui le juge "inapte" à la fonction présidentielle et l'accuse dans un livre à paraître dans quelques jours d'avoir demandé l'aide de son homologue chinois Xi Jinping pour être réélu en novembre prochain.

Le président américain, qui a décrit sur Twitter son ancien conseiller comme "un imbécile mécontent et ennuyeux qui ne pensait qu'à faire la guerre", estime en outre qu'il a enfreint la loi en évoquant dans son livre des éléments classifiés.

Mais à moins de cinq mois de l'élection présidentielle, les affirmations de John Bolton ouvrent un nouveau front dans une campagne déjà très polarisée.

"Je ne pense pas qu'il soit apte à sa fonction", a-t-il dit de son ancien patron à la Maison blanche jeudi dans une interview à ABC News.

"Je n'ai pu véritablement discerner aucun autre principe directeur que ce qui est bon pour une réélection de Donald Trump", ajoute-t-il en évoquant ses dix-sept mois passés au poste de conseiller à la sécurité nationale, d'avril 2018 à septembre 2019.

Dans des extraits de son livre publiés mercredi par le Wall Street Journal, Bolton affirme que Trump a demandé à son homologue chinois Xi Jinping de l'aider à être réélu lors d'une réunion à huis clos organisée en juin 2019. "Tout à coup, Trump a fait basculer la conversation sur l'élection présidentielle à venir, fait allusion au potentiel économique chinois et demandé à Xi de l'aider à gagner", écrit-il.

Le président américain aurait également dit au dirigeant chinois qu'il pouvait continuer de construire des camps de regroupement des Ouïghours, communauté musulmane de la région du Xinjiang, alors même que sa propre administration critiquait la politique chinoise de détention de masse.

"COMPORTEMENT FONDAMENTALEMENT INACCEPTABLE"

Dans d'autres extraits, publiés aussi par le Washington Post ou encore le New York Times, John Bolton rapporte que Donald Trump lui aurait confié qu'il serait "cool" d'envahir le Venezuela, un pays "qui fait vraiment partie des Etats-Unis".

L'ancien conseiller en profite pour mettre en cause d'autres membres de la présidence Trump, à commencer par le secrétaire d'Etat Mike Pompeo. John Bolton dit notamment avoir eu en main une note dans laquelle le chef de la diplomatie américaine écrit à propos du président américain qu'il est "une grosse merde".

L'ex-conseiller rapporte aussi que Donald Trump a estimé devant lui durant l'été 2019 qu'il fallait emprisonner les journalistes afin qu'ils livrent leurs sources. "Ces gens doivent être exécutés, ce sont des ordures", lui aurait dit le président républicain.

Bolton, que Trump a brutalement limogé le 10 septembre dernier sur fond de désaccords sur la gestion de plusieurs dossiers comme la Corée du Nord, l'Iran, l'Afghanistan et la Russie, souligne que le président américain a fait montre au cours de multiples conversations d'un "comportement fondamentalement inacceptable qui sape la légitimité même de la présidence".

Peter Navarro, conseiller économique de la Maison blanche qui était présent lui aussi lors de la réunion de juin 2019 avec Xi Jinping, a affirmé ne rien avoir entendu de la sorte.

Et pour Kevin McCarthy, qui dirige la minorité républicaine à la Chambre des représentants, les affirmations "sensationnalistes" de Bolton semblent avant tout motivées par l'argent qui, dit-il, "conduit bien des gens à dire bien des choses".

Mais l'ouvrage de Bolton fait souffler un vent de panique à la Maison blanche. L'administration fédérale a lancé une procédure judiciaire pour tenter d'empêcher sa parution, invoquant les risques pour la sécurité nationale.

L'éditeur Simon & Schuster a rejeté ces accusation et précisé que des centaines de milliers d'exemplaires de "The Room Where It Happened" (La pièce où cela s'est passé) avaient déjà été distribués.

LES DÉMOCRATES POURRAIENT CITER BOLTON À COMPARAÎTRE

"Si ces comptes rendus sont vrais, ce n'est pas seulement moralement répugnant, c'est une violation du devoir sacré de Donald Trump à l'égard du peuple américain", a jugé dans un communiqué Joe Biden, qui sera sans doute son adversaire démocrate le 3 novembre.

Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants, où les démocrates sont majoritaires, a indiqué jeudi qu'elles consultaient des ténors de son parti sur l'opportunité de citer John Bolton à comparaître pour l'entendre sur les allégations contenues dans son livre.

"Le président Trump est à l'évidence éthiquement inapte et intellectuellement pas préparé à être président des Etats-Unis", a-t-elle ajouté, feignant de s'étonner que "cela ne semble pas préoccuper les républicains au Sénat".

John Bolton avait refusé l'an dernier de témoigner devant la Chambre des représentants lors de l'enquête en destitution que les démocrates avaient lancé contre Donald Trump. Il avait ensuite proposé au Sénat, qui conduisait le procès en destitution, de déposer mais la chambre haute du Congrès, où les républicains sont majoritaires, n'avaient pas donné suite.

Dans son livre, John Bolton estime que les démocrates aient mal géré cet épisode de l'impeachment en concentrant leurs efforts sur le dossier ukrainien sans se pencher davantage sur d'autres aspects de la présidence Trump.

"S'ils avaient pris le temps d'enquêter de manière plus systématique sur le comportement de Trump dans tout ce qui touchait aux Affaires étrangères, l'issue de l'impeachment aurait pu être tout à fait différente." (avec Susan Heavey, Phil Stewart et Eric Beech version française Nicolas Delame, Myriam Rivet et Henri-Pierre André)