SINGAPOUR/PEKIN (Agefi-Dow Jones)--L'américain Walmart, numéro un mondial de la distribution, est la dernière entreprise occidentale en date à se retrouver sur la sellette en raison de ses liens avec des fournisseurs de la province du Xinjiang, après l'adoption aux Etats-Unis d'une loi interdisant quasiment toute importation en provenance de cette région du nord-ouest de la Chine, accusée de recourir au travail forcé et de violer les droits de l'homme.

Le géant américain s'est attiré les foudres des utilisateurs des réseaux sociaux chinois au cours du week-end. Certains d'entre eux ont relayé des commentaires affirmant que Walmart avait cessé de stocker des produits du Xinjiang dans ses magasins Walmart et Sam's Club situés en Chine. D"autres ont déclaré avoir résilié leur adhésion à Sam's Club, tandis que des organisations soutenues par le Parti communiste sont intervenues par le biais de comptes créés sur les réseaux sociaux pour critiquer le groupe.

La province du Xinjiang, qui compte des millions d'habitants issus de minorités musulmanes, s'est transformée en poudrière géopolitique et en véritable problème éthique pour les multinationales américaines présentes en Chine. L'administration Biden accuse le gouvernement chinois de perpétrer un génocide contre les minorités religieuses de la région.

Le président américain a promulgué la semaine dernière une loi sur la prévention du travail forcé des Ouïghours (Uyghur Forced Labor Prevention Act), votée à l'unanimité par le Congrès. La loi interdit toute importation aux Etats-Unis de produits issus de cette région, à moins que les entreprises soient en mesure de prouver que les produits concernés n'ont pas fait l'objet d'un recours au travail forcé.

Pékin rejette les accusations de travail forcé

La Chine a rejeté les accusations de génocide et de travail forcé, affirmant que la politique menée par Pékin dans la région relève de la prévention du terrorisme et vise à protéger la sécurité nationale.

Le géant américain des semi-conducteurs Intel a présenté jeudi dernier des excuses à ses clients et partenaires chinois. Le groupe a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux chinois en publiant sur son site Internet une lettre à ses fournisseurs les exhortant à ne plus s'approvisionner au Xinjiang.

D'autres entreprises occidentales, parmi lesquelles H&M et Nike, ont elles aussi été récemment prises à partie par les consommateurs chinois. Le groupe suédois de prêt-à-porter, qui avait déclaré qu'il cesserait de s'approvisionner au Xinjiang, a été banni de l'Internet chinois au printemps dernier.

Walmart a de son côté été happé par la polémique vendredi, lorsque des utilisateurs des plateformes chinoises de réseaux sociaux - dont Weibo, un service de microblogging similaire à Twitter, et Zhihu, un forum de questions-réponses du type Quora - ont affirmé qu'ils ne parvenaient pas à trouver des produits typiques du Xinjiang dans les boutiques en ligne exploitées par Walmart et Sam's Club China. Sam's Club est une chaîne d'achats en gros réservée aux adhérents de Walmart.

Selon certains utilisateurs, des agents du service clients en ligne leur auraient répondu que ces produits, parmi lesquels des jujubes et des pommes, étaient en rupture de stock. Un porte-parole de Walmart basé aux Etats-Unis n'a pas souhaité faire de commentaire.

Le Wall Street Journal n'a trouvé aucun produit venant du Xinjiang sur les sites d'e-commerce de Walmart et Sam's Club en Chine. Il était cependant possible d'acheter samedi du jujube provenant du Xinjiang dans un magasin Walmart du quartier d'affaires de Pékin.

Walmart "mange le riz de la Chine mais nous crache au visage", a accusé un utilisateur de Weibo. D'autres ont indiqué qu'ils annulaient leur abonnement à Sam's Club, avec des captures d'écran montrant leurs conversations à ce sujet avec le service client. Certains ont affirmé qu'ils boycotteraient les magasins Walmart.

Les campagnes sur les réseaux sociaux chinois sont souvent moins spontanées qu'ailleurs dans le monde, en raison des interférences et de la censure des contenus en ligne par les autorités et les groupes technologiques.

La Chine, essentielle à l'expansion internationale de Walmart

La polémique autour de Walmart a connu le même développement que de précédentes campagnes nationalistes sur les réseaux sociaux chinois. La Ligue de la jeunesse communiste chinoise a appelé au boycott des magasins Sam's Club, tandis que le quotidien d'Etat Global Times rapportait que Sam's Club avait cessé de vendre des produits en provenance de Xinjiang, selon des sources anonymes.

La Chine constitue un pilier essentiel de la stratégie d'expansion internationale de Walmart, le géant américain de la distribution cherchant à rationaliser ses activités pour se concentrer sur le commerce en ligne et les marchés mondiaux les plus dynamiques.

La Chine abrite 434 magasins Walmart et Sam's Club, couvrant plus de 6,4 millions de mètres carrés à la fin du mois de janvier, ce qui fait du pays le deuxième plus grand marché international de Walmart en termes de superficie de vente au détail, selon le dernier rapport annuel de la société - juste derrière le Mexique, où le distributeur exploite plus de 2.600 magasins.

Au cours du trimestre écoulé, la Chine a constitué un atout pour les ventes internationales de Walmart, a indiqué le mois dernier le président du groupe, Doug McMillon, lors d'une conférence téléphonique consacrée aux résultats.

En septembre, la Chambre de commerce américaine de Shanghai a signalé que 30% des entreprises de distribution et de consommation interrogées dans le cadre d'une récente enquête qu'elle a menée ont cité les récriminations du public et les boycotts des consommateurs comme une préoccupation majeure. Il s'agit du pourcentage le plus élevé parmi les principaux secteurs d'activité couverts par l'enquête du lobby américain des entreprises. Plus d'un dixième des entreprises interrogées ont déclaré avoir réduit leurs investissements prévus en Chine en raison de craintes associées aux boycotts des consommateurs.

Depuis que les approvisionnements de Walmart en produits du Xinjiang ont commencé à attirer l'attention sur Internet, ses concurrents, dont la chaîne de supermarchés Hema appartenant à Alibaba Group, sont montés au créneau pour s'en prendre au distributeur américain. Carrefour, dont les plus de 200 magasins en Chine sont détenus par Suning.com, un distributeur en ligne chinois, a partagé vendredi un message portant le hashtag "Carrefour Xinjiang Fine Goods Festival", accompagné de photos de produits originaires du Xinjiang dans les rayons de ses magasins.

Le message publié sur le compte officiel Weibo de Carrefour comprenait neuf photos de pommes, de noix, de chaussettes et d'essuie-mains en coton en vente dans les rayons de ses magasins, avec des étiquettes jaune vif indiquant : "Je viens du Xinjiang".

Un porte-parole de Carrefour en France n'a pas immédiatement répondu à une demande de commentaire.

-Liza Lin, The Wall Street Journal

Jonathan Cheng et Sarah Nassauer ont contribué à cet article

(Version française Emilie Palvadeau, Lydie Boucher et Eric Chalmet) ed: ECH - TVA

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December 27, 2021 11:13 ET (16:13 GMT)