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Le dirigeant allemand rend visite à Macron après l'annulation par la France de la réunion conjointe

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La France et l'Allemagne en désaccord sur l'énergie, la défense et le commerce

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Manque d'atomes crochus, rivalité, différences stratégiques en jeu

par Michel Rose et Andreas Rinke

PARIS/BERLIN, 26 octobre (Reuters) - Le chancelier Allemand Olaf Scholz est mercredi à Paris dans le cadre d'un tête-à-tête improvisé avec le président Emmanuel Macron, après l'annulation par ce dernier du conseil des ministres conjoint franco-allemand et sur fond de divergences croissantes entre les deux dirigeants.

Un exemple parmi d'autres qui ont froissé Paris : lorsque l'Allemagne a dévoilé fin septembre son plan d'aide national de 200 milliards d'euros pour protéger son industrie et ses consommateurs de la flambée des prix de l'énergie, Berlin n'a pas pris la peine de prévenir le gouvernement français.

"Nous l'avons lu dans la presse. Ce genre de choses, ça ne se fait pas", confie un diplomate français au fait des discussions.

Des conseillers allemands étaient pourtant au palais de l'Élysée quelques jours plus tôt mais ils n'ont fait aucune mention du bouclier anti-inflation qui, selon Paris, donne un avantage injustifié aux entreprises allemandes et menace le marché unique de l'Union européenne.

Mais le nombre de sujets sur lesquels s'opposent la France et l'Allemagne - les deux puissances les plus influentes de l'Union européenne - ne cesse de s'accroître. Les relations franco-allemandes se crispent ainsi sur la stratégie de défense de l'UE, la réponse à la crise énergétique, les relations avec la Chine ou encore la politique fiscale.

Cette mésentente a également des répercussions sur les projets européens de construction de la prochaine génération d'avions de chasse, de gazoducs à travers l'Union européenne, sur le plafonnement des prix du gaz ou sur les investissements chinois en Allemagne.

L'agacement du président Emmanuel Macron s'est traduit la semaine dernière par l'annulation de la tenue du conseil des ministres conjoint franco-allemand. Un fait d'autant plus inédit que la consigne gouvernementale sous la présidence Macron a longtemps été de ne pas critiquer l'Allemagne en public.

Berlin, pris par surprise, a de son côté invoqué des difficultés logistiques et minimise l'importance du désaccord.

Certes, le couple franco-allemand a déjà connu des hauts et des bas mais l'Europe peut difficilement se permettre une rupture des relations alors qu'elle lutte contre de multiples crises: la guerre menée par la Russie à sa frontière orientale, l'inflation galopante et les menaces de récession.

"L'objectif est de faire comprendre à Berlin qu'il y a un problème", a ajouté le diplomate français.

Cependant, la brouille va au-delà des désaccords sur les dossiers du moment. La personnalité très différente des deux dirigeants, mais aussi leur rivalité pour le leadership européen et des différences stratégiques plus structurelles éclatent au grand jour, malgré les efforts pour maintenir un semblant d'unité, selon des sources françaises et allemandes.

PAS D'ATOMES CROCHUS

Emmanuel Macron trouve déconcertant qu'Olaf Scholz ne lui consacre que peu de temps, contrairement à Angela Merkel, et tisse à la place des liens avec les dirigeants espagnol, portugais et néerlandais.

"Avec (Angela) Merkel ils échangeaient par texto tous les jours. Mais il ne parle pas à (Olaf) Scholz tous les jours. Nous n'arrivions même pas à caler des créneaux pour qu'ils se voient", a confié le diplomate.

Au-delà du manque d'alchimie personnelle entre le taciturne dirigeant allemand et l'expansif président français, les diplomates affirment que les deux dirigeants sont en désaccord sur les leçons stratégiques à tirer de la guerre en Ukraine.

Après avoir mis en garde en vain l'Allemagne contre le risque d'une dépendance excessive à l'égard de la Russie pour son gaz, Emmanuel Macron se sent conforté dans sa volonté de renforcer l'autonomie de l'Europe, de l'énergie à la défense en passant par le commerce, selon des responsables français.

De plus, la décision d'Olaf Scholz de permettre à une société chinoise de prendre une participation dans son plus grand port et de poursuivre ce que les Français considèrent comme une politique mercantiliste à courte vue à l'égard de la Chine a déconcerté Paris.

"Ils n'ont toujours pas appris la leçon", estime un autre diplomate français.

Les responsables allemands affirment qu'ils sont conscients de la nécessité de réduire leur dépendance à l'égard de la Chine, mais que cela ne signifie pas l'interdiction de tout investissement chinois en Europe.

En matière de défense, la décision de Berlin de lancer un système européen de défense aérienne avec 14 pays, dont la Grande-Bretagne, mais sans la France - la première puissance militaire de l'UE - a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, selon les diplomates français.

D'après les responsables allemand, la France a été invitée à se joindre au projet, mais elle a refusé. Du côté français, on estime que la proposition d'acheter du matériel non européen, tel que le système israélien Arrow 3, les unités américaines Patriot et allemandes IRIS-T, était inacceptable.

L'ALLEMAGNE D'ABORD

À Berlin, les responsables minimisent les dissensions et soulignent par exemple le soutien allemand à l'initiative d'Emmanuel Macron concernant la Communauté politique européenne. Selon eux, la France doit comprendre les défis intérieurs auxquels l'Allemagne fait face, avec des partenaires de coalition qui ralentissent la prise de décision.

"Ce n'est pas la fin du monde", a commenté un diplomate.

La nécessité pour Olaf Scholz de gérer une coalition inédite a conduit l'Allemagne à se replier sur elle-même et à moins consulter des partenaires comme la France, estiment des analystes.

"Berlin dit que sa politique étrangère et de sécurité s'inscrit dans une stratégie européenne, mais à Paris et dans d'autres capitales européennes, ces dernières semaines cela ressemblait plus à du "Germany First"," selon Tara Varma, du think-tank ECFR à Paris.

Lorsque de la rencontre entre Olaf Scholz et Emmanuel Macron à Paris, les poignées de main et les sourires masqueront sans doute les tensions qui couvent.

"La raison fondamentale est que tous deux se livrent une compétition pour la primauté dans l'UE", estime Ulrich Speck, analyste allemand à la Neue Zurcher Zeitung. (Reportage Michel Rose ; version française Kate Entringer, édité par Jean-Michel Bélot)