Moscou (awp/afp) - En pleine chute du rouble à l'échange, la Russie a lancé mardi la phase d'essai d'une version numérique de sa monnaie en s'appuyant sur la technologie de la blockchain, un moyen, espère Moscou, d'échapper à terme aux sanctions, tout en renforçant le contrôle sur ses citoyens.

Contrer le dollar et les sanctions

Si l'introduction d'un rouble numérique était en réflexion en Russie depuis plusieurs années, la perte de l'accès à une partie système bancaire financier mondial du fait des sanctions occidentales a conduit Moscou à accélérer les choses.

La Russie veut en effet rendre son système financier plus hermétique, moins sujet aux variations des marchés, tout en limitant l'impact des restrictions internationales.

Et ce n'est pas l'affaiblissement continu du rouble ces dernières semaines -- qui a poussé mardi la Banque centrale russe à relever en urgence son taux directeur -- qui fera changer d'avis les décideurs économiques du pays.

La Russie devient ainsi le 21e pays dans le monde à entrer en phase d'essai pour lancer une monnaie numérique, selon le comptage du groupe de réflexion Atlantic Council.

Les autorités russes pourront ainsi "passer par la blockchain (une technologie qui permet des transactions directes à partir d'un registre décentralisé), qui est beaucoup moins facile à sanctionner et à attaquer", explique Mikkel Morch, fondateur de ARK36, un fonds d'investissement spécialisé dans la finance numérique et les cryptomonnaies.

Ainsi, le rouble numérique, qui sera émis par la Banque centrale russe (BCR) et stocké dans des portefeuilles électroniques, "va renforcer la capacité de la Russie à échapper aux sanctions, car elle n'aura plus besoin de passer par les banques commerciales", souligne-t-il auprès de l'AFP, les échanges pouvant se faire entre portefeuilles électroniques sans passer par le système SWIFT.

La plupart des banques russes ont été bannies de ce système clé pour les transactions internationales, amenant la Russie à chercher à développer des alternatives et à dédollariser ses transactions.

Selon M. Morch, "le rouble numérique fait partie de la guerre géopolitique entre les pays dits +pro-dollar+ et les pays +anti-dollar+", ces derniers voulant s'affranchir de la monnaie américaine pour commercer.

"Contrôle total"

En 2020, la BCR disait vouloir un rouble numérique "afin de rendre les paiements sûrs, protégés, rapides, pratiques et accessibles à tous les individus, partout en Russie".

Mais selon Mikkel Morch, cet argumentaire ne représente "qu'une seule face de la pièce".

"Cela permet surtout un contrôle total de la monnaie", assure-t-il.

Ainsi, "si le gouvernement veut infliger une amende à un citoyen, s'il veut geler ses avoirs, alors il peut désormais le faire en un clic", alerte-t-il. "Avec le volume de données collectées (...), c'est l'ultime outil de contrôle social".

En Russie, ce sont les services de sécurité du FSB qui supervisent la sécurité du système.

Certaines ONG et spécialistes ont ainsi déjà alerté contre de potentielles dérives.

"Entre de mauvaises mains, les données (réunies) pourraient être utilisées pour espionner les transactions privées des citoyens, obtenir des informations sensibles en matière de sécurité sur des individus et des organisations, et même voler de l'argent", mettait en garde en septembre 2022 des chercheurs de l' Atlantic Council.

Les Russes pas convaincus

En attendant, une majorité de Russes se montrent circonspects quant à l'utilité du rouble numérique, qui devient la troisième forme de monnaie développée dans le pays, après la monnaie fiduciaire et la scripturale utilisée pour les comptes bancaires.

Selon un sondage publié le 9 août par l'institut VTsIOM, proche du Kremlin, près de six Russes sur dix ont une "faible compréhension" des objectifs du rouble numérique et autant se disent pas prêts à l'utiliser.

Pour rassurer les inquiets, les autorités ont juré que son utilisation se fera uniquement sur la base du volontariat.

Selon Sofia Donets, économiste en chef pour la Russie chez Renaissance Capital, cette monnaie dématérialisée, dans les faits, "ne changera pas grand-chose à la vie des particuliers et des entreprises russes".

Mais elle estime auprès de l'AFP que l'introduction du rouble numérique est un signe que la Russie ne veut pas "être larguée dans le contexte (financier) mondial".

afp/rp