* Une naissance à Rouen mais des racines en Corrèze

* Un parcours politique dans les coulisses du pouvoir

* Le "candidat normal" a profité de la chute de DSK

* Celui qui "aime les gens plus que l'argent"

par Elizabeth Pineau

PARIS, 6 mai (Reuters) - "Tous ceux qui m'ont sous-estimé ont perdu" : cette seule formule esquisse le portrait de François Hollande, passé en moins d'un an du statut d'aspirant candidat à l'Elysée à deuxième président socialiste de la Ve République.

Tels l'opiniâtre tortue et le souple roseau des fables de Jean de La Fontaine, le député de Corrèze aura fait de la patience et de la constance, dans l'épreuve comme dans l'ambition, les racines d'une victoire préparée avec minutie.

Le "Pompidou de gauche", comme il a parfois été surnommé, accède aux plus hautes fonctions, apogée de trente ans d'une carrière politique menée en coulisses, jusqu'à la tardive montée en puissance de cet homme de 57 ans qui se définit lui-même comme "l'homme du moment".

"La Corrèze, ce sont mes racines", répète François Hollande, né à Rouen en août 1954 mais qui a, dès ses débuts en politique, voulu s'ancrer dans ce coin reculé du centre de la France.

Adopté par un département rural dont il préside le Conseil général depuis 2008, François Hollande ne vient pas de la terre.

Issu d'un milieu "plutôt favorisé", comme il l'écrit dans son dernier livre "Changer de destin", l'élu corrézien est le fils d'un médecin partisan de l'Algérie française qui "professait des convictions qui heurtaient celles qui naissaient dans (s)on esprit" et d'une assistante sociale "d'une infinie gentillesse qui aimait faire le bonheur autour d'elle".

Bon élève, amateur de football, François Hollande déménage à Neuilly-sur-Seine avec ses parents, étudie le droit, les sciences politiques, l'économie à HEC et sort en 1980 en septième position de la promotion Voltaire de l'Ecole nationale d'administration (Ena), où figure aussi la future mère de ses quatre enfants, Ségolène Royal.

Parallèlement à ses études, François Hollande milite auprès du syndicat étudiant Unef, puis adhère au PS en 1979.

Repéré par Jacques Attali, conseiller de François Mitterrand, il participe à la campagne présidentielle de ce dernier et le suit à l'Elysée dès 1981.

Cette même année, ce "bébé Mitterrand" mène sa première campagne électorale à titre personnel pour les législatives dans la troisième circonscription de la Corrèze, terre chiraquienne où le PS le parachute après le refus de Jacques Delors.

"J'AI TOUT LE TEMPS"

En 1983, François Hollande est directeur de cabinet des deux porte-parole successifs du gouvernement de Pierre Mauroy : Max Gallo et Roland Dumas. Cette même année, il est élu au conseil municipal de la ville corrézienne d'Ussel.

"Je suis jeune, j'ai tout le temps devant moi et il n'y a pas besoin d'être pressé pour faire de la politique", déclare en 1986 celui qui s'y est repris à trois fois pour devenir député.

Deux ans plus tard, il gagne enfin la circonscription de Tulle tandis que Ségolène Royal l'emporte dans les Deux-Sèvres. Le jeune couple fait sensation à l'Assemblée nationale.

Parallèlement, François Hollande grimpe les échelons du Parti socialiste dont il devient le porte-parole. Fin 1997, Lionel Jospin lui tend les rênes du PS en entrant à Matignon.

Il a 43 ans. C'est parti pour onze ans de direction où il travaillera dans l'ombre de Lionel Jospin jusqu'à la "blessure" du 21 avril 2002, qui verra le candidat socialiste s'incliner au premier tour face à celui du Front national, Jean-Marie Le Pen.

La "pire" des épreuves politiques, raconte François Hollande dans la courte vidéo qui précède chacun de ses meetings. "Si je gagne dimanche il sera plus heureux encore que moi", confiait le candidat vendredi dernier, au lendemain du discours prononcé par Lionel Jospin à Toulouse.

Outre le "21 avril", le PS aura d'autres motifs de tourments au moment du référendum de 2005 sur la Constitution européenne.

A la différence de l'ancien Premier ministre Laurent Fabius, François Hollande vote "oui" et fait la "une" de Paris Match aux côtés de Nicolas Sarkozy pour défendre cette idée, finalement rejetée par les Français, plongeant sa formation dans le doute.

Comme Premier secrétaire, certains lui reprochent ses évitements et son incapacité à unir un parti que Martine Aubry comparera à son arrivée à un "cadavre à la renverse".

François Hollande est quasiment absent de la primaire socialiste de 2007 remportée haut la main par Ségolène Royal, avec qui il est en train de se séparer en coulisses.

"DEMAIN EST UN AUTRE JOUR"

La présidentielle perdue, suivie un an plus tard par le congrès de Reims où François Hollande remet les clés du PS à Martine Aubry dans une ambiance délétère, appellent une profonde remise en question.

"J'ai vu un homme seul à tous les niveaux, par rapport aux amis, à la famille, au boulot, il n'y avait plus rien. Et j'ai alors constaté sa stabilité psychologique, sa solidité", raconte son ex-attachée de presse, la sénatrice Frédérique Espagnac.

De fait, fidèle à sa devise préférée, "demain est un autre jour", François Hollande avance sans se retourner.

En juin 2009, il prononce à Lorient un premier discours de futur candidat à la candidature. Son entrée en lice officielle, à Tulle le 31 mars 2011, est accueillie par un scepticisme poli.

Le 10 mai 2011, François Hollande est à Château-Chinon, fief de François Mitterrand, élu trente ans plus tôt à l'Elysée.

Clairement en campagne, le "candidat normal", qui parle simple et roule en scooter à trois roues, a beaucoup maigri et mis de côté les formules humoristiques qui faisaient sa marque de fabrique. Mais il n'est encore qu'un outsider.

La France attend le retour gagnant d'un autre homme, Dominique Strauss-Kahn. Le directeur du Fonds monétaire international fait figure d'homme providentiel pour affronter la crise et d'adversaire à la mesure de Nicolas Sarkozy. Plus dure sera la chute après son arrestation, le 14 mai, pour un scandale sexuel dans un hôtel de New York.

A Paris, François Hollande rafle sans bruit à Dominique Strauss-Kahn la place de favori des sondages, qu'il ne quittera plus. Fait divers mis à part, il assure aujourd'hui n'avoir jamais douté que ses qualités lui auraient permis de l'emporter à la régulière sur le lointain patron du FMI.

Le député de Corrèze fera campagne tout l'été jusqu'à la primaire au sein du PS remportée haut la main le 16 octobre, avec plus de 56% des voix face à Martine Aubry.

"J'aime les gens plus que l'argent" sera l'une des formules phares de son discours du 22 janvier au Bourget, qui marquera son entrée dans le coeur de la campagne.

Au-delà des discours, dont le style et la formule ont quelque chose de l'emphase mitterrandienne, son plaisir évident du contact humain rappelle Jacques Chirac.

L'imperturbable sourire de François Hollande garde ses mystères. Pudique, l'homme rechigne à parler de ses goûts, abhorre toute forme "d'exhibition". "Aussi exigeant avec les autres" qu'il l'est pour lui-même, ses collaborateurs ne doivent attendre de lui aucun remerciement.

Ce week-end à Tulle, où il possède un petit appartement dans un immeuble sans charme, François Hollande a fait sa dernière tournée des marchés en compagnie de sa compagne depuis quelques années, la journaliste Valérie Trierweiler.

"Je savais qu'il avait beaucoup de qualités, mais il m'étonne dans le fait qu'il ne s'est pas trompé une seule fois dans cette campagne. Il a pris une autre dimension", confiait la journaliste à Reuters la semaine dernière.

"Tout cela, il l'avait en lui depuis longtemps. Beaucoup de ses amis qui le connaissent depuis 30 ans vous diront qu'ils le voient aujourd'hui tel qu'ils l'ont connu alors, comme libéré". (Edité par Yves Clarisse)