Car ceux qui s'aventurent encore à publier des opinions et des recommandations risquent fort d'avoir tort.

Le 6 mars, par exemple, BofA a modifié son conseil sur le secteur européen du transport aérien, passant à "surpondérer" en expliquant à ses clients que ces valeurs devraient s'apprécier malgré les risques liés au coronavirus.

Pour la banque, le secteur offrait "un potentiel de hausse de 8% même dans notre scénario (épidémique) sombre". Depuis cet avis, les cours des compagnies aériennes européennes ont chuté de plus de 40%.

Le département recherche de BofA n'était pas disponible dans l'immédiat pour un commentaire mais un porte-parole a déclaré que les conseils aux clients n'avaient pas été actualisés depuis le 6 mars.

BofA est évidemment loin d'être le seul acteur des marchés à avoir été pris de court par la dégradation de la situation sanitaire d'une part, par le basculement des marchés en mode baissier d'autre part. On ne compte plus les objectifs de cours et les recommandations récents mais déjà obsolètes, qui mettent rétrospectivement en lumière la mauvaise lecture par les analystes de l'ampleur de la pandémie.

De son côté, Exane BNP Paribas a publié une opinion de "surperformance" sur Air France-KLM le 27 février. Trois semaines plus tard, le cours du titre affiche une chute de plus de 40%, encore plus forte que celle du CAC 40 sur la même période (-32%).

Le titre évolue désormais plus de 60% en dessous de la médiane des objectifs de cours (9,90 euros) des 21 analystes qui la suivent selon les données Refinitiv.

"Nous utilisons des éléments 'sell side' dans des cas particuliers mais nous avons notre propre recherche stratégique et nous faisons beaucoup de modélisation en interne", explique Justin Onuekwusi, gérant chez Legal & General.

"Beaucoup d'analystes se sont trompés sur l'impact du confinement. Ils n'ont peut-être pas pris toute la mesure de l'effet dominos des fermetures (d'entreprises) et des fermetures de frontières."

Le secteur du transport aérien, du tourisme et des loisirs n'est évidemment pas le seul concerné: la situation est la même dans l'énergie et d'autres secteurs touchés par la crise.

Et désormais, la multiplication des avertissements sur résultats et le renoncement de nombreuses sociétés cotées à leurs prévisions financières compliquent la tâche des analystes qui s'efforcent d'ajuster leurs objectifs de cours.

"Il y a très peu de données à la disposition des analystes", a déclaré à Reuters Emmanuel Cau, stratège actions de Barclays. "Comme beaucoup d'entreprises se contentent d'annuler leurs prévisions, ils ne fournissent tout simplement plus de données actualisées aux analystes quant à l'impact de la crise sur leurs résultats."

Les traders qui étudient habituellement de près la recherche "sell side" ne peuvent donc plus compter que sur leur propre travail avant de prendre une décision.

"Chacun fait son propre boulot, prend ses propres risques et finit par vendre de toute façon", résume Keith Temperton, trader "sell side" chez Tavira Securities.

"On est en territoire inconnu. La nature de cette crise n'a rien à voir avec celle de 2008, lors de laquelle il y a eu un sauvetage systématique par les banques centrales."

(Avec Julien Ponthus, version française Marc Angrand, édité par Blandine Hénault)

par Thyagaraju Adinarayan et Sujata Rao