La finance islamique a aujourd'hui plus de trente ans. Elle s'est considérablement développée ces dernières années, et les spécialistes lui prédisent un avenir florissant. Des produits islamiques sont déjà en bourse tels que les «sukuk», sortes d'obligations islamiques, et des fonds.

Il existe aujourd'hui également toute une gamme d'indices boursiers islamiques permettant de suivre l'évolution de cette branche de la finance par secteur et par zone géographique. Ces indices sont publiés depuis quelques années déjà par les fournisseurs d'indices les plus connus, à l'instar de Dow Jones, Standard and Poor's et FTSE.

Les principes sur lesquels repose la finance islamique comprennent l'interdiction de l'intérêt usuraire, le partage des pertes et des profits entre l'entrepreneur et l'investisseur, l'adossement de toute transaction à un actif tangible - ce qui garantit la traçabilité des opérations financières -, l'interdiction de toute activité jugée illicite en Islam comme la pornographie, l'armement ou encore l'alcool.

Depuis la crise financière, la finance islamique a été érigée en alternative au système financier conventionnel. De par ses principes, il est vrai qu'elle apporte de nouvelles solutions de financement, notamment pour les PME. Elle apporte également de la liquidité au marché puisqu'elle attire de nouveaux investisseurs qui trouvent dans cette approche une concordance avec leurs principes éthiques. Elle offre, de plus, de nouvelles voies de diversification en matière de gestion de portefeuille puisqu'elle garantit la traçabilité et fait émerger de nouvelles opportunités et de nouveaux risques.

Toutefois, pour constituer une vraie alternative, la finance islamique doit relever le défi de la performance. La viabilité de cette branche de la finance n'est pas assurée par la seule offre nouvelle qu'elle insuffle dans le système financier mondial, encore faut-il qu'elle garantisse une performance qui soit à un niveau acceptable comparée à celle de la branche conventionnelle.

Or, sa mise en oeuvre génère des coûts non négligeables. En effet, les coûts peuvent provenir directement de la mise en pratique des principes mêmes de la finance islamique, mais aussi de la limitation de son univers d'action du fait de l'application de critères d'exclusion. La recherche académique permettant de trancher cette question de la performance est encore à ses balbutiements.

Dans une recherche récente (1), nous nous attachons à mesurer la performance boursière de cette branche et à voir dans quelle mesure l'application de critères d'exclusion affecte le niveau de performance globale d'une panoplie d'indices islamiques. L'objectif final étant de déterminer si la finance islamique est capable d'offrir aux investisseurs boursiers une rentabilité et un risque de niveau comparable. Plusieurs indices Dow Jones islamiques sectoriels et régionaux ont été appariés à des équivalents classiques sur la période 1996 à 2009.

Cette étude présente deux originalités majeures. La première est qu'elle s'efforce de donner une validité statistique aux résultats des comparaisons de performances, ce qui faisait cruellement défaut dans les études préliminaires publiées jusqu'à présent. La deuxième originalité tient au fait qu'elle se focalise aussi sur les observations d'extrême rentabilité, ce qui a permis de dégager deux sous-échantillons, le premier pouvant s'apparenter à une période de crise boursière et l'autre à une période d'euphorie.

Sur la période 1996-2009, les résultats ne dénotent pas une différence significative de performance au niveau mondial. Pour la région de l'Asie Pacifique en particulier, la performance, mesurée par le ratio de Sharpe, de l'indice islamique est significativement supérieure de 0,0117 par rapport à celle de l'indice conventionnel traduisant une meilleure rémunération du risque.

Ces constatations empiriques permettent d'affirmer que le secteur de la finance islamique ne semble pas souffrir des coûts qui lui sont spécifiques. La meilleure performance observée sur la région de l'Asie-Pacifique, berceau de la finance islamique, aurait même tendance à prouver l'inverse.

En outre, lorsque l'on s'intéresse aux seules observations extrêmes, la plupart des indices islamiques semblent à la fois moins souffrir de la chute des cours et moins tirer profit de la hausse. L'indice islamique mondial affiche en effet une performance (ratio de Sharpe) supérieure de 0,53 à la baisse et inférieure de 0,38 à la hausse comparée à celle de leurs équivalents conventionnels.

L'essor de la finance islamique comme finance alternative peut ainsi s'expliquer par l'originalité de ses principes fondateurs et les solutions nouvelles qu'elle propose, mais peut-être aussi par une performance qui se maintiendrait en dépit des coûts qui lui sont spécifiques et qui sont nécessaires à sa mise en oeuvre.

Kaouther Jouaber, Université Paris-Dauphine

Note

(1) K. Jouaber et M. Ben Salah, 2009 «The performance of Islamic Market Indexes in Catastrophic Market Events», document de recherche, Université Paris-Dauphine.