"Si le marché s'améliore pour les small caps et mid caps, le marché des IPO repartira". C’est ce qu’a déclaré Jay Woods, chief global strategist de Freedom Capital Markets (groupe Freedom Holding), dans un entretien accordé à AOF à New York, en marge de la conférence investisseurs LD Micro. Ancien vice-président de Goldman Sachs, il se dit "très optimiste" et estime que l'économie américaine "est en train de s'adapter à une nouvelle normalité, qui est celle de taux d'intérêts élevés, comme au tournant du millénaire".

Quel est votre pronostic sur le marché américain ?

Je suis très optimiste. Nous avons assisté à un bond des actions au début de cette année, grâce aux semi-conducteurs, mais l'intérêt pour ce secteur reflue depuis le 8 mars et la chute de Nvidia. Nous assistons maintenant à un regain d'intérêt pour des secteurs comme ceux des produits industriels et des matières premières, qui ont progressé durant dix semaines consécutives, mais aussi pour les financières et l'énergie. Les valeurs technologiques tiennent bon, mais ce ne sont plus celles qui ont été appelées les "7 Magnifiques".

Actuellement, davantage de valeurs participent à la hausse et c'est à mon avis une bonne chose. Nous jugeons positivement le fait que les fonds qui sont retirés d'un secteur pour y être placés dans un autre secteur restent dans l'économie américaine. Cette rotation des capitaux est un élément vital pour un marché haussier.

Freedom Capital Markets est spécialiste des introductions en Bourse. Vous focalisez-vous sur les small caps et mid caps en tant que responsable de la stratégie?

Autant que possible : je relève qu'actuellement l'indice Russell 2000, qui est l'indice de référence des small caps aux États-Unis, a beaucoup progressé depuis le point bas d'octobre 2023. Sa hausse a dépassé 72%. Il faut souligner que si le marché s'améliore pour les small caps et mid caps, le marché des IPO repartira : ce marché a été très mal en point durant les 18 derniers mois, mais il y a aussi eu quelques belles histoires, qui sont des signes avant-coureurs de succès futurs.

Les conditions actuelles sont bonnes : le marché a atteint des points hauts historiques, les taux d'intérêts ont arrêté d‘augmenter, je ne sais pas s'ils vont beaucoup baisser mais ils ont atteint un palier. D'autre part, nous avons constaté un large intérêt pour plusieurs introductions en Bourse récentes, et l'événement LD Micro, dédié aux petites capitalisations, permet de voir que beaucoup de sociétés veulent s'introduire en Bourse à Wall Street. Il est probable cependant que le marché des introductions de small caps et micro caps restera peu animé encore quelque temps : nous voulons créer les conditions pour voir se réaliser quelques belles opérations dans ce domaine.

Quelle est votre vision de l'économie américaine pour les prochains mois ?

L'économie a pris de la vigueur. L'inflation a décéléré, même si l'objectif de la Fed de 2% n'a pas été atteint, on s'en rapproche. La désinflation devrait déboucher sur une baisse des taux d'un quart de point (cette interview a été réalisée avant la publication des chiffres de l'inflation du mois de mars, ndlr).

La saison des résultats des banques qui commence ces jours-ci sera très intéressante à observer, car plusieurs groupes financiers ont traversé des difficultés, et cela nous donnera une idée de la suite des événements. Je serai particulièrement attentif à leurs perspectives sur la consommation aux Etats-Unis. Les observateurs s'inquiètent de voir que nous n'avons pas réduit nos dépenses malgré le niveau de l'inflation.

Le contexte reste donc favorable, malgré les taux d'intérêt élevés ?

Je suis confiant dans la capacité du marché à progresser cette année, même s'il ne devrait pas répéter sa performance de 2023. L'économie est en train de se stabiliser, elle est en train de s'adapter à une nouvelle normalité, qui est celle de taux d'intérêts élevés, comme au tournant du millénaire où ils ont atteint 6% ou 7%. Donc pour moi le marché continuera à progresser, mais à un rythme inférieur à celui des deux derniers trimestres.

Quelles leçons tirer de l'épisode des " 7 Magnifiques " ?

Il faut remettre en perspective l'année 2023: si les " 7 Magnifiques " ont dominé l'actualité, les sept valeurs en question avaient perdu 45% en moyenne l'année précédente, elles ont donc récupéré leurs pertes de 2022. Pour récupérer d'une chute de 45%, vous devez gagner 90%, c'est pourquoi ce rallye a été si important.

Ces 7 valeurs n'ont pas toutes été au-delà de leur niveau du début 2022, mais ce fut le cas de Meta, Nvidia et Microsoft. Apple a atteint un plus haut, avant de retomber, Alphabet a également atteint un plus haut puis s'est stabilisé, Amazon n'est pas loin d'un sommet. Tous ces nouveaux plus hauts historiques sont très enthousiasmants pour un trader de formation comme moi, car j'y vois une dynamique positive qui s'auto-entretient.

Cette dynamique s'étend aussi aux autres secteurs, hors technologie : les valeurs industrielles, celles des matériaux ainsi que les financières ont touché des plus hauts historiques.

Pensez-vous que l'élection présidentielle américaine pourrait impacter le marché cette année ?

J'ai étudié de très près les élections précédentes et leur impact sur la Bourse. Généralement les marchés baissent un peu durant l'année jusqu'à la date de l'élection. Une fois passée, quelle qu'en soit l'issue et la couleur politique du vainqueur, il y a un rallye : c'est ce qui est arrivé en 2016 avec la première élection de Donald Trump, alors que le résultat était très inattendu.

En 2020, autre élection mouvementée, nous avons touché un plus bas trimestriel le jour du scrutin, puis assisté à un rallye jusqu'à la fin de l'année. Même après les troubles du 6 janvier : il y a eu de nouveaux plus hauts deux jours après l'invasion du Capitole. Il y aura certainement beaucoup de brut médiatique aux Etats-Unis dans les prochains mois, mais le marché s'en moque, il veut juste que l'élection soit passée, pour pouvoir se concentrer de nouveau sur les entreprises et leurs résultats.

Propos recueillis par Matthieu Richard-Molard