Bitcoin, de quoi parle-t-on ?

Pour faire simple et très résumé, le minage, par le biais du Proof-of-Work, de Bitcoin consiste à valider les transactions et de les enregistrer sur la blockchain. L’algorithme de consensus utilisé, appelé “Proof of Work”, est fondamental dans la philosophie du Bitcoin car il permet notamment de sécuriser le système et garantit que l’ensemble des utilisateurs agissent correctement. Mais vous vous en doutez bien, ce processus est plutôt complexe et ne se réalise pas par la simple volonté du Saint-Esprit. 

Imaginez donc un mineur de bitcoins, non pas avec sa pioche, mais bel et bien avec son équipement informatique surpuissant qui lui permet de résoudre des calculs mathématiques complexes et d’ainsi d'enregistrer les blocs sur la blockchain (pour aller plus loin dans la compréhension du minage, retrouvez mon article en cliquant sur le lien suivant : ici). Ce processus implique, de par son architecture et son mode de fonctionnement, une forte consommation électrique. 

1 transaction sur le Bitcoin VS 100 000 transactions sur le réseau Visa
Source : Statista

Souvent, les études comparent le réseau Bitcoin au réseau Visa pour dénoncer ses ravages énergétiques. Et force est de constater que la différence est flagrante : 100 000 transactions sur le réseau Visa consommeraient moins de 150 Kwh alors que le Bitcoin consommerait, lui, quasiment 1800 Kwh pour une seule transaction. Mais nous devons nuancer ces propos. Il est déjà tendancieux de parler du nombre de transactions lorsqu'on parle du réseau Bitcoin. 

Bitcoin est un système complet à la différence du réseau Visa. Comme précédemment évoqué, le protocole de consensus Proof-of-Work (PoW) de Bitcoin sert à valider et à enregistrer les blocs de transactions, mais aussi à sécuriser le système et à garantir que l’ensemble des opérateurs agissent correctement. De plus, le réseau Bitcoin, en utilisant le PoW, propose une unité de compte, le satoshi (la plus petite unité de bitcoin = 0,00000001 bitcoin), et un système de paiement sécurisé permettant à quiconque de gérer et d'échanger des satoshis. Enfin son caractère public et open source, permet à n’importe qui de contribuer au développement et d’utiliser le réseau sans condition d’accès (si ce n’est une connexion internet). Depuis treize ans, le système fonctionne plutôt bien.

Visa de son côté n’est “qu’un canal de paiement” qui ne possède pas sa propre monnaie par rapport au Bitcoin par exemple. Sans le système bancaire centralisé et les monnaies fiduciaires actuelles, le réseau Visa serait dans le pétrin et incapable d’opérer. Bitcoin, lui, pourrait techniquement survivre de son côté. Il est donc difficile et un peu injuste de comparer les transactions sur le réseau Visa en termes de consommation électrique par rapport à celles du Bitcoin. 

Enfin, nous ne pouvons pas parler clairement de consommation électrique par transaction dans le cas du Bitcoin, car la consommation électrique correspond à l’enregistrement des blocs de transactions. Ainsi un bloc vide, contenant aucune transaction, pourrait demander la même quantité d’énergie qu’un bloc rempli de transactions. Nous devons donc parler de la consommation électrique par bloc généré et non par transaction. Ah oui, avant de passer à la suite, le Bitcoin avec un un grand “B” fait référence au système de paiement alors que le bitcoin avec un petit “b” fait référence à l’unité de compte, le fameux satoshi. 

Où est-ce que le Bitcoin puise son énergie ?

Selon l’indice Cambridge Electricity Consumption Index (CBECI), le réseau Bitcoin consomme à l’heure actuelle approximativement 130 Twh par an, ce qui représente 0,59% de la consommation d'électricité mondiale (22 315 Twh). Cela équivaut à une consommation plus importante que la consommation d’un pays comme l’Ukraine (124,5 Twh par an). De prime abord, la consommation du Bitcoin semble donc extrêmement importante. Mais prenons du recul. 

Comparons la consommation du réseau avec d’autres secteurs d’activités qui ont très peu de points communs avec le Bitcoin, à part être énergivores. Les comparaisons suivantes doivent être considérées plutôt d’un point de vue quantitatif que qualitatif. 

Consommation électrique de différents secteurs
Source : University of Cambridge

Détails en français des secteurs ci-dessus :

  • L’éclairage aux Etats-Unis (60 Twh)
  • La télévision aux Etats-Unis (60 Twh)
  • Les réfrigérateurs aux Etats-Unis (104 Twh)
  • L’industrie du cuivre (167 Twh)
  • Le réseau Bitcoin (132 Twh)
  • La consommation des centres de données (200 Twh)
  • La consommation des réseaux de données (250 Twh)
  • L’industrie du ciment (384 Twh)
  • L’industrie du papier (586 Twh)
  • L’industrie du fer et de l’acier (1233 Twh)
  • L’industrie des produits chimiques (1349 Twh)
  • L'industrie de l’air conditionné (2199 Twh)

Nous comparons ici la consommation du réseau Bitcoin avec différents secteurs industriels et résidentiels. Mais prenons le temps de détailler un peu plus cette consommation de 132 Twh du réseau du Bitcoin. Nous devons relever un point fondamental dans le mécanisme du protocole Proof-of-Work de Bitcoin. Lors de la validation d’un bloc sur le réseau, c’est l’ensemble des mineurs (ordinateurs connectés) qui auront consommé de l’énergie pour tenter d’être celui qui obtient la solution pour enregistrer le bloc. Prenons un exemple :

  • 1000 mineurs font fonctionner leurs machines pour trouver la solution mathématique afin d’enregistrer le prochain bloc. 
  • Les 1000 machines vont consommer de l'énergie pour tenter d’être celle qui sera récompensée en BTC en échange de son travail pour valider le bloc. 
  • 999 machines auront consommé de l’énergie pour “rien” puisqu’une seule d’entre elles aura réellement validé le bloc.

Force est de constater qu’il y a une débauche d’énergie importante qui n’aura “servi à rien”, en effet toute l’énergie dépensée par les 999 machines sera définitivement perdue. Ce gaspillage d’énergie est le prix de la sécurité et de la décentralisation du protocole Proof-of-Work qui est loin d’être optimal, comme nous venons de le voir, en termes de consommation d'électricité. Nous parlons ici de la consommation électrique du réseau Bitcoin, il était donc nécessaire de bien comprendre comment l'énergie est utilisée pour valider un bloc sur le réseau Bitcoin avant de passer à la suite.

Lorsque nous parlons de la consommation électrique d’un secteur nous devons la mettre en perspective avec d’autres industries afin d’avoir des points de comparaison. Dans le cas de Bitcoin, même s'il est indéniable que son modèle de consensus, Proof-of-Work, utilise un nombre colossal d’électricité, il est bien loin de celui de certaines industries. En revanche, comme je l’ai mentionné précédemment, nous nous sommes focalisés sur le côté quantitatif de la consommation d’énergie par ces industries. Oui car il est difficile de comparer qualitativement la consommation électrique de l’industrie du ciment qui va permettre de loger des milliers d’individus, au réseau Bitcoin, qui lui permet “seulement” de transférer de la valeur de manière décentralisée.  

Mais la question fondamentale n’est finalement pas de comparer les industries entre elles et de réaliser un classement de “celle qui consomme le moins”, la partie qui me semble la plus intéressante lorsqu’on parle de consommation électrique est belle et bien la source énergétique de cette consommation. De par sa nature mobile et géo-indépendant, le réseau Bitcoin pourrait être un outil de l'absorption de la perte d'énergie aussi bien carbonée que renouvelable. Je m’explique. 

Gaspillage : les énergies carbonés

Contrairement aux industries précédemment mentionnées, le minage de Bitcoin est une industrie bien plus agile. Les mineurs qui sont très dépendants du coût de l'électricité pour leurs installations, car leurs revenus en dépendent, parcourent le globe afin de s’installer là où l'électricité est bon marché. Oui car, le minage peut s’effectuer partout sur la planète sans limite géographique à la condition d’avoir une connexion internet, même intermittente, contrairement à d’autres industries où il est nécessaire de s’installer à côté d'un gisement de ressources naturelles ou un bassin de consommation par exemple. 

Cette mobilité permet en conséquence d'exploiter des “actifs énergétiques bloqués” qui ne peuvent pas être facilement réutilisés de manière opérationnelle et productive par d’autres industries. Les mineurs, de par leur forte mobilité géographique et le peu de contraintes techniques que nécessite le minage sur le réseau Bitcoin, pourraient facilement utiliser le surplus d'énergie perdu et gaspillé par certaines industries à l'échelle mondiale. 

Pertes et gaspillages d’énergie
Source : Cambridge Electricity Consumption Index

Et si le réseau Bitcoin pouvait être alimenté par la perte d'énergie ? Une approche qui serait en plus “non rivale” par rapport aux autres industries. Dans ce cadre, prenez l'exemple de la réduction des énergies renouvelables en Chine (notamment en raison de la capacité excédentaire d'électricité en provenance des barrage hydroélectrique pendant la saison des pluies) ou encore exploiter le torchage du gaz en Amérique du Nord en transformant le gaz naturel d’une source indésirable sous-produit de l’extraction du pétrole et donc perdue en une source d’énergie pour alimenter le réseau Bitcoin. Le potentiel mondial de la récupération du gaz torché permettrait d’alimenter 5,1 fois le réseau Bitcoin au stade actuel par exemple. 

Encore une fois, cette perte d’énergie pourrait être exploitée grâce à la forte mobilité des mineurs qui sont en quête perpétuelle d’un coût électrique bon marché. Ici nous nous sommes intéressés aux potentielles des sources d'énergies carbonés (charbon, pétrole et gaz), à présent, regardons le potentiel des énergies renouvelables.

Perte : les énergies renouvelables

Une récente enquête menée par le Bitcoin Mining Council a révélé que 56% de l'énergie dépensée pour le minage de bitcoins est renouvelable (hydraulique, solaire, éolienne). Les énergies renouvelables sont plutôt bon marché et sont donc attractives pour les mineurs. A titre d’exemple, dans l’ Etat du Texas, l’Electric Reliability Council of Texas (ERCOT), le réseau électrique qui dessert environ 90% de l'électricité du territoire possède l’énergie solaire à grande échelle la moins chère du pays à 2,8 cents le kilowattheure. On comprend donc pourquoi des cohortes de mineurs viennent s’installer dans la région. 

Mais il y a un hic. Les énergies renouvelables sont dites “non pilotables”, c’est-à-dire que les éoliennes fonctionnent que lorsqu’il y a du vent et les panneaux photovoltaïques marchent que lorsqu’il y a du soleil. Pour les industries les exploitant, il faut souvent, aussi, s’appuyer sur des sources d'énergies carbonées pour assurer de la continuité des activités. En revanche, les infrastructures d’énergies renouvelables sont régulièrement en surproduction en produisant plus d'énergie que nous en avons réellement besoin, notamment sur certaines périodes, comme en été pour les panneaux solaires par exemple. 

Par conséquent, l'énergie est parfois perdue car le stockage, à l’heure actuelle, reste très coûteux et les seules solutions sont : la technique de stockage par pompage-turbinage et le stockage dans des batteries (possible à court terme seulement). Il est pour l’heure moins cher de jeter le surplus d'énergie généré que de le stocker. Une étude relayée par The Conversation, montre qu’aujourd’hui  : 

“surmonter la contrainte liée à la variabilité naturelle de l’éclairement solaire et de la vitesse des vents est possible. Cela implique de surdimensionner la production et que les distributeurs autorisent des pertes d’environ 20 à 40 % de l’excès d’énergie produite. Ce surdimensionnement réduit considérablement les besoins en stockage, toujours nécessaire, bien sûr, mais de façon à ce que son impact sur les coûts de production reste à un niveau acceptable.”

Le Bitcoin pourrait-il être une solution économiquement viable, autant pour les distributeurs que pour les mineurs, pour exploiter le surplus d'énergie ? Probablement. Rendre les énergies renouvelables rentables et accélérer leur déploiement pourrait être possible avec l’industrie mobile que représente le minage du réseau Bitcoin.

Le réseau Bitcoin consomme-t-il beaucoup d'électricité ? Définitivement, oui.

Le réseau Bitcoin peut-il fonctionner avec le gaspillage et la perte d'électricité des énergies carbonées ? Techniquement oui, bien qu’à l’heure actuelle ce n’est pas une réalité

Le réseau Bitcoin peut-il favoriser le développement des énergies renouvelables en utilisant l'électricité non stockée et donc perdue ? Dans un avenir proche peut-être, si des initiatives se réalisent entre les distributeurs et les mineurs en accord avec les gouvernements. 

Le Bitcoin peut-il être un outil de la transition énergétique ? Bien que certaines pistes semblent intéressantes à explorer dans ce sens, il est bien trop tôt pour donner une réponse définitive, nous ne pouvons pas considérer à l’heure actuelle, que le Proof-of-Work favorise la transition énergétique, bien au contraire. 

Dans cet article nous nous sommes intéressés à la consommation électrique du réseau Bitcoin et plus précisément à son modèle de consensus Proof-of-Work, un algorithme également utilisé pour le réseau d’Ethereum. Mais nous pourrions imaginer que les développeurs du réseau Bitcoin puissent modifier leur modèle de consensus en passant par exemple au Proof-of-Stake (preuve d'enjeu dans la langue de Molière) un modèle bien moins énergivore. C’est d’ailleurs ce qu’a décidé de faire Vitalik Buterin, le fondateur d’Ethereum et ses équipes : passer du modèle actuel Proof-of-Work au Proof-of-Stake. Mais la tâche n’est pas facile, c’est un peu comme changer les moteurs d’un avion en plein vol sans qu’il cesse de voler. Je vous réserve une exploration de cet autre mécanisme de consensus pour le prochain épisode du Web 3.0.

Episode précédent : Episode 9 : Le Web 3.0, le trilemme des blockchains et les dépenses opérationnelles 

Episode suivant : Episode 11 : Le Web 3.0, la preuve d'enjeu est-elle la solution miracle ?