(Ajoute précisions, production TV à disposition)

par Daniel Ramos, Gram Slattery et Monica Machicao

LA PAZ, 12 novembre (Reuters) - Pillages, affrontements, barricades: la Bolivie a plongé dans le chaos lundi dans les heures qui ont suivi la démission du président Evo Morales, contesté depuis l'annonce controversée de sa réélection le 20 octobre.

Des milliers de partisans du dirigeant socialiste ont quitté El Alto, ville voisine de la capitale La Paz, pour gagner le siège de l'Assemblée, ont dit des sources policières et législatives, laissant craindre des affrontements avec les forces de l'ordre et les partisans de l'opposition.

Aucune indication n'a été donnée sur l'endroit où s'est réfugié le président démissionnaire, auquel le Mexique, qui le dit victime d'un coup d'Etat, a accordé lundi l'asile politique.

La démission de Morales est survenue après plusieurs semaines de manifestations violentes pour contester le résultat de l'élection présidentielle. L'opposition a dénoncé une fraude du président sortant, dont la commission électorale a annoncé la réélection à l'issue du premier tour du scrutin le 20 octobre.

Premier président indigène de l'histoire du pays, Morales est vu par de nombreux Boliviens comme l'homme qui a apporté stabilité et croissance économique, mais ses détracteurs dénoncent un autocrate ayant défié les résultats du référendum de 2016 sur la limitation de la fonction présidentielle.

Son gouvernement s'est effondré dimanche quand l'Organisation des Etats américains (OEA) a signalé, dans un rapport rédigé sur la base d'un audit du scrutin présidentiel, de graves irrégularités dans le processus électoral.

Maduro, arrivé à la présidence en 2006, a alors été abandonné par des alliés au sein du parti au pouvoir et par l'armée. Il a annoncé plus tard dans la journée son départ, qu'il a confirmé lundi dans une lettre à l'assemblée législative.

Sa démission, ainsi que celle de son vice-président, crée une vacance du pouvoir dans l'attente des résultats d'un nouveau scrutin encore hypothétique.

"CRAINTE ET PANIQUE"

Un parlementaire a déclaré à Reuters que les élus, qui discutaient lundi à l'Assemblée de la possible mise en place d'un gouvernement intérimaire, avaient dû être évacués de l'enceinte.

Des policiers membres de l'unité chargée de protéger l'Assemblée ont dit à Reuters qu'ils s'attendaient à des affrontements violents avec les pro-Maduro. L'un d'entre eux a indiqué que les officiers feraient usage de balles réelles.

Le chef de la police, s'exprimant à la télévision, a déclaré avoir demandé l'aide de l'armée.

"C'est très inquiétant. Il y avait beaucoup de crainte et de panique la nuit dernière. Ce soir les gens ont autant peur qu'hier, si ce n'est plus", a déclaré un diplomate occidental présent à La Paz. La plupart des bâtiments diplomatiques ont été fermés, a-t-il dit, le personnel travaillant à domicile.

Des bandes ont sillonné La Paz et d'autres villes durant la nuit. Des entreprises ont été attaquées, pro et anti-Morales se sont affrontés et des bâtiments ont été incendiés.

La plupart des écoles et commerces sont restés fermés, les transports publics étaient à l'arrêt et les routes bloquées.

Aux termes de la loi, le président du Sénat est chargé d'assurer l'intérim en cas d'absence de président et de vice-président. Mais la présidente du Sénat, Adriana Salvatierra, a elle aussi quitté ses fonctions dimanche soir.

La deuxième vice-présidente du Sénat Jeanine Añez a annoncé qu'elle était disposée à assumer la présidence intérimaire, "seulement pour faire le nécessaire afin de convoquer des élections transparentes".

Elle a déclaré que le Sénat se réunirait mardi et exhorté les membres du Mouvement pour le socialisme (MAS), le parti de Morales, à assister à la séance pour tenter de trouver une solution constitutionnelle à la crise.

MORALES APPELLE AU "DIALOGUE"

La démission de Morales doit encore être approuvée par l'Assemblée législative, convoquée par les deux chambres du Congrès, ce qui était en suspens mardi du fait de la situation sécuritaire.

L'armée a annoncé qu'elle avait mis en oeuvre des plans visant à protéger les services publics essentiels.

Morales, âgé de 60 ans, a quitté le palais présidentiel et l'on pense qu'il a emprunté l'avion présidentiel pour se rendre dans son bastion de la province de Chapare.

Il a répété lundi être victime d'un complot fomenté notamment selon lui par son principal rival pour l'élection présidentielle, Carlos Mesa. "Le monde et nos Boliviens patriotes répudient le coup d'Etat", a dit Morales sur Twitter.

Plus tard dans la soirée, il a adopté un ton différent, appelant son "peuple" à être pacifique: "Nous ne pouvons pas nous battre entre frères boliviens. J'appelle urgemment à résoudre les divergences par le dialogue et la consultation".

Plusieurs alliés du dirigeant socialiste dans la région, parmi lesquels le président élu argentin Alberto Fernandez, ont eux aussi dénoncé un coup d'Etat.

La Russie a apporté son soutien à Evo Morales, accusant l'opposition de violences.

Au Venezuela, des opposants du président Nicolas Maduro ont célébré la démission de Morales, qualifié de "dictateur", espérant que Maduro serait le prochain sur la liste.

De son côté, Donald Trump a estimé que la démission de Morales constituait un "moment important pour la démocratie" et adressait un "signal fort aux régimes illégitimes du Venezuela et du Nicaragua".

Sous la présidence de Morales, la Bolivie a affiché l'un des plus forts taux de croissance d'Amérique latine et son taux de pauvreté a été réduit de moitié. Mais sa volonté de rester au pouvoir en briguant un quatrième mandat lui a fait perdre une partie de ses soutiens, y compris au sein de la communauté indigène. (avec Dave Graham à Mexico, Matt Spetalnick à Washington, Tom Balmforth à Moscou; Jean-Stéphane Brosse et Jean Terzian pour le service français)