(Nouvelle date)

* Le Parti des Régions du président Ianoukovitch favori du scrutin

* Percée inattendue dans les sondages du boxeur Vitaly Klitschko

* L'Ukraine au 152e rang du classement de Transparency International

* L'opposition affirme que la corruption s'est développée sous Ianoukovitch

par Richard Balmforth

KIEV, 28 octobre (Reuters) - Tous les partis engagés dans les élections législatives de dimanche en Ukraine professent, la main sur le coeur, leur volonté de lutter contre la corruption. Au quotidien, la réalité est tout autre.

Au classement mondial établi en 2011 par l'organisation Transparency International, l'Ukraine pointe au 152e rang sur 183. Le cabinet Ernst & Young la considère pour sa part parmi les trois nations les plus corrompues de la planète, avec la Colombie et le Brésil.

Police, justice, santé, parlement, éducation, logement, urbanisme: la corruption est une pratique quasi-culturelle pour les 46 millions d'Ukrainiens.

Le récit de Viktoria, une jeune femme de vingt-deux ans, en est une illustration. Admise d'urgence dans un hôpital de Kiev pour une crise d'appendicite, elle a parfaitement saisi le sens des propos du médecin qui l'a reçue. "Comme vous le savez, nous autres, médecins, nous ne sommes pas particulièrement aisés. Je suis certain que vous voulez que l'opération se passe bien."

Alors que les soins sont théoriquement gratuits dans les établissements publics, Viktoria a accepté de verser 100 dollars à un médecin anesthésiste. Puis 100 dollars le lendemain de l'opération quand le chirurgien est repassé la voir.

Et ces exemples sont légion. En cas d'infraction routière, le tarif pour la clémence des policiers est de 100 hryvnia (12 dollars). Pour que des parents inscrivent leur enfant dans l'école de leur choix, il leur en coûte dix fois plus.

Pour faire débloquer les démarches administratives en vue de la création d'une entreprise ou obtenir les autorisations pour un projet immobilier, ce sont des centaines de milliers de dollars qui passent de la main à la poche, dénoncent des associations d'entreprises étrangères.

"Même mourir vous coûte de l'argent", a déclaré Vitaly Klitschko, champion du monde WBC de boxe qui s'est lancé en politique. "Il faut désormais verser un pot-de-vin pour trouver une place au cimetière", a-t-il ajouté lors d'un meeting de campagne, la semaine dernière à Kiev.

L'OPPOSITION AFFAIBLIE ET DIVISÉE

Guère étonnant que la lutte contre la corruption soit devenue la promesse de campagne numéro un de tous les partis en lice pour les élections législatives de dimanche, que le Parti des Régions du président Viktor Ianoukovitch aborde en position de favori face à une opposition une nouvelle fois divisée et toujours affaiblie par l'incarcération de Ioulia Timochenko, condamnée à sept ans de prison.

Les derniers sondages le placent en tête des intentions de vote, autour de 23%. L'Alliance démocratique ukrainienne pour la réforme, le parti créé par Klitschko et dont l'acronyme, Udar, signifie "coup", suit avec un score proche des 16%, devançant l'Opposition unie (15%), l'alliance formée notamment autour de Batkivchtchina (Mère-patrie), le parti de Timochenko.

De sa prison, cette dernière a lancé un vibrant appel à ses compatriotes pour qu'ils chassent Ianoukovitch et les siens du pouvoir.

"Si, grâce à votre vote, Ianoukovitch survit politiquement lors de ces élections, il établira une dictature et ne cédera plus jamais le pouvoir par des voies pacifiques", a-t-elle déclaré dans un communiqué lu par sa fille Ievguenia.

Le bloc d'opposition a tenté vainement d'enrôler le parti de Klitschko, mais le boxeur poids-lourd, vainqueur par K-O de 41 des 45 combats qu'il a remportés dans sa carrière professionnelle, a préféré partir seul (Voir ). Certains opposants voient dans son refus un possible rapprochement post-électoral avec le Parti des Régions.

Au total, 22 partis ou blocs politiques sont en lice.

Une moitié des 450 sièges du parlement monocaméral en jeu dimanche sera attribuée à la proportionnelle, avec un seuil de représentation au parlement fixé à 5%. L'autre moitié sera pourvue au scrutin majoritaire uninominal par circonscription, où sera proclamé vainqueur le candidat arrivé en tête avec au moins 30% des suffrages exprimés.

Les quelque 34.000 bureaux de vote du pays ont ouvert à 08h00 (06h00 GMT) et fermeront à 20h00 (18h00 GMT). Le déroulement du scrutin sera surveillé par 3.800 observateurs étrangers et 240.000 scrutateurs locaux.

Le Parti des Régions, particulièrement bien implanté dans l'est et le sud du pays, devrait conserver sa majorité. Diminuée par l'absence de Timochenko, la plus charismatique de ses dirigeants, l'opposition souhaite elle affaiblir le président, qui briguera un nouveau mandat en 2015.

PRIVATISATIONS ET CHANGEMENTS D'ALLÉGEANCE

Au pouvoir depuis deux ans et demi, Viktor Ianoukovitch n'a de cesse de promettre que la lutte contre la corruption dans les sphères du pouvoir est la priorité de ses priorités.

Ses conseillers justifient ainsi la détention de sa rivale, Ioulia Timochenko, figure de la "révolution orange" de 2004-2005 puis Premier ministre, condamnée à sept ans de prison pour abus de pouvoir lorsqu'elle dirigeait le gouvernement au terme d'un procès qui, selon les capitales occidentales, relève de la justice sélective.

Là où le gouvernement parle de lutte contre la corruption, l'opposition dénonce une hypocrisie. Ses dirigeants affirment que la corruption et le favoritisme se sont propagés sous Ianoukovitch, au plus grand bénéfice des industriels qui le soutiennent et des membres de "La Famille", le surnom du clan formé par ses proches, dont ses deux fils.

Arseni Iatseniouk, ancien ministre de l'Economie qui conduit l'Opposition unie en l'absence de Timochenko, affirme ainsi que le processus de privatisation de l'économie ukrainienne est conçu pour profiter au pouvoir et à ses soutiens. "Avec un tel climat des affaires, nous ne pouvons pas attirer d'investisseurs étrangers", a-t-il dit dans une interview accordée à Reuters.

Des changements d'allégeance politique au parlement seraient même le résultat de pots-de-vin, de pressions ou de chantages, relèvent des initiés.

En 2007, le bloc de Timochenko était formé de 156 députés; après l'élection de Ianoukovitch, début 2010, un tiers d'entre eux ont changé de bord, dont un grand nombre engagés parallèlement dans le monde des affaires qui auraient été menacés d'enquêtes fiscales, dit un fin connaisseur du Parlement sous couvert d'anonymat. (avec Olzhas Auyezov, Natalya Zinets et Pavel Polityuk; Bertrand Boucey et Henri-Pierre André pour le service français)