par John Irish et Sophie Louet

PARIS, 2 juin (Reuters) - Les agents du ministère français des Affaires étrangères sont en grève jeudi, un mouvement social rarissime pour protester contre une réforme de la haute fonction publique voulue par Emmanuel Macron qui menace selon eux de disparition le troisième réseau diplomatique mondial après les Etats-Unis et la Chine.

Le Quai d'Orsay, où l'on cultive d'ordinaire discrétion et opposition feutrées, avait été le théâtre d'une première grève en 2003, mais essentiellement pour des questions salariales.

Le mouvement actuel puise à un malaise plus profond au sein du corps diplomatique, qui s'estime malmené et déconsidéré à un moment où les crises se multiplient dans le monde et où l'Europe a renoué avec la guerre.

"L'inquiétude est réelle, les personnels sont fatigués", souligne une source proche du dossier.

Les agents du ministère désormais dirigé par Catherine Colonna - environ 14.000 personnes - étaient appelés à un rassemblement ce jeudi à Paris, près du Quai d'Orsay, et à Nantes, à l'appel de l'intersyndicale et d'un collectif de 500 diplomates, des jeunes en majorité.

Un journaliste de Reuters a compté quelque 200 manifestants à Paris. "Diplomatie en danger", "Pour une diplomatie professionnelle", pouvait-on lire sur des pancartes.

"Aujourd'hui, les agents - de toutes les catégories et de tous les métiers, diplomatiques, consulaires, culturels et de gestion - ont la conviction que c'est l'existence même du ministère qui est désormais remise en question", lit-on dans une tribune publiée le 25 mai dans Le Monde.

Les signataires relèvent que les effectifs du ministère ont baissé de 30% en 10 ans et de 50% en 30 ans, avec un budget représentant environ 0,7% du budget total de l'Etat.

#DIPLO2METIER

Outre cet "affaiblissement" structurel, les diplomates s'insurgent contre la suppression de leur corps, annoncé le 18 avril au détour d'un décret paru au Journal officiel.

Cette réforme aux contours flous vise plus particulièrement les conseillers des affaires étrangères et les ministres plénipotentiaires, appelés à rejoindre un "corps des administrateurs de l’Etat" formés à l’Institut national du service public (INSP), qui remplace depuis janvier la défunte Ecole nationale d’administration (ENA).

Les hauts fonctionnaires seront ainsi amenés à évoluer de ministère en ministère, sans véritable spécialisation.

"Cette réforme reflète une volonté incompréhensible de saper notre ministère, au risque d'affaiblir durablement la capacité de notre pays à se projeter et à défendre dans le monde", lit-on dans le préavis de grève.

"On ne s'improvise pas diplomate", entend-on dans les rangs du "Quai", alors que le mot-dièse #Diplo2metier a fait son apparition sur les réseaux sociaux.

Signe du désarroi, plusieurs ambassadeurs se sont exprimés sur Twitter pour apporter leur soutien au mouvement : l'ambassadeur au Nicaragua Brieuc Pont, l'ambassadrice au Koweït Claire Le Flécher, l'ambassadrice à Oman Véronique Aulagnon, pour qui "les diplomates ne sont pas interchangeables", l'ambassadeur en Azerbaïdjan Zacharie Gross, qui s'inquiète de diplomates "surmenés, sous-payés, sous-équipés".

"C'est comme si on demandait à un journaliste sportif de donner les prévisions météo", déplore un diplomate européen, qui s'alarme du message ainsi envoyé à l'étranger par l'exécutif français, pourtant désireux d'être à l'initiative sur la scène internationale.

"BESOIN DE RECONNAISSANCE"

Un haut diplomate interrogé par Reuters se veut toutefois rassurant.

"Si on regarde strictement la réforme au-delà de la mesure symbolique de la suppression du statut, qui est encadrée, je ne suis pas plus inquiet", explique-t-il.

Le problème, poursuit-il, c'est qu'"il y a vraiment de moins en moins de moyens pour faire quelque chose. Je pense aussi que vous avez un besoin de reconnaissance parfois dirigé envers les autorités actuelles".

Un diplomate en poste à l'étranger abonde : "On a le sentiment que les gens qui font cette réforme n'ont pas compris notre métier. (...) Il y avait tellement de problèmes déjà au ministère et là on les accentue".

Des agents appellent à "tout mettre sur la table" et suggèrent des "Assises de la diplomatie".

Anne-Claire Legendre, porte-parole du Quai d'Orsay, défendait le 19 mai "un dialogue social de qualité". "La mobilisation de l’ensemble des agents depuis le début de la guerre en Ukraine est exemplaire. (...). Nous savons dans ce contexte international si tendu la difficulté de leur tâche", a-t-elle dit.

Lors de sa prise de fonctions, la nouvelle ministre des Affaires étrangères avait assuré les diplomates, son corps d'origine, de son soutien : "Vous pouvez compter sur moi pour ne jamais oublier ni qui je suis, ni d'où je viens. Et je viens de cette maison." (Sophie Louet, édité par Bertrand Boucey)