"A un mois et demi de l’année, quel bilan faites-vous de l’évolution des marchés financiers pour cette année 2018 ?
On constate un véritable contraste entre l’année 2017 marquée par une certaine accélération de la dynamique économique et une mise en sourdine du risque et l’année 2018 caractérisée par un ralentissement prononcé et une accentuation du risque sur plusieurs fronts.
De nombreux gérants de fonds se sont fait surprendre par ce changement de configuration.
Un point de retournement du sentiment de marché s’est manifesté au mois de mai, après la matérialisation d’un certain nombre de risques exogènes : le résultat des élections italiennes, la montée en puissance de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, le durcissement de ton entre l’Europe et le Royaume-Uni. Accessoirement les intempéries ainsi que les différentes grèves à répétition ont également eu une relative influence négative sur l’appétit pour le risque.
L’euphorie a laissé place à un sentiment pessimiste.
Une des conséquences majeures de la multiplication de ces vents contraires a été un retour en grâce des secteurs défensifs et des stratégies à faible volatilité.

Le marché anticipe à présent une fin de cycle aux Etats-Unis. Qu’en pensez-vous ?
C’est effectivement le refrain qui semble être joué aujourd’hui. Partant de l’idée que cela fait dix ans que la croissance est de retour outre Atlantique. Nous connaissons le cycle d’expansion le plus long de l’histoire de l’économie américaine.
Si cette fin de cycle devait se concrétiser, ce que nous n’anticipons pas à court terme, elle serait de nature à impacter le reste du monde, ce d’autant plus que la Chine montre des signes d’affaiblissement et que l’Europe se trouve dans une situation clairement inconfortable avec des pays en surchauffe comme l’Allemagne et des pays en souffrance comme la Grèce ou l’Italie.

Malgré la vive correction vécue en octobre, il n’y a pas encore eu selon vous de capitulation sur les marchés…

Une capitulation se traduit par une explosion à la hausse des volumes traités entraînant des corrections de plus de 5% sur une journée. Nous n’avons pas assisté à ces mouvements.

Pensez-vous que ce risque de capitulation est aujourd’hui important ?

Oui et non. D’un côté, nous ne voyons pas d’amélioration à court terme sur le front des incertitudes politiques qui minent le sentiment. D’un autre, nous rentrons dans une période de l’année traditionnellement propice à un rallye. Plusieurs éléments techniques militent en ce sens. Tout d’abord, la saisonnalité est favorable statistiquement. Par ailleurs, nous sommes sortis de la période de « blackout » pour les entreprises américaines qui rachètent leurs propres actions. Enfin, beaucoup de mauvaises nouvelles ont été identifiées et intégrées dans le marché. Certaines valorisations paraissent plus intéressantes. L’issue de la rencontre entre MM. Trump et Jinping, lors du prochain sommet du G7, si elle s’avère positive, pourrait servir de déclencheur à ce rallye.

Qu’entendez-vous par période de blackout ?
Les entreprises américaines ont l’habitude de stopper leurs rachats d’actions autour de la période de publication de leurs résultats. Or ces opérations ont un impact conséquent sur le marché des actions américain. Depuis 2008, les entreprises américaines ont clairement été les plus importants acheteurs d’actions américaines !

Au-delà d’un simple sursaut technique, pourrait-on envisager un rebond plus marqué et plus pérenne ?

Il faudrait qu’un certain nombre de points d’interrogation soient levés. Cela pourrait se manifester par un redressement de la dynamique économique en Chine sous l’impulsion de la mise en place du programme de relance par le gouvernement, par des éléments d’accalmie dans les dossiers italien, britannique ou sur le commerce international, ou encore par des indicateurs rassurants pour la conjoncture aux Etats-Unis.

S’agissant du Brexit, quel accueil faites-vous à l’accord annoncé la semaine dernière entre l’équipe de Theresa May et l’équipe de Michel Barnier ?

Pour l’instant cet accord n’est que technique. Il faut que ce dernier soit validé par les membres du gouvernement de Madame May et par le Parlement britannique. Il est à craindre que Theresa May ait du mal à obtenir l’unanimité autour de sa position. Nous avons pu observer les prémices de ces difficultés avec les démissions de plusieurs membres importants de son gouvernement.

Qu’en est-il de votre allocation d’actifs actuellement ?

Les fonds qui ont le mieux performé chez Tocqueville Finance sont ceux qui ont une allocation équilibrée et qui offrent une véritable diversification en termes de paris. En l’absence de visibilité, une approche diversifiée en termes de styles, de thèmes, de facteurs de risques semble être la meilleure approche à adopter.
Prendre un pari trop biaisé revient à s’embarquer dans une direction donnée, ce qui n’est pas opportun aujourd’hui.
Pour autant, le cap est davantage mis sur les actions que sur les obligations. Les actions paraissent être un des seuls compartiments à être épargné par un phénomène de bulle.
Dans l’obligataire, l’assymétrie est clairement défavorable. Le potentiel de perte dépasse largement le potentiel de gain. Sur le crédit, les spreads sont très serrés. Le taux de défaut est très bas.
La performance du Bund affiche une des meilleures performances en 2018.

Vous parait-il opportun de revenir sur les marchés émergents ?

Les taux américains rémunérant de 2 ans à 10 ans autour de 3%, le positionnement sur les taux émergents plus risqués a présenté un moindre intérêt pour les investisseurs internationaux. En a découlé un mouvement vaste de réallocation des pays émergents vers les Etats-Unis.

Tout dépend à présent de la prime de risque exigée par les investisseurs sur ces actifs plus risqués : la rémunération de ceux-ci doit s’ajuster à la hausse afin de tenir compte de la nouvelle donne sur les taux américains.
Si l’on considère que le scénario anticipé par le marché d’un retournement de cycle ne se produira pas en 2019, on peut admettre que nous sommes sur des points d’entrée interessants pour certains actifs émergents. La vigueur de la correction a abouti à des valorisations plus attractives.
Le repli du cours du baril, de près de 23% depuis octobre, et le reflux attendu sur le dollar pourraient être des catalyseurs favorables.
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