par Hans-Edzard Busemann et Brian Rohan

HAMBOURG, Allemagne, 7 juin (Reuters) - L'enquête a débuté il y a plus d'un mois: les experts ont écarté la piste du concombre espagnol, au prix d'une mini-crise entre Berlin et Madrid, et pensent aujourd'hui tenir une nouvelle piste, sans pour autant pouvoir la confirmer.

Le premier cas de contamination à la bactérie Escherichia coli (E. coli) dans le nord de l'Allemagne a été signalé le 1er mai avant de prendre les allures d'une flambée épidémique. Dans la seule journée du 23 mai, 122 cas nouveaux étaient répertoriés par les autorités sanitaires allemandes.

A ce stade, la bactérie a fait 23 morts - dont 22 en Allemagne - et contaminé 2.300 personnes, le tiers d'entre elles ayant développé une complication grave, le syndrome hémolytique et urémique (SHU), qui peut affecter le sang, les reins et le système nerveux et se traduit par un état de grande fatigue et peut parfois nécessiter une dialyse.

Les spécialistes estiment qu'ils ont affaire à la plus grave épidémie liée à la bactérie E. coli jamais observée. Au coeur d'un des pays les plus développés de la planète. Où nul ne peut encore dire avec certitude quelle en est sa source et quelles mesures il faudra adopter pour éviter qu'elle ne se reproduise.

L'INNOCENCE RETROUVÉE DU CONCOMBRE

Le 26 mai, les autorités allemandes pensent avoir identifié le coupable: des concombres importés d'Espagne.

Elles s'appuient sur des analyses menées par l'Institut de Hambourg pour l'hygiène et l'environnement (HU). "Le HU a clairement identifié un concombre d'Espagne comme porteur de la bactérie E. coli", dit le ministère de la Santé.

Les services de la Commission européenne précisent que deux entreprises agroalimentaires d'Andalousie pourraient être impliquées.

A Madrid, le gouvernement espagnol appelle à la prudence.

"Même si ces concombres ont été produits en Espagne, une enquête doit déterminer à quel stade de la chaîne de production la contamination s'est produite", dit le ministère espagnol de la Santé, qui souligne que la contamination a pu intervenir pendant le transport ou même plus tard.

En quelques jours, la culpabilité présumée du concombre espagnol s'effiloche, aucun cas de contamination n'étant signalé en Espagne.

Le 1er juin, l'Allemagne reconnaît son erreur. La chancelière Angela Merkel se voit contrainte de présenter les regrets de l'Allemagne à un José Luis Rodriguez Zapatero furieux. Pour les maraîchers espagnols, qui estiment avoir perdu 200 millions d'euros en une semaine de soupçon généralisé, le mal est fait. Madrid envisage de réclamer une indemnisation à Berlin.

Il faut reprendre l'enquête à zéro.

LES LIMIERS DU RKI

Une dizaine d'équipes du Robert Koch Institute (RKI), le principal centre allemand de contrôle et de prévention des maladies, se déploient dans des restaurants et des cantines d'où l'épidémie s'est semble-t-il propagée.

Les chambres froides mais aussi les poubelles de ces établissements sont passées au peigne fin. Les clients, malades ou non, sont interrogés sur les menus qu'ils ont consommés. En croisant ces données, les experts du RKI espèrent identifier un "dénominateur commun", la source de l'épidémie.

L'enquête s'oriente vers le Kartoffelkeller, un restaurant de Lübeck, au nord-est de Hambourg, qui sert une gastronomie traditionnelle.

Le 13 mai, un groupe d'employées du fisc y dînaient. Dix-sept d'entre elles sont tombées malades, l'une est morte. Joachim Berger, le patron du restaurant, se souvient de l'arrivée des inspecteurs de santé publique. "Ils ont tout retourné, tout a été inspecté, re-désinfecté."

Les enquêteurs pensent être sur la bonne piste, et continuent de la remonter. Elle les conduit à un grossiste en fruits et légumes, Fruchthof, une entreprise familiale du Schleswig-Holstein qui approvisionne le Kartoffelkeller.

Johanna Tramma, qui dirige la Fruchthof, explique aux enquêteurs qu'elle se fournit en graines germées auprès d'une ferme de Basse-Saxe qui approvisionne aussi le marché en gros de Hambourg.

Les experts allemands se précipitent alors à Bienenbüttel, petite ville de Basse-Saxe où se trouve la ferme Gärtnerhof, désormais suspecte. L'exploitation est bouclée dimanche dernier à 17h10. Un camion chargé de graines germées parti vingt minutes plus tôt pour le marché d'approvisionnement en gros de Hambourg est intercepté.

NOUVEL EMBALLEMENT ?

Avant de se murer dans le silence, derrière une grille fermée et gardée par des agents de sécurité, Klaus Verbeck, le directeur de la ferme bio, dit son étonnement. La ferme cultive des graines germées depuis un quart de siècle et la dernière visite sanitaire remonte à la mi-mai seulement. Aucune trace d'Escherichia coli n'a été détectée.

Quarante-huit heures plus tard, les autorités allemandes n'ont toujours pas la preuve qu'elles attendent. Tous les examens menés jusqu'à présent sur ces graines ont été négatifs, reconnaît Cornelia Prüfer-Storcks, la ministre de la Santé de la ville-Etat de Hambourg. ()

Une nouvelle fois peut-être, au lieu d'attendre les résultats des analyses, les autorités allemandes se sont laissés emporter par le temps médiatique et les exigences d'explications.

"Il faudrait être prudent, il faudrait être patient. Mais des gens sont gravement malades, des gens meurent, la crise a des ramifications diplomatiques, alors ils sont impatients d'identifier le plus vite possible le véhicule de transmission de la bactérie", analyse Stephen Smith, microbiologiste au Trinity College de Dublin.

Au final, la "contamination zéro" ne sera peut-être jamais connue.

"Nous ne pouvons exclure que la source de l'épidémie ne puisse jamais être reconstituée. Ce n'est pas inhabituel dans ce genre de circonstances", explique Reinhard Burger, qui dirige le Robert Koch Institute.

A Londres, Brendan Wren, professeur de microbiologie à la London School of Hygiene and Tropical Medicine, confirme: "C'est un peu comme une enquête criminelle, dit-il.

"C'est très difficile d'identifier les organismes pathogènes parce qu'ils peuvent disparaître avec le temps. Dans la majorité des épidémies de ce type, nous ne parvenons jamais à en identifier la source." (Avec Eric Kelsey et Erik Kirschbaum à Berlin et Kate Kelland à Londres, Henri-Pierre André pour le service français)