Moscou (awp/afp) - En dépit d'une inflation historiquement basse la banque centrale de Russie maintient obstinément ses taux à haut niveau et a avancé vendredi une nouvelle raison de ne pas lâcher la bride du crédit: la politique du rouble faible annoncée par le gouvernement.

Lors de sa réunion de politique monétaire, la Banque de Russie a comme prévu maintenu son taux directeur à 10%, son niveau depuis septembre qui pèse lourd sur l'activité économique au moment où la croissance semble revenir après deux ans de récession.

En revanche, son communiqué a surpris: alors qu'elle avait laissé entrevoir fin 2016 son intention d'abaisser les taux au premier semestre, elle juge aujourd'hui que sa "capacité" à s'exécuter "a diminué".

Cette prudence tranche avec le ralentissement continu de l'inflation, estimée à 5,1% sur un an soit un niveau rarement vu depuis la chute de l'URSS.

"Le communiqué reste vague concernant les raisons de ce changement de ton", a constaté William Jackson, du cabinet Capital Economics.

Si l'institution a mis en avant la persistance de risques inflationnistes, elle souligne qu'ils ont tendance à s'atténuer et "cela n'a rien de nouveau", juge cet expert, voyant une autre explication: les nouvelles mesures budgétaires du gouvernement.

Ce dernier a annoncé qu'il comptait réinvestir la cagnotte constituée grâce à la hausse des prix du pétrole en achats de devises étrangères. Officiellement, il s'agit de favoriser la stabilité financière en neutralisant les effets des fluctuations du marché pétrolier sur la monnaie.

Pour les experts, le message des autorités est double. D'une part, elles ne laisseront pas le rouble, remonté au plus haut depuis un an et demi dans le sillage de l'or noir, continuer à s'apprécier alors que sa chute a rendu les entreprises russes plus compétitives. D'autre part, la hausse des prix du pétrole servira à renforcer les finances publiques et non à engager de nouvelles dépenses, stratégie tentante à l'approche de la présidentielle de début 2018.

Vendredi, le ministère des Finances a détaillé son plan d'action. Dès mardi, il va acheter des devises étrangères en vendant sur le marché les roubles supplémentaires tirés des ventes d'hydrocarbures par rapport à ce qui était prévu dans le budget, bâti sur un baril à 40 dollars contre 55 dollars ces dernière semaines.

Du 7 février au 6 mars, ces opérations, menées par la banque centrale à la Bourse de Moscou, représenteront 6,3 milliards de roubles par jour soit 97 millions d'euros au taux de changes actuel.

- Effet Trump ? -

Dans son communiqué de politique monétaire, la banque centrale se félicite d'une mesure qui "va contribuer à réduire la dépendance de l'économie russe" mais qui constitue un risque "de court terme" pour l'inflation.

Pour Natalia Orlova, économiste de la banque Alfa, la fermeté de la Banque de Russie s'explique en réalité par les faibles résultats des annonces du gouvernement sur le rouble.

"L'avertissement explicite concernant la moindre probabilité de baisse des taux semble s'adresser aux investisseurs étrangers qui actuellement achètent des actifs (russes, ndlr) en anticipation de futures baisses" qui réduiraient les retours sur investissements, a-t-elle expliqué.

Autre raison de temporiser, relève cette analyste, un contexte international volatil avec "le renforcement du protectionnisme et la diminution de la visibilité concernant la politique budgétaire et monétaire des Etats-Unis" après l'élection de Donald Trump.

La banque centrale a en effet souligné le fort niveau d'"incertitude politique et économique extérieure", sans préciser à quoi elle fait référence.

Vu le ton du communiqué de l'institution, les analystes se montrent circonspects concernant la possibilité d'un assouplissement monétaire lors de la prochaine réunion, le 24 mars.

Pourtant, de nombreux chefs d'entreprises ne cachent pas espérer un coût du crédit plus favorable à la reprise économique. Selon la Banque de Russie, la croissance est revenue au second semestre 2016 et devrait se maintenir en 2017 mais à un rythme "faible".

Paradoxalement, selon certains économistes, la reprise pourrait se révéler d'autant plus molle que la crise semble avoir été moins violente que prévu, limitant l'effet de rebond technique. Selon les chiffres publiés cette semaine par l'agence des statistiques Rosstat, le PIB a reculé de seulement 0,2% en 2016 et de 2,8% en 2015, chiffre révisé loin de l'estimation préliminaire de 3,7%.

afp/rp