par Shadia Nasralla, Benjamin Mallet et Michel Rose

LONDRES, 5 mars (Reuters) - Après avoir décidé de conserver ses investissements en Russie tout en excluant de nouveaux projets, l'énergéticien français TotalEnergies fait figure de solitaire alors que plusieurs majors occidentales ont décidé de quitter le pays après l'invasion de l'Ukraine même si les sanctions visant Moscou ne l'exigent pas pour le moment.

"Pour les actifs existants, le groupe dit qu'il respectera les sanctions européennes, quelles que soient les conséquences. Mais pour l'instant, sur l'énergie, il n'y en a pas", a déclaré une source au fait des réflexions chez TotalEnergies.

TotalEnergies a une présence en Russie tournée vers l'avenir, avec une stratégie essentiellement axée sur le gaz naturel liquéfié (GNL), avec Yamal LNG et Artic LNG 2.

Alors que le monde s'efforce de réduire les émissions de carbone, les grandes compagnies pétrolières misent sur le GNL pour remplacer le charbon et le pétrole, plus polluants.

TotalEnergies a d'abord acheté une participation dans le producteur de gaz russe Novatek en 2011 pour 4 milliards de dollars et a progressivement augmenté sa participation pour atteindre un peu moins de 20% en 2018.

"La compagnie ne peut pas se défaire de ses actifs du jour au lendemain, sauf si des sanctions l’obligeaient à le faire. Il faut prendre le temps de la réflexion", a ajouté la source chez TotalEnergies.

Le gouvernement français s'est refusé à tout commentaire concernant la Russie et la situation d'une entreprise en particulier.

Le président français Emmanuel Macron, qui a réuni mardi dernier les membres d'un forum franco-russe, n'a pas n'a pas exhorté TotalEnergies ni aucune entreprise française à quitter la Russie, ont dit à Reuters deux participants à la réunion.

Le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, a participé à cette réunion.

DES MILLIARDS DE DOLLARS DE DÉPRÉCIATIONS

En revanche, outre-Manche, le gouvernement britannique a immédiatement salué la décision de Shell et de BP de quitter la Russie.

Le patron de BP, Bernard Looney, a déclaré aux employés que BP "ne pouvait pas raisonnablement continuer en Russie compte tenu du conflit en Ukraine", selon une source au sein de l'entreprise.

Pour les groupes qui ont annoncé quitter la Russie, à l'image de BP, Shell, Equinor et Exxon , ce sont des milliards de dollars de dépréciations qui seront passés dans les comptes.

Pour le moment, peu de repreneurs potentiels pour les participations et les opérations laissées en Russie se sont manifestés.

En Bourse, les actions des groupes d'énergie ayant annoncé quitter la Russie ont surperformé TotalEnergies ces derniers jours.

"Nous pensons qu'une sortie potentielle de TTE (TotalEnergies, ndlr) est beaucoup plus compliquée que pour ses pairs", a déclaré mercredi Biraj Borkhataria, analyste actions de RBC. "Nous considérons que la Russie est stratégiquement importante pour TTE, en particulier pour son activité GNL."

TotalEnergies a pour objectif de satisfaire 10% des marchés mondiaux de GNL d'ici 2025 avec 50 millions de tonnes par an.

Selon RBC, la Russie représente 6 millions de tonnes provenant de Yamal et 4 millions de tonnes supplémentaires viendront d'Arctic LNG 2 une fois que le site sera opérationnel.

Reuters n'a pas pu vérifier les retours sur investissement réalisés en Russie par les majors pétrolières. Néanmoins, il est clair que BP, par exemple, a déjà rentabilisé ses investissements.

Lorsque l'ancien président américain Donald Trump a ordonné des sanctions contre l'Iran, TotalEnergies avait maintenu son investissement dans un grand gisement de gaz et ne l'avait abandonné qu'après avoir échoué à obtenir une levée des sanctions.

À l'époque, des médias avaient rapporté que Patrick Pouyanné avait dit à Donald Trump que poursuivre les investissements pourrait contribuer à faire progresser la démocratie en Iran.

En 2021, le flux de trésorerie de TotalEnergies en provenance de Russie s'est élevé à 1,5 milliard de dollars. Le groupe n'a pas souhaité donner plus de détails sur ses investissements en Russie, ainsi que les flux de trésorerie des années précédentes.

BP va de son côté devoir passer une dépréciation de 25 milliards de dollars suite à sa décision de quitter la Russie et le groupe va perdre les dividendes versés par Rosneff qui ont varié entre 300 et 780 millions de dollars. (Version française Matthieu Protard)