par Sophie Greuil

PARIS, 27 janvier (Reuters) - Haut comme trois pommes, François Gabart traverse l'Atlantique en famille. Jeune adolescent, il conçoit un Optimist. Frais émoulu de l'école d'ingénieur, il répond à l'appel du large après un essai mitigé en Tornado.

Ces trois étapes décrivent un surdoué de la voile et sont fondatrices d'un succès en forme de coup de maître: à seulement 29 ans, le Charentais est devenu dimanche à la fois le plus jeune et le plus rapide vainqueur d'un Vendée Globe, dès sa première participation.

En bouclant ce tour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance dans un temps record de 78 jours deux heures 16 minutes et 40 secondes, cette tête bien faite recouverte de mèches blondes a répondu aux espoirs que les grands noms de la voile plaçaient en lui.

Il est "l'héritier de Michel Desjoyeaux" qui le surveille "depuis longtemps du coin de l'oeil", selon Jean-Paul Roux, directeur de son équipe à terre.

"François sait aller vite sans faire n'importe quoi tout en allant à l'essentiel. Véritable éponge, il est curieux de tout, stocke dans un coin de sa tête et le ressort à sa sauce", ajoute-t-il.

Desjoyeaux, "Le Professeur" aux deux victoires dans le Vendée Globe, dont la dernière, il y a quatre ans, dans un temps alors record de 84 jours, a été son conseiller de luxe de bout en bout, via sa société "Mer Agitée" barrée par Jean-Paul Roux.

"'Mich' et 'Le Jeune' sont des cerveaux-éclairs aux neurones bien câblés, chopant tout en un clin d'oeil", dit le témoin des liens qui unissent le maître et cet élève qui l'a déjà dépassé.

"GENDRE IDÉAL"

Si Michel Desjoyeaux le voit en "gendre idéal", François Gabart, fiancé à Henriette, une Norvégienne, et papa d'Hugo, dix mois, est surtout devenu, en un temps record, le marin idéal, sans doute le premier à se montrer aussi polyvalent.

Gabart et le bateau, c'est une histoire qui s'écrit depuis bien plus que ses 29 ans. Ce fils d'un dentiste et d'une magistrate est le petit-fils d'un constructeur de gabarres, alors destinées au transport sur la Dordogne.

A six ans, ses parents l'embarquent avec ses deux soeurs et ses parents dans une traversée de l'Atlantique sur un dériveur de 12 mètres.

Quatre ans plus tard, il choisit l'Optimist, découvert en Floride. Il est alors "très mûr, studieux et réservé", se souvient celui qui l'entraînait à La Rochelle, Stéphane Maisse. "Même s'il naviguait peu parce que d'Angoulême, il avait le niveau des gamins s'entraînant trois fois par semaine", dit-il.

Du lundi au vendredi, avec son père, il décortique les régates du dimanche. Puis il conseille "Philéas", un chantier d'où sortent des Optimist.

A 14 ans, l'année de son titre de champion de France, François Gabart enfante son premier bébé - son Optimist à lui. Il porte le numéro 101, comme le bateau de son idole Alain Gautier, vainqueur du Vendée Globe en 1992.

Son second portera le 301, comme "Macif", le dix voiles qui lui a permis d'entrer dans la légende de son sport ces trois derniers mois. Toujours le 3, chiffre qui évoque sa date de naissance - le 23 mars 1983.

SUR UN PARKING

Nicolas Le Charbonnier, médaillé de bronze aux Jeux olympiques de Pékin en 2008 en 470, se souvient du "gars intelligent, mâture et accrocheur" qu'il a d'abord croisé sur les courses d'Optimist.

Puis il l'a vu changer de braquet au pôle France de Marseille. "Entre ses cours d'ingénieur à Lyon, il descendait s'entraîner en Tornado. Eté comme hiver, il dormait sur le parking, dans son camion aménagé. Super-intelligent, posé, cartésien, il a alors appris à évoluer sans peur autour de 20 noeuds."

"En monocoque, après, cela a dû lui paraître banal", conclut l'Antibois.

Champion du monde en Tornado à 19 ans, François Gabart comprend vite qu'il n'est pas dans le bon wagon pour les JO de 2008.

Frustré de "faire des ronds dans l'eau", l'équilibriste des deux coques embrasse alors la course au large avec la Solitaire du Figaro, école de l'endurance par excellence. Sa progression est rapide: 16e en 2008, 13e en 2009, il est deuxième en 2010.

Jusqu'à se lancer, fin 2012, dans une aventure de 24.000 milles qui va le faire entrer dans l'histoire.

"NERFS SOLIDES"

"Pour faire un Vendée Globe, un Graal fascinant, il faut avoir les nerfs solides. Et depuis tout petit, mon point fort a été de toujours tenir des situations pas simples dans la tête", disait-il.

Son mental d'acier, sa connaissance de la voile, son cerveau à l'affût de la moindre équation à deux inconnues, son physique bâti de descentes en kayak sur la Charente en sessions de surf à La Torche, en passant par le ski alpin ou les sorties en vélo dans la Vallée des Fous, en Bretagne, ont fait son succès.

Mais l'atout personnel de ce marin aux pieds bien sur terre, c'est la capacité à lire les nuages et leurs caprices.

"Si je n'étais pas marin et ingénieur, j'aurais certainement tenté le concours de Météo France", assure-t-il.

Dauphin de cette édition après avoir été celui de Michel Desjoyeaux en 2009, Armel Le Cléac'h, son aîné de six ans, salue le tour de force de Gabart. "Malgré son inexpérience sur cet Everest des mers, jamais il n'a donné l'impression d'être pris de cours. C'est remarquable d'apprendre si vite sans faire d'erreurs." (Edité par Gregory Blachier et Chrystel Boulet-Euchin)