PARIS (awp/afp) - La tâche est délicate et le résultat contrasté: la "bonne idée" d'avoir des référents en entreprise chargés de lutter contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes laisse un goût amer aux élus du personnel, là où côté employeur, on salue un rôle "très positif".

Depuis janvier 2019, à la suite de la loi "avenir professionnel", le code du travail prévoit la désignation parmi les membres du comité social et économique (CSE) d'un référent sur ces sujets. Au delà de 250 salariés, un référent employeur est également désigné.

Mais côté syndical, certains élus ayant essuyé les plâtres de ce nouveau rôle sont loin d'être convaincus.

Référente CFDT dans un réseau bancaire jusqu'au printemps 2021, Céline rapporte à l'AFP avoir vécu une "non expérience", avec "très peu de possibilités d'intervenir" et une "entreprise souhaitant plutôt garder la main".

Côté moyens, ça s'est "résumé aux textes, c'est-à-dire rien", déplore cette syndicaliste, pour qui l'expérience n'était "pas du tout concluante", même si au départ, c'était "une super bonne idée".

Référent CGT à la RATP, Ahmed Berrahal, déplore aussi "une coquille vide" alors qu'au sein de l'entreprise de transport - "un monde d'hommes" -, "des agressions, des propos sexistes, c'est pas ce qui manque".

Ce référent unique "pour 19.600 salariés" se plaint de ne pas pouvoir participer aux enquêtes internes ou de n'avoir "même pas un bureau pour recevoir les personnes en détresse".

Pour Sophie Binet, dirigeante CGT en charge des droits des femmes, le "problème" est qu'on "met une casquette au membre du CSE et ça permet de visibiliser cette fonction", mais sans "prérogatives et moyens supplémentaires": pas d'heures de délégation en plus, référents trop peu nombreux, enquêtes menées sans les associer ou encore positionnement face aux victimes et à l'employeur pas "cadré"...

"Donc, on reste au milieu du gué", déplore-t-elle, alors que depuis #MeToo "il y a quand même de plus en plus de signalements".

"Faussement simple"

Côté employeurs, le constat est plus positif, même si de grands groupes préfèrent rester discrets, faute de "réelle envie" d'évoquer ces sujets.

A la RATP, Frédéric Potier, chargé de l'éthique, vante le "rôle majeur" et "très positif" de la référente groupe, qui a des relais locaux.

Il juge "tout à fait normal" que le représentant des salariés ne soit pas dans les procédures en raison de la confidentialité et de la responsabilité de l'employeur. A ses yeux, les référents CSE sont "plutôt des relais" sur ces sujets "faussement simples".

Chez Orange, 24 référents employeurs permettent de "couvrir le territoire", explique Benoit de Saint Aubin, directeur de la qualité de vie au travail.

En matière de comportements inappropriés, l'entreprise est confrontée comme les autres à tout le spectre: tensions entre collègues, maladresses de comportement et parfois - "dans moins de 20% des cas" - harcèlement ou sexisme, avec un nombre de cas "très faible".

Là aussi, les enquêtes - parfois confiées à des cabinets extérieurs -, sont "sous la responsabilité de l'employeur" même si Orange partage avec les syndicats "remontées" et "bilans". M. de Saint Aubin estime que "globalement, ça fonctionne pas mal" même s'il faut être "très vigilant".

Situation similaire à la Société générale où différents canaux visent à "capter" ces sujets (mail, ligne téléphonique dédiée, etc.), explique Coralie Bianchi, référente pilote.

Ce type d'alertes exige "beaucoup de discrétion", dit-elle, mais le groupe "rend des comptes" au CSE avec des données quantitatives et qualitatives.

Reste que pour Elise Fabing, avocate en droit du travail et auteure d'un "Manuel contre le harcèlement au travail", le référent n'est pas la panacée.

Côté CSE, "le niveau de formation n'est pas toujours suffisant". Côté entreprise, elle relève que ce ne sont pas des salariés protégés, et des "subordonnés économiques" de l'employeur, ce qui peut être "hyper dangereux".

La loi est à ses yeux "un symbole" qui "ne change rien à la réalité des victimes. Ca changera le jour où on aura une justice sociale qui fonctionnera bien, des mesures contraignantes et des sanctions dissuasives. Là, je reste un peu sur ma faim..."

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