Berlin (awp/afp) - L'ancien patron de Wirecard, attendu pour de premières explications sur la faillite retentissante de cette société, a refusé jeudi de répondre aux députés allemands chargés de l'auditionner, réservant ses déclarations à la justice.

"Je ne ferai aucun commentaire et j'invoque mon droit au silence", a lancé Markus Braun à la commission d'enquête parlementaire, devant laquelle il s'est présenté, à Berlin.

C'est la première fois que M. Braun, incarcéré dans une prison du sud de l'Allemagne, s'exprimait en public depuis la révélation, avant l'été, de la gigantesque fraude dont les responsables de Wirecard sont accusés.

Dans une courte allocution, il a affirmé qu'il s'exprimerait "bientôt", devant les enquêteurs judiciaires, sur ce scandale à 1,9 milliard d'euros qui éclabousse les organes de régulation et responsables politiques allemands.

"A aucun moment je n'ai constaté, ou eu d'informations indiquant que les autorités (...) ne se sont pas comportées de façon correcte", a-t-il simplement ajouté.

Vêtu de son habituel col roulé sombre à la Steve Job et de ses lunettes ovales, l'Autrichien de 51 ans s'est ensuite enfermé dans le silence et l'audition s'est rapidement achevée.

L'ancien patron vedette était d'autant plus attendu par les députés que son associé, Jan Marsalek, ancien responsable des opérations, est en fuite depuis des mois.

"Aux côtés de Jan Marsalek, Markus Braun est probablement le principal responsable de la fraude chez Wirecard qui peut tout éclaircir", avait estimé Frank Schäffler, député du parti libéral et membre de la Commission d'enquête.

Avance technologique

L'ascension fulgurante de Wirecard, spécialiste des paiements en ligne, a longtemps été mise au crédit de ce patron charismatique qui l'a créée en 1999 et possédait 7% du capital. La société valait davantage en Bourse que Deutsche Bank lorsqu'elle a fait son entrée triomphale en 2018 dans l'indice Dax à Francfort.

Malgré des doutes relayés par des analystes et la presse sur un modèle opaque, M. Braun convainc en louant l'avance technologique de sa société sur le créneau porteur des paiements dématérialisés.

Le ciel se couvre en 2019, quand le Financial Times (FT) publie une série d'articles accusant Wirecard de fraude massive en Asie ou dans le Golfe.

La contre-offensive de M. Braun pour freiner l'hémorragie rampante du titre en Bourse recevra l'aide inespérée du superviseur financier allemand, la Bafin, qui portera plainte contre le journaliste du FT, Dan Mcrum, soupçonné d'agir de concert avec des fonds spéculatifs.

Mais le fiasco se profile quand le cabinet d'audit KPMG signale l'absence de documents essentiels, non fournis par l'entreprise.

Dette en milliards ___

Après plusieurs reports de la présentation des comptes 2019, le couperet tombe le 18 juin 2020: le groupe avoue qu'1,9 milliard d'euros d'actifs, soit un quart de la taille du bilan, n'existent pas en réalité.

Le titre va perdre environ 98% de sa valeur au fur et à mesures des révélations publiques qui vont s'accumuler sur ce scandale rappelant la faillite frauduleuse de la société Enron en 2001-2002 aux Etats-Unis.

Endetté pour 3,2 milliards d'euros, Wirecard a été mis en liquidation fin août.

Le scandale a tourné au roman d'espionnage lorsque des allégations sur les liens de Jan Marsalek avec divers services de renseignement ont circulé dans les médias.

Les créanciers, banquiers et investisseurs ne peuvent compter récupérer qu'une infime partie de la somme via une vente par appartements du groupe déchu. Le total des réclamations, qui inclut celles des actionnaires, atteint la somme record de 12 milliards d'euros.

L'autorité de surveillance financière Bafin et le cabinet d'audit EY sont critiqués dans cette affaire, comme le monde politique.

Les députés veulent savoir si et quand le gouvernement fédéral était au courant des irrégularités et s'il en a trop peu fait.

Cinq personnes sont auditionnées jeudi en plus de Markus Braun : l'ancien chef comptable Stephan Freiherr von Erffa et le directeur d'une filiale de Wirecard basée à Dubaï, Oliver Bellenhaus, interrogés par vidéo.

La commission souhaiterait également entendre la chancelière Angela Merkel, qui avait plaidé la cause de la fintech bavaroise devant les autorités chinoises en septembre 2019, et le ministre des Finances, Olaf Scholz, candidat social-démocrate à la chancellerie en 2021. Ce dernier a déjà confirmé avoir eu connaissance de soupçons de fraude dès février 2019.

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