ROME, 26 septembre (Reuters) - L'Italie est de plus en plus surveillée par les marchés financiers alors que le budget 2024 qui s'apprête à être présenté par le gouvernement de Giorgia Meloni s'annonce difficile, faisant redouter aux investisseurs des arbitrages douloureux dans des secteurs tels que les banques ou l'aérien.

Le Trésor publiera mercredi de nouveaux objectifs économiques qui serviront de cadre à un budget qui devra tenir les promesses de réduction d'impôts de Giorgia Meloni tout en diminuant le déficit budgétaire.

La tâche est d'autant plus difficile que les perspectives de croissance s'assombrissent et que les coûteuses incitations financières à la rénovation énergétique, mises en place avant l'entrée en fonction de la présidente du Conseil, continuent de peser sur les comptes publics.

"Ce budget est le premier véritable test économique pour Meloni depuis son arrivée au pouvoir en octobre dernier", selon Tim Jones, analyste zone euro pour la société de conseil Medley Advisors.

"Avec la fin des achats de titres obligataires de la Banque centrale européenne (BCE), le gouvernement va être confronté aux choix qui ont pesé sur toutes les autres coalitions italiennes au cours des 30 dernières années".

La marge de manœuvre de Giorgia Meloni est bien plus réduite que lors de son premier budget, mené l'an dernier.

Après les mesures exceptionnelles liées la pandémie de COVID-19, l'accent est désormais mis sur l'assainissement budgétaire au niveau européen. Lees Etats membres de l'Union européenne négocient actuellement de nouvelles règles budgétaires qui seront introduites l'an prochain.

Dans le même temps, le sentiment des marchés à l'égard de l'Italie se dégrade, alors même que le pays a besoin d'acheteurs pour sa dette publique qui représente environ 142% du produit intérieur brut (PIB), en proportion la deuxième dette la plus importante de la zone euro après celle de la Grèce.

DES DÉFICITS PLUS ÉLEVÉS, UNE CROISSANCE PLUS FAIBLE

L'écart (spread) entre le rendement des emprunts d'Etat italiens à 10 ans (BTP) et celui du Bund allemand jugé plus sûr a augmenté pour atteindre environ 186 points de base, au plus haut depuis la fin mai.

"Les facteurs de soutien qui ont permis à l'écart de taux d'atteindre notre scénario optimiste de 160 points de base ont disparu", a déclaré Morgan Stanley ce mois-ci dans une note à ses clients. "Nous nous attendons à des déficits budgétaires plus importants et à une croissance plus faible."

La banque prévoit que l'écart atteindra 200 à 210 points de base d'ici la fin de l'année.

L'Italie s'attend désormais à ce que son déficit public dépasse 5,5% du PIB cette année, alors que l'objectif officiel est de 4,5%, ont déclaré des sources à Reuters.

Après des débuts prudents, le gouvernement conservateur de Giorgia Meloni a commencé à inquiéter les investisseurs en attaquant à plusieurs reprises la Banque centrale européenne (BCE) sur ses hausses de taux, puis en refusant d'approuver une réforme du fonds de sauvetage de l'UE, le Mécanisme européen de stabilité (MES).

L'Italie est le seul pays de l'UE à s'opposer à la réforme du MES, la coalition au pouvoir craignant que les changements proposés ne rendent plus probable une restructuration de la dette italienne.

Le malaise des marchés a atteint son paroxysme le mois dernier lorsque le gouvernement a annoncé une taxe inattendue sur les bénéfices des banques, faisant plonger les cours des groupes concernés avant que des clarifications ne calment la panique des investisseurs, sans lever complètement l'incertitude.

Cette décision a déclenché une avalanche d'appels d'investisseurs internationaux inquiets, selon un banquier italien de haut rang, et a contraint les gestionnaires d'actifs à annuler leurs vacances pour faire face à la dégringolade des cours.

Les compagnies aériennes et le marché italien des créances douteuses, d'une valeur de 307 milliards d'euros, ont été frappées par des décisions similaires, aux conséquences comparables.

La semaine dernière, le gouvernement a revu son projet de plafonner les tarifs des vols à destination des îles italiennes, après que des compagnies aériennes, dont Ryanair, ont contesté la légalité de sa proposition initiale.

INTERVENTIONNISME ET INCERTITUDE

Pour Roberto Perotti, professeur d'économie à l'université Bocconi de Milan, le projet de plafonnement des tarifs aériens montre que le parti Frères d'Italie de Georgia Meloni n'a "aucune culture du libre marché".

Quelques jours après la taxe bancaire, le parti Frères d'Italie a présenté un projet visant à permettre aux débiteurs de rembourser leurs arriérés avec une décote, ce qui aurait pour effet de plafonner les bénéfices des entreprises qui achètent les créances douteuses aux banques et qui gagnent ensuite de l'argent en imposant leur remboursement.

Giorgia Meloni a ensuite déclaré qu'aucune mesure n'était prévue concernant les prêts non performants, mais la proposition de son parti est toujours devant le parlement et l'incertitude persiste.

Entre-temps, les écueils économiques s'accumulent. Outre le budget et les tensions autour du MES, l'Italie s'efforce également d'atteindre les objectifs convenus avec Bruxelles pour débloquer des milliards d'euros de fonds de relance post-pandémique.

Les investisseurs ne sont pas les seuls à s'inquiéter pour l'Italie. Deux gouverneurs de banques centrales de l'UE, s'exprimant également sous le couvert de l'anonymat, ont déclaré à Reuters, lors d'une récente réunion des responsables politiques de l'UE, qu'ils étaient préoccupés par les finances publiques de Rome.

Un troisième a déclaré que les fréquentes remarques accommodantes de la Banque d'Italie soulevaient des doutes quant à sa détermination à lutter contre l'inflation, et un quatrième a déclaré que la BCE ne devait pas complètement interrompre ses achats d'obligations d'État en raison du risque d'une hausse des rendements italiens.

(Reportage Gavin Jones, Valentina Za, reportage additionnel Francesco Canepa, Giuseppe Fonte, Sara Rossi and Gianluca Semeraro, version française Corentin Chappron, édité par Blandine Hénault)