L'institut Molinari, que nous abrégerons en "IEM" dans la suite de ce commentaire, a calculé qu'en 2018, les entreprises du CAC40 ont "créé 373 milliards d'euros de richesse". Commençons par cette notion de "richesse". Est-ce du chiffre d'affaires ? du bénéfice net ? C'est un peu plus compliqué. Les deux auteurs, Cécile Philippe et Nicolas Marques, ont additionné trois gisements de richesse pour :
  • Les salariés des entreprises du CAC40 : salaires, primes, mutuelle, retraite, indemnité, épargne salariale.
  • L'Etat : impôts sur la production, sur les sociétés, sur les dividendes.
  • Les actionnaires : dividendes, après charges et impôts. 
La somme de ces trois gisements totalise 373 milliards d'euros. A titre de comparaison, le chiffre d'affaires cumulé des sociétés du CAC 40 en 2018 était de 1 327 milliards d'euros et leur bénéfice net après IS de 95 milliards d'euros (mais nous y reviendrons). Ce qui a fait couler pas mal d'encre depuis la sortie de l'étude, c'est la répartition de cette richesse :
  • 265 milliards d'euros, soit 71% du total, iraient aux salariés : 260 milliards d'euros de dépenses de personnel, 4 milliards d'euros d'épargne et 1 milliard d'euros de dividendes (pour les salariés-actionnaires).
  • 72 milliards d'euros, soit 19%, iraient à l'Etat : 29 milliards d'euros d'impôts sur la production, 33 milliards d'euros d'impôt sur les sociétés et 10 milliards d'euros de fiscalité sur les dividendes.
  • 36 milliards d'euros, soit 10%, iraient aux actionnaires (non-salariés, non-étatiques).
Précision importante, l'étude IEM intègre les rémunérations des dirigeants. Prises individuellement, elles peuvent sembler très élevées (et elles le sont : 5,5 millions d'euros bruts en moyenne, en intégrant fixe, variable et titres, pour les patrons du CAC40), mais considérées ensemble, elles ne représentent "que" 0,08% du total des dépenses de personnel (i.e. environ 208 millions d'euros, quand même).
Illustré ainsi, ou façon podium, comme ci-dessous, les salariés n'ont pas trop à se plaindre.
 
 
A la fin, c'est quand même l'entreprise qui paie 

Cette vision rappelle de façon salutaire, à l'heure où il est de bon ton de pointer l'Entreprise du doigt, que c'est quand même elle qui assure au salarié la majeure partie de sa richesse, en lui versant un salaire ou en contribuant à sa protection sociale. Oui mais attendez, les salariés travaillent, eux. Les actionnaires ne perçoivent que 10% de la richesse mais ils n'ont qu'à se baisser pour la ramasser. Un débat intemporel.

Mais n'oublions pas l'Etat, qui récupère au passage plus du cinquième de la richesse, selon les travaux de l'IEM. Une proportion encore plus élevée si l'on considère uniquement la part des résultats non-réinvestis, soit 84 milliards d'euros. Avec 43 milliards d'euros, l'Etat récupère via l'IS et la fiscalité sur les dividendes 51% du résultat. La somme de 36 milliards d'euros qui va aux actionnaires reste inchangée, mais elle représente 43% du total. Et les salariés se répartissent les 5 milliards d'euros restants (6% du total), répartis entre 4 milliards d'euros d'épargne et d'actionnariat salarié collectif et 1 milliard d'euros de dividendes.
 
L'étude d'IEM souligne aussi que les gains "bénéficient à une très grande diversité d’acteurs", via les produits d'épargne (assurance-vie, PERCO, FRR…) et au large panel de détenteurs d'actions du CAC40, qui dépasse largement le cercle des familles et fondateurs de grands groupes (cf. tableau qui suit).
 

IEM avec Euronext
 
Dans sa dernière partie, le document de l'IEM souligne que les salariés sont les principaux bénéficiaires des richesses les plus récurrentes, tandis que la plus de la moitié des ressources auxquelles peut prétendre l'Etat et la totalité de celles des actionnaires sont irrégulières. On pourra objecter que dans la pratique, certaines sociétés continuent à verser des dividendes que leurs résultats ne peuvent couvrir, en anticipant des jours meilleurs. Une pratique qui, fondamentalement, n'est toutefois pas pérenne. 

L'étude de l'Institut économique Molinari ne réconciliera pas les extrémistes du partage de la richesse, mais elle a le mérite de faire prendre un peu de hauteur au débat et de rappeler qu'une entreprise ne se limite pas à la rémunération de son patron et de ses actionnaires. C'est déjà çà.