(Actualisé avec nouvelles réactions)

par Thomas Escritt et Ben Blanchard

AMSTERDAM, 12 juillet (Reuters) - La Cour permanente d'arbitrage (CPA) de La Haye a rejeté mardi les revendications de Pékin en mer de Chine méridionale et donné gain de cause aux Philippines, ce qui a suscité une vive réaction du gouvernement chinois.

"Il n'y a aucun fondement juridique pour que la Chine revendique des droits historiques sur des ressources dans les zones maritimes à l'intérieur de la ligne en neuf traits", a-t-elle jugé, évoquant une carte de 1947 de cette zone riche en ressources énergétiques, minérales et halieutiques.

Pékin, qui avait boycotté les audiences à la CPA, n'a pas tardé à réagir, rejetant catégoriquement un jugement "nul et non avenu" qui, selon son ministère des Affaires étrangères, viole le droit international.

Quant au président Xi Jinping, il a souligné que la Chine n'accepterait pas ce jugement, tout en restant vouée à maintenir la paix et la stabilité dans la région.

Le ministère des Affaires étrangères a rappelé que les Chinois étaient actifs depuis plus de 2.000 ans en mer de Chine méridionale et a réaffirmé que Pékin avait des droits historiques sur la zone, notamment sur les îles Paracels et Spratleys. Ces revendications sont contestées par Taiwan et les autres pays riverains (Philippines, Vietnam, Bruneï, Malaisie).

Pour l'ambassadeur de Chine aux Etats-Unis, l'arrêt de la CPA, qui est le tout premier arbitrage international sur la question, "va certainement attiser le conflit et même la confrontation".

Les Etats-Unis, que Pékin accuse de souffler sur les braises en procédant à des man÷uvres et à des patrouilles dans la région, le jugent quant à eux définitif et contraignant.

"Nous exhortons toutes les parties à ne pas l'utiliser pour se lancer dans la surenchère ou la provocation", a déclaré Josh Earnest, porte-parole de la Maison blanche.

John Kirby, porte-parole du département d'Etat, a quant à lui fait état de signes récents témoignant de la militarisation croissante de la zone à l'initiative de la Chine. Daniel Kritenbrink, conseiller de Barack Obama pour l'Asie, a toutefois assuré que Washington n'avait aucun intérêt à attiser les tensions, y compris pour justifier une présence militaire.

"Nous avons un intérêt durable à ce que les contentieux maritimes de la région Asie-Pacifique, notamment en mer de Chine méridionale, soient résolus pacifiquement, sans coercition et conformément au droit international", a-t-il assuré.

Peu avant le jugement, l'agence officielle Chine nouvelle a annoncé qu'un avion civil avait effectué des tests de calibrage sur deux nouvelles pistes construites dans l'archipel des Spratleys.

Dans son jugement qui compte pas moins de 497 pages, la CPA estime que les patrouilles navales chinoises menacent les bateaux de pêche philippins de collision et que la Chine, en poldérisant des récifs et en construisant ports et aéroports, a occasionné des dégâts irréparables aux récifs coralliens.

MANILLE RÉAGIT AVEC PRUDENCE

En outre, a statué la CPA, aucune des îles de l'archipel des Spratleys ne peut devenir une zone économique spéciale (ZEE) chinoise. La CPA juge que la Chine a porté atteinte aux droits de pêche des Philippines dans les parages du récif de Scarborough et violé ses droits souverains en prospectant aux abords de celui de Reed.

"Cet arbitrage est un coup juridique dévastateur pour les revendications chinoises en mer de Chine méridionale", a dit à Reuters Ian Storey, de l'institut singapourien ISEAS Yusof Ishak. "La Chine va réagir avec colère, verbalement c'est certain, et peut-être aussi par des opérations maritimes plus affirmées".

Réagissant à l'arrêt de la cour, le chef de la diplomatie philippine, Perfecto Yasay, a fait profil bas, se bornant à appeler à la "retenue". "Nos experts étudient l'arbitrage avec le soin et l'attention que ce dossier mérite", a-t-il dit lors d'une conférence de presse à Manille. Le Vietnam s'en est quant à lui félicité.

Avant l'annonce du jugement de la CPA, une centaine de membres d'une organisation nationaliste philippine avaient manifesté devant le consulat de Chine à Manille, mardi, en demandant à Pékin d'accepter la décision et de se retirer du récif de Scarborough, qui était une zone de pêche appréciée mais que les pêcheurs philippins ne peuvent plus fréquenter depuis 2012.

La zone concernée par l'arbitrage couvre 3,5 millions de kilomètres carrés de mer où la Chine développe depuis quelques années sa présence en poldérisant des récifs et en construisant dessus des installations navales et aériennes, mais aussi en déployant des patrouilleurs qui refoulent les bateaux de pêche philippins.

La contestation devant la CPA, initiée par Manille en 2013, a porté sur le statut des récifs, des rochers et îlots artificiels des îles Spratleys ainsi que, plus au nord, sur le récif de Scarborough.

Dans son dossier en 15 points, Manille demandait à la CPA de se prononcer sur la fameuse "ligne des neuf traits", sur laquelle se fonde Pékin pour revendiquer, ce depuis près de 70 ans, environ 85% de la mer de Chine méridionale. (Thomas Escritt; Eric Faye, Jean-Stéphane Brosse et Jean-Philippe Lefief pour le service français)