La devise japonaise a reculé jusqu'à 101,21 pour un dollar vendredi en Asie, en baisse de plus de 2% par rapport à son plus haut de jeudi à 98,65.

En six mois, le yen a perdu plus de 20% de sa valeur face au billet vert, premier effet tangible de la politique de Shinzo Abe visant à sortir la troisième puissance économique mondiale de deux décennies de stagnation.

Les "Abenomics", comme on dit au Japon, consistent en un mélange de politique monétaire ultra-accommodante et de relance budgétaire.

Ce cocktail irrite certains partenaires du Japon, comme la Corée du Sud qui a dû se résoudre à baisser ses taux jeudi, même si le G7 et le G20 prennent acte de la parole de Tokyo selon laquelle la glissade du yen est un effet collatéral et non l'objectif principal de la politique suivie.

Le Japon n'a aucune intention de manipuler les taux de change, a réaffirmé le ministre de l'Economie Akira Amari vendredi, à quelques heures de l'ouverture d'une réunion des grands argentiers du G7 près de Londres.

SIGNES D'IRRITATION

La Corée du Sud et avant elle l'Australie ont surpris les marchés en réduisant leurs taux directeurs cette semaine, citant dans les deux cas le niveau élevé de leur devise.

La banque centrale néo-zélandaise a fait savoir de son côté qu'elle était intervenue sur le marché pour faire baisser sa monnaie, une démarche rare pour ce pays.

Malgré ces signes d'irritation, les marchés s'attendent à ce que le G7 laisse faire Tokyo, comme déjà le G20 en février, pour ne pas rallumer une guerre des monnaies. Le yen, estiment des analystes, pourrait du coup descendre rapidement jusqu'à 104 ou 105 pour un dollar.

Shinzo Abe, lui, se frotte les mains et voit les premiers effets de sa politique dont le principal temps fort, jusqu'ici, a été l'annonce d'une politique monétaire agressive le 4 avril par Haruhiko Kuroda, l'homme qu'il a placé à la tête de la Banque du Japon.

Signe que la baisse du yen commence à jouer sur les exportations, l'excédent japonais des comptes courants a atteint en mars son niveau le plus élevé depuis un an, à 1.250 milliards de yens (9,47 milliards d'euros), grâce à une baisse du déficit commercial et à la hausse des résultats réalisés à l'étranger et convertis en yens, selon des données publiées vendredi.

PRUDENCE DES ENTREPRISES

Le yen faible a d'ores et déjà eu un impact positif sur les bénéfices de grands groupes japonais comme Toyota, tout en mettant sous pression leurs concurrents étrangers, sud-coréens notamment. Le won sud-coréen s'est apprécié de plus de 10% face au yen depuis le début de l'année, contribuant à un recul de 2,1% de la Bourse de Séoul sur ces quatre mois alors que l'indice Nikkei a bondi dans le même temps de 40% à Tokyo, atteignant vendredi un nouveau plus haut depuis janvier 2008.

Autre conséquence de la politique monétaire ultra-accommodante de la BoJ, les investisseurs nippons ont été acheteurs nets d'obligations étrangères au cours des deux dernières semaines, à la recherche de meilleurs rendements qu'au Japon, alors qu'ils étaient vendeurs sur 11 des 12 semaines précédentes.

Mais la baisse du yen n'a pas que des conséquences positives pour le Japon puisqu'elle entraîne un renchérissement des matières premières et de l'énergie dont l'archipel est largement importateur.

"Pour les industriels, la dépréciation du yen favorise les exportations mais augmente aussi les coûts des matières premières", a ainsi tempéré cette semaine Yasuyuki Yoshinaga, le directeur général de Fuji Heavy Industries Ltd.

Carlos Ghosn, le président de Nissan, a estimé vendredi que l'impact du yen faible était neutre sur les résultats du deuxième constructeur automobile japonais.

Ce facteur peut expliquer la relative prudence des entreprises nippones qui, pour la plupart, n'ont que modérément relevé leurs prévisions de résultats pour l'exercice clos en mars 2014.

Avec la contribution de Yoko Kubota and Lisa Twaronite, Véronique Tison pour le service français

par Hideyuki Sano