19 janvier (Reuters) - Les attaques menées depuis plusieurs semaines par les rebelles houthis du Yémen soutenus par l'Iran contre des navires en mer Rouge ont perturbé le transport maritime dans le canal de Suez, la voie maritime la plus courte entre l'Asie et l'Europe par laquelle transite 12% du trafic mondial de conteneurs.

Pour l'économie européenne, au bord de la récession, une perturbation prolongée pourrait faire peser un nouveau risque pour ses perspectives et remettre en cause les plans des banques centrales qui envisagent de réduire les taux d'intérêt cette année.

Voici des éléments d'explication pour évaluer la situation et ses implications.

QUEL A ÉTÉ L'IMPACT SUR L'ÉCONOMIE EUROPÉENNE JUSQU'À PRÉSENT ?

En termes macroéconomiques, l'impact est faible, voire négligeable. Le ministère allemand de l'Economie a dit surveiller la situation mais a jugé cette semaine que le seul impact jusqu'à présent avait été quelques cas d'allongement des délais de livraison.

De son côté, le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Andrew Bailey, a déclaré lors d'une audition parlementaire, que les attaques "n'ont pas eu l'effet que je craignais", tout en reconnaissant que des incertitudes demeurent.

Les principaux indicateurs économiques européens n'ont pas encore révélé l'impact des attaques, y compris les chiffres de l'inflation de décembre, qui ont légèrement augmenté dans toute la région en raison d'un mélange d'effets statistiques déjà attendus, de quelques éléments exceptionnels et d'une certaine pression sur les prix des services.

Cependant, la situation pourrait encore basculer, et les résultats préliminaires des indices PMI d'activité des économies européennes en janvier, publiés mercredi prochain, seront suivis avec attention. De même que la première estimation de l'inflation de la zone euro pour le même mois prévue pour le 1er février.

La présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, pourrait aussi aborder le sujet à l'occasion de la réunion de politique monétaire de l'institution jeudi prochain.

POURQUOI N'Y-A-T-IL PAS D'IMPACT ENCORE ?

La principale raison est probablement que l'économie mondiale dans son ensemble fonctionne au ralenti, ce qui laisse des marges de manoeuvre, notamment en ce qui concerne un impact sur l'inflation.

Prenons l'exemple des prix du pétrole, le canal le plus évident par lequel les problèmes du Moyen-Orient pourraient toucher les économies d'Europe et d'ailleurs.

Les prix ne se sont pas encore envolés car l'offre de pétrole est solide tandis que la croissance de la demande ralentit, comme l'a expliqué cette semaine à Reuters le directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie, Fatih Birol.

"Je ne m'attends pas à un changement majeur du prix du pétrole parce que nous avons une quantité amplement suffisante de pétrole sur le marché", a-t-il déclaré.

De son côté, le géant allemand de la logistique DHL a dit disposer encore de capacités de fret aérien face à une demande qui reste modeste.

Cette situation économique morose fait qu'il est plus difficile pour les entreprises de répercuter sur les consommateurs les augmentations de coûts qu'elles subissent, par exemple lorsqu'elles doivent changer d'itinéraire pour contourner l'Afrique. Nombre d'entre elles ont rétabli leurs marges au cours de l'année écoulée et admettent qu'elles devront peut-être se contenter d'absorber cette hausse.

"Notre meilleure prévision à l'heure actuelle est que nous sommes en mesure d'absorber les coûts supplémentaires que nous estimons devoir être supportés et de continuer à améliorer la marge brute", a déclaré à Reuters Andy Bond, président exécutif du groupe Pepco, propriétaire de Poundland.

Le distributeur de meubles IKEA a indiqué disposer des stocks nécessaires pour absorber les éventuels chocs de la chaîne d'approvisionnement. Tant que ce sera le cas pour un nombre suffisant d'entreprises, les perturbations n'auront pas d'effet sur les prix à la consommation.

PEUT-ON JUSTE FAIRE ABSTRACTION DE LA SITUATION ?

Non, car plus les perturbations se prolongent, plus elles risquent d'avoir des répercussions sur l'ensemble de l'économie, même si c'est de manière progressive.

S'appuyant sur une estimation du FMI concernant l'impact de l'augmentation des coûts du fret, Oxford Economics a estimé, dans une note datée du 4 janvier, que l'augmentation des prix du transport par conteneurs ajouterait 0,6 point de pourcentage à l'inflation d'ici un an. La BCE s'attend à ce que l'inflation dans la zone euro ralentisse de 5,4% en 2023 à 2,7% cette année.

"Une fermeture durable de la mer Rouge n'empêcherait pas l'inflation de décélérer, mais elle ralentirait la vitesse à laquelle elle reviendrait à la normale", conclut Oxford Economics, qui estime que cela ne remettrait pas en cause toutefois la baisse attendue des taux d'intérêt.

Les tensions en mer Rouge pourraient aussi encourager les entreprises à accélérer les projets élaborés après la pandémie de COVID-19 afin de trouver d'autres voies d'approvisionnement plus sûres.

Cela pourrait impliquer des voies commerciales plus longues et une "délocalisation proche" ou une "re-délocalisation" pour rapprocher la production des marchés clés. Mais quelles que soient les options explorées, il est probable qu'elles aient toutes un point commun : des coûts plus élevés. (Reportage Mark John ; version française Nathan Vifflin, édité par Blandine Hénault)

par Mark John