"Quel regard portez-vous sur le marché actions français à ce stade de l’année ?
Eric Labbé : Je pense que le marché se caractérise par une relative complaisance. Les résultats du quatrième trimestre ont été de nature à davantage inciter à une révision à la baisse qu’à une révision à la hausse des prévisions de bénéfices pour l’année.
Cette complaisance est étroitement liée à la forte présence des grandes banques centrales et donc à la quantité abondante de liquidité injectée notamment par la Banque centrale du Japon et la Réserve fédérale américaine.
Les actions de la zone euro sont alors choisies par les investisseurs, par défaut, face à des actions émergentes trop risquées en raison des tensions qui pèsent sur les devises et face à des actions américaines très chères aujourd’hui.
A l’intérieur du segment, les actions françaises restent dans le collimateur des opérateurs de marché, aux cotés des actions espagnoles, italiennes, portugaises, et irlandaises, dans l’anticipation d’un phénomène de rattrapage.

Caroline Canard : Si l’on considère le MSCI EMU, la meilleure performance est affichée par les actions irlandaises, puis portugaises, et italiennes. Arrivent ensuite execo les actions espagnoles et françaises. Puis bien plus loin, on retrouve les actions allemandes.

Comment expliquez-vous qu’il n’y ait pas eu plus de réaction négative des investisseurs aux publications en demi-teinte ?

Caroline Canard : Le marché n’a globalement pas mal pris les mauvais résultats annoncés car il s’y attendait. De nombreux dirigeants avaient prévenu que leurs comptes seraient certainement impactés par l’effet devise. Ils ont alors préparé le terrain sur ce point.
Les investisseurs ont non seulement pas été déçus par les publications, mais ils ont de plus été surpris positivement par des hausses de dividendes. Jusqu’à la semaine dernière, sur une vingtaine de sociétés du Cac 40 qui avaient fait état de leurs chiffres, 13 ont signalé une progression de leur dividende.
Il y a eu, qui plus est peu de grandes dépréciations, mis à part celle de Bouygues sur Alstom.
Ce faisant, in fine l’impression a été que le pire est passé et qu’à présent la place est donnée à une amélioration de la toile de fond.

Le consensus table sur une hausse des bénéfices de 15% pour les grandes capitalisations et de 33% pour les petites et moyennes capitalisations. Qu’en pensez-vous ?
Eric Labbé : Ces prévisions sont trop hautes. Si l’on considère les sociétés du SBF 120, nous aurons au mieux un accroissance des bénéfices de 10%. S’agissant des moyennes capitalisations, nous pourrions monter jusqu’à 15%.

Voyez-vous les flux comme un élément de soutien pour les actions françaises cette année ?
Eric Labbé : Oui, surtout pour les petites et moyennes capitalisations. Les sociétés de moyenne capitalisation, qui sont celles cotées sur le compartiment B d’Euronext, et représentées par le Cac mid 60, ont traditionnellement dépassé les larges capitalisations en termes de performance de 10% à 20%.
Les sociétés de petite capitalisation, cotées sur le compartiment C d’Euronext et sur Alternext, et représentées par le Cac small 90, ont certaines fois fait un peu mieux que le Cac 40 mais ont également souvent sous performé l’indice phare. Depuis la fin 2013, on dénote une notable différence entre les petites capitalisations et les larges capitalisations.
Nous pensons que le gap va se maintenir.

Comment l’expliquez-vous ?

Eric Labbé : Je pense que le dispositif PEA PME a mis un grand coup de projecteur sur toutes les sociétés cotées, y compris sur les toutes petites.
Par ailleurs, certains grands fonds d’investissement ne pouvant pas se positionner sur ces petites valeurs en raison de leur manque de liquidité, se sont aventurés vers le territoire des moyennes capitalisations. Ainsi, par une incidence vertueuse, nous avons eu des flux deux à trois plus forts sur ce dernier compartiment.

Que voyez vous du coté des opérations capitalistiques : introductions en bourse et fusions acquisitions ?
Eric Labbé : Je ne crois pas que les fusions-acquisitions seront un important élément de soutien aux larges capitalisations. Les mouvements que nous voyons dans le secteur des télécoms sont davantage défensifs et ne devraient pas créer beaucoup de valeur ajoutée.
La dernière grande opération de rapprochement que nous attendons est Publicis et Omnicom. Nous ne tablons pas sur un gain de synergie spectaculaire à la suite de cette alliance.

L’histoire est différente s’agissant des petites et moyennes valeurs. Pour la première fois en 2013, depuis la crise de 2008 nous avons eu autant d’IPO que de retraits de la cote, soit environ 15. Cependant la moitié des introductions ont été dans le secteur de la santé, très en amont de leur activité, ce qui est quelque peu embêtant sur le plan de la diversification et de la recherche d’un retour sur investissement assez rapide. Deux sociétés sur la chirurgie du dos ont ainsi décidé de faire leur entrée sur le marché.
Je ne pense pas que nous aurons beaucoup plus d’introductions cette année.

Une vingtaine de rachats de small et mid caps ont également été faits dans une logique industrielle en 2013. Les primes découlant de certaines opérations étaient relativement élevées, autour de 30% à 40%. Une configuration similaire devrait se dessiner cette année. Les capitalisations moyennes sont souvent des cibles car elles sont situées sur des niches de produits ou des niches géographiques et peuvent connaitre une croissance robuste de leurs revenus. Plusieurs sont très saines, et ont une trésorerie abondante. Pour beaucoup, le dirigeant est assez âgé et pourrait bien vouloir passer la main.

Pressentez-vous des dominantes sectorielles pour ce qui est des IPO ou des fusions-acquisitions ?
Eric Labbé : Deux secteurs ont été identifiés par le gouvernement dans lesquels il existe de nombreuses PME très innovantes, de petite taille, et qu’il serait bon de regrouper pour constituer des entreprises de taille intermédiaire avec suffisamment de capital pour aller à la conquête de parts de marché à l’international. Ces deux secteurs sont le vieillissement de la population et la cyber sécurité-la cyber défense. Nous pourrions clairement avoir des sociétés qui souhaitent se coter en bourse dans ces deux segments d’activité.

Vous attendez vous à d’autres mesures de la Banque centrale européenne qui pourraient renforcer le sentiment de confiance sur le marché et soutenir les actions de la zone euro ?

Eric Labbé : Il est clair que le lien entre économie financière et économie réelle est rompu. Les taux ont beau être très bas, le volume des crédits consentis est faible. Le problème est que les banques européennes ont du gérer plusieurs enjeux dans le même temps : renforcer leurs fonds propres, acheter des obligations souveraines, garder leur effectif salarial, prêter aux entreprises, le tout dans une période de crise. Ces banques ont alors du lever le pied sur la distribution du crédit même si parallèlement la demande pour ce crédit s’est également essoufflée.
Il est à espérer qu’une fois l’audit des actifs contenus dans les bilans, et les stress tests auront été effectués, les banques européennes seront en mesure d’augmenter la voilure et d’accorder plus de prêts. Ce faisant la BCE n’aura pas de raison d’intervenir davantage.

Au demeurant, je ne pense pas que si l’institution monétaire venait à mettre son taux de rémunération des dépôts effectués en son sein par les banques qui ont un surplus de liquidité dans un territoire négatif, cela poussera ces dernières à plus prêter. A mon sens, pour l’heure, ces banques préfèreront payer des intérêts à la BCE plutôt que de reprendre du risque dans leur bilan avant de passer sous les fourches caudines du régulateur.

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