par Sujata Rao et Sebastian Tong

La banque centrale lettone a dépensé près du tiers de ses réserves depuis un an pour soutenir la devise nationale et le Premier ministre Vladis Dombrovskis a réaffirmé vendredi ne pas envisager une dévaluation.

Alors que l'économie du pays risque de se contracter de 20% cette année, Riga estime qu'une dévaluation aurait un impact désastreux sur le niveau de vie de la population du pays, qui compte environ 2,2 millions d'habitants.

Les tensions actuelles pourraient s'apaiser au moins en partie si le Fonds monétaire international (FMI) et l'Union européenne (UE) débloquent le mois prochain 1,3 milliard d'euros de prêts à Riga. Mais l'envolée, ces derniers jours sur les marchés, du coût de la garantie contre un risque de défaut sur la dette lettone montre que les investisseurs considèrent toujours la dévaluation comme un risque à prendre au sérieux.

Les turbulences déclenchées par les difficultés de la Lettonie ont des répercussions bien au-delà de la Baltique. Les cours de plusieurs banques suédoises, gros créanciers de Riga, ont ainsi chuté. Et certains observateurs s'interrogent désormais sur la pérennité des régimes de liens fixes entre l'euro et des devises d'autres pays du continent, en particulier la Lituanie et l'Estonie, mais aussi la Bulgarie.

"Les risques d'effondrement désordonné des liens entre devises sont bien inférieurs à ce qu'ils étaient lors de précédentes crises, en raison de l'implication du FMI et de l'UE dans la région et de la taille relativement faible des économies concernées", relativise Christian Keller, chef économiste 'Emerging Europe' chez Barclays Capital. "Mais il est naturel que, lorsqu'il se produit un événement comme (la situation en Lettonie), les gens se posent des questions sur ces liens."

L'ACCROCHAGE À L'EURO EST DEVENU UN HANDICAP

Le lat letton est lié à l'euro depuis 2005, année de son entrée dans l'ERM-2, le mécanisme d'encadrement des parités de change par rapport à la monnaie unique considéré comme un préambule à l'adoption définitive de l'euro.

Même si l'ERM-2 autorise une fluctuation de 15% à la hausse ou la baisse du lat autour de la parité pivot de 0,702804 pour un euro, la Lettonie s'est fixée une fourchette bien plus étroite, de 1% seulement.

Cet accrochage à l'euro a favorisé le boom économique letton jusqu'à la crise actuelle mais il pèse aujourd'hui sur l'activité économique en pénalisant les exportateurs tout en favorisant les importations. Le déficit courant du pays dépasse désormais 20%.

Pour les analystes, le lat devrait être dévalué de 25% à 30% par rapport à l'euro, afin de faciliter l'ajustement économique, même si cela revient à compromettre le passage à la monnaie unique prévu en 2013.

Une telle modification de la politique de changes favoriserait certes la compétitivité à l'export mais elle ne manquerait pas de nourrir l'inflation et de faire monter le coût de la dette publique lettone, libellée à plus de 90% en euros.

AJUSTEMENTS ENCADRÉS ?

Elle déclencherait probablement des décisions du même ordre en Estonie et en Lituanie, les échanges entre les pays baltes représentant 15% à 20% de leurs échanges globaux.

"Si l'un d'entre eux franchit le pas, les autres devront suivre car ils souffrent des mêmes problèmes de taux de change surévalués", souligne Neil Shearing, économiste de Capital Economics.

Le marché anticipe déjà une dévaluation d'au moins 10% du lita lituanien d'ici un an.

Une dévaluation en Lettonie pourrait aussi avoir des conséquences en Hongrie, en Roumanie et en Bulgarie, avec à la clé un risque de fuite des capitaux. Le forint hongrois a perdu environ 2,5% face à l'euro mercredi après l'échec d'une adjudication d'emprunts d'Etat lettons.

De nombreuses banques recommandent désormais aux investisseurs de couvrir leurs positions sur la Hongrie, déjà assistée par le FMI.

Mais rares sont ceux qui redoutent un "effet domino" de grande ampleur comparable à ceux observés en Asie et en Amérique latine à la fin des années 1990.

La Bulgarie, par exemple, affiche certes des comptes courants déficitaires et un ratio dette publique/PIB élevé mais son budget est excédentaire et ses réserves de change solides.

"Si la Lettonie opte pour une dévaluation, nous ne pensons pas que d'autres régimes de changes fixes dans la région lui emboîteraient immédiatement le pas", a écrit dans une note Tim Ash, responsable de la recherche émergents Europe chez RBS.

"Si une dévaluation en Lettonie s'avérait efficace (...) et permettait à l'économie de rebondir plus rapidement, alors, par la suite, cela constituerait un argument en faveur d'ajustements encadrés."

Version française Marc Angrand